LXV.

Un anonyme, qui n’est autre, dit-on, que le citoyen Delescluze, vient d’imprimer ceci : « La Commune s’est assuré une recette de 600,000 francs par jour, — 18 millions par mois. »

Il y avait, une fois, un faussaire nommé Collé, célèbre par le nombre et l’importance de ses escroqueries, et qui possédait, disait-on, une grande fortune. Quand on l’interrogeait à ce propos, il répondait : « Je me suis assuré une recette de cent francs par jour, — trois mille francs par mois. »

Entre Collé et la Commune, il y a cependant deux différences : la première, c’est que Collé aimait particulièrement le clergé dont il revêtait fréquemment les divers costumes, et que la Commune ne peut pas souffrir les curés ; la seconde différence, c’est que Collé, en s’assurant une recette de trois mille francs par mois, avait fait tout ce qu’il avait pu, tandis que la Commune, qui s’en tient pauvrement à 18 millions, aurait pu s’assurer mieux que cela. Il est prodigieux, et j’ajouterai peu digne d’elle, qu’elle se contente d’une somme aussi médiocre. Ah ! vous êtes trop modeste ! on n’est pas victorieux pour se gêner en tout. 18 millions, une mi- sère. On s’expliquerait votre réserve si vous étiez scrupuleux sur le choix des moyens ; Dieu merci, il n’en est rien. Donc, un peu plus d’énergie, s’il vous plaît ! « Mais, soupire la Commune, il me semble que j’ai fait ce que j’ai pu. Grâce à Jourde qui fait oublier Law, et à Dereure qui a été cordonnier, — le savetier et le financier, — j’encaisse tous les jours le prix brut de la vente des tabacs, ce qui constitue une assez jolie spéculation, puisque je n’ai eu à payer ni la matière première ni la main-d’œuvre. J’ai, en outre, grâce à ce que j’appelle le « produit régulier des services publics, » un bon nombre de petits revenus qui ne me coûtent pas grand’chose et qui me rapportent beaucoup. Tenez, voyez la Poste, par exemple ! Je me garde bien d’expédier aucune des lettres qui me sont confiées, et je m’en fais payer l’affranchissement, qui consiste en un paraphe de mes employés. Cela est assez habile, je suppose. Enfin, aujourd’hui, j’ai humblement prié les compagnies de chemins de fer de vouloir bien verser dans ma poche la somme de deux millions de francs : la compagnie du Nord m’offrira trois cent trois mille francs ; la compagnie de l’Ouest deux cent soixante-quinze mille francs ; la compagnie de l’Est trois cent cinquante-quatre mille francs ; la compagnie de Lyon six cent quatre-vingt-douze mille francs ; la compagnie d’Orléans trois cent soixante-seize mille francs. C’est mon délégué aux finances, M. Jourde, la forte tête de la troupe, qui a imaginé cette combinaison. Et, en vérité, je trouve que je fais tout ce que je peux, et que vous avez tort de vouloir m’humilier en me comparant à Collé qui avait du bon, mais qui, en somme, ne me valait pas ! » Mon Dieu, chère Commune, je ne nie que vous n’ayez d’excellentes dispositions ; j’approuve les tabacs et le produit des services publics, dans lequel vous comprenez, n’est-ce pas ? le bénéfice des expéditions nocturnes autour des caisses publiques et autres, et vos visites fructueuses dans les églises. Quant à l’impôt sur les chemins de fer, il m’inspire une admiration voisine de l’enthousiasme. Mais, pour l’amour de Dieu ! ne vous en tenez pas là ! On n’a rien fait tant qu’il reste quelque chose à faire. Quoi ! vous perdez le temps à compter vos revenus, lorsqu’il y a tant d’occasions de les augmenter ? N’y a-t-il pas de banquiers à Paris ? pas d’agents de change ? pas de notaires ? Envoyez-moi de braves patriotes chez tous ces réactionnaires. Cent mille francs d’un côté, deux cent mille francs de l’autre, c’est toujours bon à prendre. Les petits ruisseaux font les grandes rivières. À votre place, je ne négligerais pas non plus les comptoirs des boutiquiers ni les tiroirs des rentiers. Ce sont des bourgeois, ces gens-là ; et la bourgeoisie est votre ennemie. Prélevez, morbleu ! prélevez ! Ne faut-il pas faire des rentes aux bonnes amies de vos bons amis ! Manquez-vous de fausses clefs, par hasard ? Bah ! vous en ferez faire ; il y a bien, parmi vos membres, un ou deux serruriers. Considérez Pilotel ! c’est un vrai homme, celui-là ! Il n’y avait que huit cents francs dans le secrétaire de M. Chaudey ; il a pris les huit cents francs. C’est ainsi qu’on fait les bonnes maisons et les bons gouvernements. Et là où il n’y aura pas d’argent, empoignez-moi les marchandises, les meubles, tout ! Vous ne manquez pas de recéleurs, je pense. On racontait hier que vous aviez envoyé à Londres les Titien et les Véronèse du Louvre, afin de vous en faire de l’argent. C’était une excellente mesure, cela, et je me l’expliquais d’autant mieux que M. Courbet devait avoir bonne envie de se débarrasser de ces deux peintres pour lesquels il éprouve une haine profonde et bien légitime. Mais, hélas ! c’était un faux bruit ! vous vous êtes bornée à mettre en vente les matériaux qui composent la colonne de la place Vendôme et que vous avez divisés en quatre lots : deux lots de matériaux et deux lots de métaux. Deux lots seulement ? Vous ne savez pas faire valoir la marchandise. Il y a autre chose que des matériaux et des métaux dans la colonne, il y a en elle ce qu’un tas d’imbéciles appelaient autrefois la gloire de la France. Le joli spectacle, lorsque après la vente terminée, les brocanteurs emporteront sous le bras, qui un morceau de Wagram, qui un morceau d’Iéna ! Tel qui n’aura cru acheter qu’un kilogramme de bronze, aura acquis le premier consul à Arcole ou l’empereur à Austerlitz. Il est fâcheux que vous n’ayez pas prévenu les surenchérisseurs de la valeur de l’objet en vente ; votre spéculation eût été meilleure. Vous êtes fort maladroite, Commune, ma mie, et vous ne savez pas profiter de la situation. Réparez vos fautes ! imposez, prenez, volez ! Tout est à vous, ne dédaignez rien, et ne craignez pas qu’on vous résiste ; tout le monde a peur. Tenez, j’ai cinq francs dans ma poche, les voulez-vous ?