LXIV.

Ah ! non pas, non pas, Monsieur Félix Pyat, vous y resterez s’il vous plaît ! vous en avez été, vous en êtes, vous en serez. Il est bon que vous récitiez tous les temps du verbe. Je ne m’étonne pas que, voyant les choses mal tourner, un homme aussi habile que vous ait jugé à propos de donner sa démission. Quand la maison brûle, on saute par la fenêtre. Mais vous aurez été habile en pure perte, car vos aimables confrères vous attendent dans la rue afin de vous ramener en plein incendie. C’est en vain que vous aurez écrit la lettre suivante, un chef-d’œuvre, au président de la Commune :

« Citoyen président, si je n’avais été retenu au ministère de la guerre le jour où la question des élections a été tranchée, j’aurais voté avec la minorité de la Commune.

« Je crois que la majorité, cette fois, s’est trompée. »

« Cette fois » est poli.

« Je doute qu’elle veuille revenir sur son erreur. »

Dame ! c’est que si elle revenait chaque fois qu’elle se trompe, elle n’avancerait guère !

« Mais je crois que les élus n’ont pas le droit de remplacer les électeurs. Je crois que les mandataires n’ont pas le droit de se substituer au souverain. Je crois que la Commune ne peut créer aucun de ses membres, ni les faire, ni les parfaire ; qu’ainsi elle ne peut de son chef fournir l’appoint qui leur manque pour leur nomination légale. »

Oh ! la légalité, Monsieur Félix Pyat, elle est bien démodée, et c’est bon pour Versailles, cela.

« Je crois enfin, puisque la guerre a changé la population… »

Oh ! oui, la guerre a changé la population, sinon comme vous l’entendez, du moins dans ce sens que beaucoup de gens raisonnables, je ne dis pas cela pour vous, sont devenus des fous, et que bien des vivants sont devenus des morts !

« … Je crois qu’il était juste de changer la loi plutôt que de la violer. Née du vote, en se complétant sans lui, la Commune se suicide. Je ne veux pas être complice de la faute. »

Nous comprenons cela ; c’est déjà bien assez d’être complice du crime.

« Je suis convaincu de ces vérités au point que si la Commune persiste dans ce que j’appelle une usurpation du pouvoir électif, je ne pourrais concilier le respect dû au vote de majorité avec celui dû à ma conscience ; et alors je serais forcé, à mon grand regret, de donner, avant la victoire, ma démission de membre de la Commune.

« Salut et fraternité,

« Félix Pyat. »


« Avant la victoire, » est infiniment spirituel ! Mais, entraîné par le désir de laisser voir tout l’esprit qu’il a, M. Félix Pyat ne s’est pas aperçu que son ironie était un peu trop transparente, que « avant la victoire » signifiait trop évidemment a avant la défaite, » et que, par conséquent, sans tenir compte des excellentes raisons déduites dans la lettre au président de la Commune, on se bornerait à se rappeler que les rats s’en vont quand le navire va sombrer. Cette fois, les rats resteront à fond de cale. Vos collègues, Monsieur Pyat, ne vous permettront de vous dérober seul à l’honneur, puisque vous aurez été comme eux à la peine. N’osant fuir, ils vous feront rester. Vermorel vous empoignera par le collet de votre habit, au moment où vous vous aviseriez d’ouvrir la porte pour vous esquiver, et M. Pierre Denis, qui a été poète du temps qu’il était cordonnier, murmurera à votre oreille ces vers de Victor Hugo qui, avec peu de modifications, s’adapteraient fort bien à votre cas :


Maintenant il se dit : — L’empire ost chancelant ;
        La victoire est peu sûre.
Il cherche à s’en aller, furtif et reculant.
        Reste dans la masure !


Tu dis : Le plafond croule ; ils vont, si l’on me voit,
        Empêcher que je sorte.
N’osant rester ni fuir, tu regardes le toit,
        Tu regardes la porte.

Tu mets timidement la main sur le verrou ;
        Reste en leurs rangs funèbres !
Reste ! La loi qu’ils ont enfouie en un trou
        Est là dans les ténèbres.

Reste ! Elle est là, le flanc percé de leurs couteaux,
        Gisante, et sur sa bière
Ils ont mis une dalle. Un pan de ton manteau
        Est pris sous cette pierre !

Tu ne t’en iras pas ! Quoi ! quitter leur maison !
        Et fuir leur destinée !
Quoi 1 tu voudrais trahir jusqu’à la trahison
        Elle-même indignée !

Quoi ! n’as-tu pas tenu l’échelle à ces fripons
        En pleine connivence ?
Le sac de ces voleurs ne fut-il pas, réponds,
        Cousu par toi d’avance ?

Les mensonges, la haine au dard froid et visqueux,
        Habitent ce repaire ;
Tu t’en vas ! De quel droit, étant plus renard qu’eux
        Et plus qu’elle vipère ?


Et M. Félix Pyat restera, oui, malgré toutes les bonnes raisons qu’il aurait pour aller faire un tour en Belgique. Ses collègues le prendront, s’il le faut, par la douceur. « Vous êtes bon, vous êtes grand, vous êtes pur ; que deviendrions-nous sans vous ? » Et enfin, il ne le lâcheront pas, comme ces poltrons qui, dans un grand danger, s’attachent à leurs compagnons, en criant chaleureusement : « Mourons ensemble ! » et les embrassent pour qu’ils ne puissent pas s’en aller.