LX

Hé ! c’est justement parce que les hommes qu’ils envoient à la mort se battent avec un héroïque courage, que nous en voulons aux membres de la Commune. Qu’ils soient maudits de dilapider de la sorte la richesse morale de Paris ! Qu’ils soient maudits d’employer au service d’une mauvaise cause les admirables forces dont le hasard d’une émeute triomphante leur permet de disposer ! Laissez-moi vous raconter ce qui s’est passé hier, 22 avril, sur le boulevard Bineau, et reconnaissons avec joie que la France — qui a perdu tant de choses — peut du moins compter encore sur la bravoure souriante qui a été son antique honneur.

Un enfant de dix-sept ans, clairon de son métier, marchait en tête de sa compagnie qui avait été chargée d’aller occuper une barricade abandonnée par les Versaillais. Quand je dis qu’il marchait, je me trompe ; la vérité est que, précédant les gardes nationaux d’une centaine de pas, il faisait la roue, le saut périlleux et autres exercices familiers aux clowns et aux gavroches. Il arriva ainsi devant la barricade, lui fit un pied de nez, s’élança, et, en quatre bonds, retomba de l’autre côté sur les mains. Mais la barricade n’était pas abandonnée ! Le petit clairon fut immédiatement cerné par un assez grand nombre de lignards, qui se dissimulaient derrière les pavés et les sacs de terre pour envelopper la compagnie quand elle viendrait, sans défiance, occuper la position. Les chassepots s’abaissèrent vers le pauvre gamin et un sergent lui dit :

— Si tu fais un pas, si tu pousses un cri, on te tue !

Que fit le clairon ? Il se précipita vers le haut de la barricade, et hurla de toute la force de ses poumons :

— N’entrez pas ! il y a quelqu’un !

Puis il retomba percé de quatre balles ; mais sa compagnie était sauvée.