XXXIX.

Où est Bergeret ? Qu’a-t-on fait de Bergeret ? Bergeret nous manque, on n’a pas le droit de supprimer le Bergeret, qui, selon l’affiche officielle, était « lui-même » à Neuilly, le Bergeret qui allait en calèche à la bataille, le Bergeret qui mêlait un peu de gaieté à notre détresse. Qu’on lui retire son commandement, je le veux bien ; qu’on le donne à n’importe qui, je ne m’y oppose pas ; mais qu’on le laisse libre de nous faire sourire ; hélas ! les occasions n’en sont que trop rares ! Le bruit court qu’on l’a envoyé à la Conciergerie, cet excellent Bergeret, et pourquoi l’a-t-on traité de la sorte ? parce qu’il a fait battre l’armée des fédérés en voulant la conduire à Versailles.

Eh bien, citoyens, si j’osais donner mon humble avis sur ce point, je me hasarderais à insinuer que le plan du citoyen Bergeret — qui a complètement échoué, je le reconnais — était, dans le cas présent, le seul possible, le seul bon, le seul capable de transformer en révolution triomphante l’émeute de Montmartre devenue la Commune de Paris.

Raisonnons un peu, s’il vous plaît. La lutte de Paris seul contre la France entière vous paraît-elle possible ? Non. Et certainement, aujourd’hui, après les désastres de l’insurrection communale à Marseille, à Lyon, à Toulouse, désastres que vos mensonges officiels ont en vain essayé de transformer en succès, aujourd’hui, dis-je, vous ne pouvez conserver aucune illusion sur le concours de la province. Donc, dans peu de jours, vous aurez devant vos remparts, autour de vos forteresses démantelées, le pays tout entier, et alors, vous serez perdus, oui, perdus, malgré l’héroïsme incontestable des Parisiens séduits que vous menez à un massacre certain. La seule espérance que vous pouviez raisonnablement concevoir était celle-ci : profiter du premier moment de surprise, de désarroi, que l’émeute victorieuse avait mis dans le petit nombre de soldats hésitants qui étaient alors toute l’armée française, pour surprendre Versailles, mal défendu encore, et pour enlever, s’il était possible, l’Assemblée et le Gouvernement. Il fallait que votre brusque émeute se continuât en coup de main. Il y avait là un espoir bien léger, bien incertain, je le confesse, mais enfin un espoir, et le plan de Bergeret, justement à cause de son audace, de sa violence, n’aurait pas dû être renié par vous, qui n’aviez réussi que par la violence et l’audace, et dont le succès ne pouvait se maintenir que par les mêmes moyens. Maintenant, que ferez-vous ? Vous résisterez ? À la France entière ? Aux ennemis intérieurs ? Aux ennemis extérieurs dont le nombre et la confiance augmenteront de jour en jour ? Votre défaite est certaine, et ce n’est désormais qu’une affaire de temps. Vous avez eu décidément tort de mettre Bergeret « à l’ombre, » comme on dit à l’Hôtel de Ville, — d’abord parce qu’il nous réjouissait, et ensuite parce qu’il avait tenté la seule chose susceptible de vous sauver. Il n’y avait qu’un fou qui pût faire réussir une folie.