XXXVIII.

Cela était-il vrai ? Je ne pouvais y croire. Était-il possible que Paris, une seconde fois, fût bombardé ? et bombardé par qui ? par des Français. En dépit du danger qu’il y avait, disait-on, à se rapprocher de Neuilly, j’ai voulu voir les choses de mes propres yeux, et, ce matin, 8 avril, je suis allé aux Champs-Élysées.

Jusqu’au rond-point, rien de particulier, si ce n’est plus de solitude que les jours précédents. L’omnibus s’arrête à la hauteur de l’avenue de Marigny. Une Anglaise, que le conducteur prie de descendre, me demande son chemin ; elle voudrait aller rue Galilée, mais elle n’ose pas suivre la grande avenue ; je lui indique une rue latérale, et je continue mon chemin. Voici un cordon de gardes nationaux ; espacés de dix en dix pas, ils interrompent la circulation.

— On ne passe pas !

— Mais, répliquai-je…

Et je m’interrompis, cherchant quelque motif plausible pour justifier mon insistance. Il n’en fut pas besoin ; bien que je me fusse borné à dire : Mais… Le factionnaire jugea l’explication suffisante, et reprit :

— C’est différent, passez.

À mesure qu’on monte, l’avenue est plus en plus déserte. Les volets de toutes les maisons sont fermés. De loin en loin, un passant longe les murs par prudence, prêt à se réfugier dans l’une des portes cochères restées ouvertes par ordre, dès qu’il entendra le sifflement d’un obus. Devant la boutique d’un carrossier, hermétiquement close, des fusils sont rangés en faisceaux ; la plupart des gardes dorment étendus sur le trottoir ; d’autres font les cent pas, la pipe à la bouche ; quelques-uns jouent au bouchon. J’entends dire qu’un obus a éclaté, il y a un quart d’heure, au coin de l’avenue et de la rue de Morny. Un capitaine était là, assis par terre, à côté de sa femme qui venait de lui apporter à déjeuner ; le capitaine a été littéralement coupé en deux ; on a transporté la femme, grièvement blessée, dans une pharmacie qui se trouve à côté du bureau des omnibus. On m’as » sure qu’elle y est encore, et, retournant sur mes pas, je me dirige de ce côté. Il y a un petit groupe devant la boutique. J’essaye de me faire jour, mais je ne vois rien, car la blessée a été portée dans le laboratoire. J’apprends seulement qu’elle a reçu un éclat d’obus dans le cou et qu’elle reçoit les soins d’un médecin des ambulances de la Presse. Je reprends ma route. La canonnade, qui semblait interrompue, reprend avec une rare vigueur ; des fumées blanches s’élèvent de la Porte-Maillot ; des boîtes à mitraille, envoyées par le Mont-Valérien, éclatent au-dessus de l’Arc-de-Triomphe. J’avance toujours. À droite, à gauche, des compagnies de fédérés. Plus loin, un bataillon à peu près complet, l’arme sur l’épaule droite, des casseroles sur le dos, des pains au bout des baïonnettes, s’ébranle dans la direction de la Porte-Maillot. À côté du capitaine de la première compagnie, marche une femme qui porte un uniforme singulier : une jupe de cantinière, une vareuse de garde national, et là-dessus un bonnet phrygien ; elle a un chassepot sur l’épaule et un revolver à la ceinture ; elle me paraît jeune et assez jolie. J’interroge quelques fédérés : l’un me dit que c’est la femme du citoyen Eudes, membre de la Commune ; un autre m’assure que c’est une marchande de journaux de l’avenue des Ternes, dont le fils, un petit garçon de trois ans, a été tué hier soir, rue des Acacias, par un éclat d’obus, et qui a juré de venger son enfant. J’apprends aussi que ce bataillon va soutenir les combattants de Neuilly, qui en ce moment faiblissent. D’après les bruits qui circulent, les gendarmes et les sergents de ville se seraient avancés jusqu’à la rue des Huissiers. Je suis assez porté à croire que les généraux de l’Assemblée nationale n’ont pas négligé d’employer les sergents de ville et les gendarmes, qui sont, les premiers, d’anciens soldats, et les seconds, de bons soldats ; mais, en vérité, s’il y en avait partout où l’imagination des fédérés persiste à en voir, il faudrait qu’ils fussent plus nombreux que les grains de sable de la mer, ou que leurs chefs aient réussi à les douer du don d’ubiquité. Cependant, je suis le bataillon, et nous nous trouvons à cinquante mètres environ de l’Arc-de-Triomphe. Un sifflement rapide, aigu, tortueux, commence au loin, redouble et vient à nous ; cela fait à peu près le bruit d’une fusée d’artifice qui s’enlève. Gare à l’obus ! crie un sergent, et en un clin d’œil le bataillon s’abat ventre à terre, avec un bruit de baïonnettes qui se froissent et de casseroles heurtées. Il y avait quelque danger en effet. Le projectile s’abat et éclate, avec un bruit formidable, à peu de distance de nous, sur le trottoir, devant la dernière maison de l’avenue, à gauche. Je n’avais jamais vu de si près éclater un obus. On peut se faire une idée de ce spectacle, en regardant les peintures naïves que portent, pendues à leurs cous, certains mendiants aveugles, et qui représentent un sinistre dans une mine. D’ailleurs, je ne crois pas que personne ait été atteint, et les dégâts matériels paraissent se borner à un grand trou dans le bitume et à une porte enfoncée. Le bataillon se relève, et plusieurs gardes s’en détachent pour aller ramasser des éclats ; ils ont à peine fait quelques pas, qu’une seconde fois retentit le cri d’alarme, précédé du terrible sifflement, et, de nouveau, nous voilà tous couchés. Le second projectile éclate, mais nous ne l’avons pas vu tomber ; nous voyons seulement, au dernier étage de la maison qui a déjà été atteinte, une fenêtre s’ouvrir brusquement et les carreaux de vitre brisés s’émietter dans la rue. Il est probable que l’obus est tombé sur le toit et l’a effondré. N’y avait-il personne dans les mansardes ? Nous sommes debout, et nous tournons l’Arc-de-Triomphe. Je me suis adroitement insinué dans la confiance de i’arrière-garde, et j’espère pouvoir aller aussi loin qu’il me plaira. Chose singulière ! et que j’avoue avec une fierté naïve : je n’ai pas peur du tout. Une inclinaison d’un centimètre de plus dans la direction de l’obusier, et je pouvais être haché en miettes ; n’importe, je suis plus que jamais disposé à marcher en avant. Je commence à croire qu’il n’est pas très-difficile d’être brave, — quand on n’est pas un poltron. Sous l’arche immense du monument, il y a une centaine de curieux qui se croient à l’abri, et qui, de temps en temps, avancent leurs têtes pour examiner les dégâts que viennent de faire trois projectiles successifs au groupe du sculpteur Etex. Mais sur l’avenue de la Grande-Armée, on ne voit guère que des fédérés, et je suis peut-être le seul homme sans uniforme qu’on ait laissé aller jusque-là. Je vois distinctement une petite barricade, élevée devant la Porte-Maillot, de ce côté des remparts. Le bastion de droite canonne vigoureusement les hauteurs de Courbevoie ; d’énormes bouffées de fumée, presque immédiatement accompagnées d’effroyables détonations, certifient le zèle des artilleurs de la Commune. Au delà, l’avenue de Neuilly s’étend, longue, solitaire, poussiéreuse ; d’ailleurs le soleil m’aveugle, et je ne distingue qu’imparfaitement les objets. Mais la fusillade commence à devenir très-distincte ; on se bat surtout à Saint-James, — je me souviens de la petite maison que j’habitais, en face du bois de Boulogne, — et dans l’ancien parc de Neuilly. Je voudrais suivre le bataillon au delà des portes, mais un officier m’aperçoit, et, sans la moindre politesse, m’intime l’ordre de rétrograder. Il me rend service d’ailleurs ; car, bien que depuis un instant le feu des batteries versaillaises ait diminué d’intensité, la place ne doit pas être longtemps tenable, si j’en juge par les débris d’obus qui jonchent çà et là le sol, par des brancards que l’on emporte, et où l’on aperçoit des matelas rougis de sang ; par la gare, presque entièrement effondrée, et par les maisons voisines, qui, presque toutes, ont de grands trous dans leurs façades. D’ailleurs, les fédérés ne paraissent pas s’émouvoir outre mesure de leur situation délicate. On entend de grands éclats de rire sortir d’une casemate dont la cheminée fume, et les gardes, qui vont çà et là, sifflent le Chant du Départ, de l’air le plus satisfait du monde. Je gagne la rue du Débarcadère, très-rapprochée du rempart. Une de mes parentes demeure au no 4 ; elle a déménagé ; mais la concierge me reconnaîtra et me permettra sans doute de m’installer à quelque fenêtre. Dans la maison voisine, qui fait le coin, un obus est entré chez le marchand de vins, qui se serait bien passé de ce visiteur, et s’y est conduit d’une façon peu convenable, brisant les glaces, estropiant les tables, enfonçant le comptoir, mais n’a tué ni blessé personne. Le concierge du no 4 me reconnaît en effet, et je m’introduis dans le domicile de ma parente, situé au troisième étage.

De la croisée, je ne puis pas voir le bastion, qui m’est caché par la gare ; mais au loin, à gauche, au delà du bois de Boulogne, où il semble que j’aperçois des mouvements de troupes à travers les branches — sont-ce des Versaillais ? sont-ce des Parisiens ? — s’élève, énorme : et baigné de soleil, le Mont-Valérien. Les étincelles, qui ont en plein jour l’éclat pale de l’argent, se succèdent avec rapidité, les détonations retentissent, et le géant a une tiare de fumée. Je crois qu’il tire dans la direction deLcvallois plutôt que sur la Porte-Maillot. Les fédérés ne songent pas à lui répondre. En détournant, un peu mes regards vers la droite, je domine presque entièrement l’avenue de Neuilly. Les terrains dénudés qui forment ce qu’on appelle la zone militaire sont absolument déserts ; plusieurs obus y tombent, qui étaient évidemment destinés à la Porte-Maillot ou au bastion. Ma situation à la fenêtre n’est pas exempte de tout péril ; je suis justement derrière le bastion. Après la zone militaire, les maisons semblent abandonnées, mais je vois distinctement des gardes nationaux qui font la soupe sur le trottoir du restaurant Gillet. Je suis trop éloigné pour juger du dégât qu’ont dû occasionner les projectiles ; j’ai entendu dire que bien des toits, de ce côté, ont été effondrés, bien des murailles renversées. Tout ce que je puis apercevoir de la place du Marché est désert, mais un bruit de fusillade et des fumées qui s’élèvent d’un des côtés de la place me révèlent que les fédérés y sont en assez grand nombre. Plus loin encore, je vois des fusils aux fenêtres, et des fumées qui montent ; par instant des groupes de combattants traversent l’avenue au pas de course et disparaissent dans les maisons. Quant au pont, précédé d’une ligne sombre qui est une barricade, il ne m’apparaît que très-confusément, grâce à l’éloignement, au soleil qui m’aveugle et peut-être aussi à l’émotion que me causent le désir à la fois et la crainte de voir. Ce qui me surprend surtout dans la bataille à laquelle j’assiste, c’est le petit nombre de combattants visibles. Mais voici que tout à coup — il est environ deux heures de l’aprèsmidi — les batteries versaillaises de Courbevoie, silencieuses depuis assez longtemps, se mettent à tirer avec fureur. L’horrible toux des mitrailleuses couvre le sifflement des obus ; tout le fond de la longue avenue est baigné d’un brouillard blanc. Le bastion riposte énergiquement ; il me semble que l’on me déchire le dedans de l’oreille, et brusquement j’entends un bruit sourd, sec, énorme, que je n’avais pas entendu encore, et je sens que la maison a tremblé. Les gardes nationaux du rempart poussent de grands cris ; je crois qu’une volée de projectiles a éventré le pont-levis de la Porte-Maillot. Cependant, là-bas, les nuages de fumée se rapprochent évidemment, et les fusillades plus intenses paraissent aussi plus voisines. J’ai l’impression qu’une poussée terrible vient de Courbevoie. Les Versaillais marchent-ils en avant ? Les obus dépassent la porte dans la direction des Champs-Élysées. Je distingue un grouillement tumultueux qui marche, dans la fumée, dans la poussière, sous le soleil. Le bastion tonne avec une rage croissante. Je ne puis plus en douter, les Versaillais s’avancent : ils ont des pantalons rouges ; ce sont des lignards. Les maisons de l’avenue les fusillent au passage. Je vois une troupe s’arrêter, hésiter sous les balles qui me paraissent partir de la place du Marché, puis se retirer. Alors, des maisons sortent, en grand nombre, des fédérés, qui marchent le long des murs, sans doute pour se dérober à la mitraille de Courbevoie, et poursuivent la retraite de l’ennemi. Mais bientôt, et justement au point où la distance ne me permet plus de rien distinguer avec netteté, ils s’arrêtent à leur tour, puis reviennent sur leurs pas, se cachent dans les maisons, et alors le feu des batteries versaillaises se ralentit, tandis que celui du bastion continue sa furieuse attaque.

J’ai assisté à une de ces allées et venues sous la mitraille et les balles, si communes de part et d’autre, depuis que l’horrible guerre civile s’est centralisée à Neuilly.

Comme il serait souverainement imprudent de longer la voie du chemin de fer ou de s’engager dans l’avenue de la Grande-Armée où les projectiles Versaillais n’ont pas tout à fait cessé de tomber, je suis la rue du Débarcadère, puis la rue Saint-Ferdinand, et me voilà sur la place des Ternes, devant l’église. Ce quartier est funèbre. Très-voisin des remparts, il est très-exposé, et déjà il a beaucoup souffert. Presque toutes les boutiques sont fermées ; les vendeurs de victuailles et de vins laissent leurs portes entre-bâillées ; sur beaucoup de devantures, on lit ces mots tracés à la craie : « Adressez-vous sous la porte cochère. » Je remarque que l’église est ouverte : une église ouverte, ces jours-ci, c’est une chose rare. Quoi ! la Commune a-t-elle commis l’inqualifiable imprudence de ne pas faire arrêter le curé de l’église Saint-Ferdinand ? et pousse-t-elle la longanimité — puisse-t-elle ne pas avoir à se repentir de sa faiblesse ! — jusqu’à permettre aux habitants des Ternes d’être baptisés, mariés, enterrés, selon les déplorables us et coutumes du catholicisme, heureusement tombés en désuétude dans les autres quartiers de Paris ? Je ne m’étonne plus de l’acharnement des obus dans ce pauvre arrondissement ; le courroux de la déesse Raison — est-ce que nous n’aurons pas bientôt la déesse Raison ? — s’appesantit sur ces quartiers, honte de la capitale, où l’on a encore l’air de croire à l’ancien bon Dieu. Cependant, j’entre dans l’église. Il y a beaucoup de dévotes, et quelques dévotsaussi. On dit les prières des morts sur le cercueil d’une femme nui, d’après ce qu’on meraconte, a reçu hier une balle dans la poitrine, en traversant l’avenue des Ternes, un peu au-dessus de la voie du chemin de fer. Une balle, c’est étrange, mais tout le monde me l’affirme. Il faut donc croire que, hier, les Versaillais, de ce côté du moins, étaient un peu plus près de Paris que les dépêches officielles n’ont daigné nous le dire.

Je reviens dans la rue, me dirigeant vers la place d’Eylau. Des gardes nationaux passent, portant une civière. Je m’approche d’eux.

— Oh ! vous pouvez regarder, me dit l’un.

J’écarte les rideaux de toile bleue et blanche, tout en marchant. Il y a sur le matelas une femme dont la mise annonce une petite bourgeoise et un enfant de deux ou trois ans, celui-ci couché sur la poitrine de la femme. Ils sont très-pâles tous les deux ; un bras de la mère pend, la manche est rouge, la main manque.

— Où ont-ils été blessés ? demandé-je.

— Blessés ? ils sont morts. C’est la femme et l’enfant du marchand de vélocipèdes de l’avenue Wagram. Si vous voulez vous charger d’aller lui apprendre la nouvelle, vous nous rendrez un fier service.

Ainsi donc, c’est vrai, certain, incontestable. Les balles et les obus des Versaillais ne se contentent pas de tuer des combattants et de battre en brèche les forts et les remparts. Ils tuent des femmes, des enfants, des gens qui passent, et non-seulement ceux qu’une curiosité imprudente attire là où ils n’ont que faire, mais ceux qui, indispensablement, pour aller acheter du pain, se hasardent un instant dans les rues de leurs quartiers. Ce ne sont pas uniquement les édifices très-rapprochés des murs de la ville qu’atteignent les obus de l’Assemblée nationale ; ils dépassent de beaucoup les lignes de défense, ils effondrent au loin des maisons inoffensives, ils endettent les sculptures des monuments. À cette affirmation, on ne peut répondre : non. Ce que je dis, je l’ai vu, et d’heure en heure, les projectiles parviennent plus avant. Hier ils tombaient sur l’avenue de la Grande-Armée ; aujourd’hui, ils franchissent l’Arc-de-Triomphe ; il vient d’en tomber place d’Eylau et avenue d’Uhrich ; qui sait si, demain, ils n’atteindront pas la place de la Concorde ; si, après-demain, je ne serai pas tué d’un éclat d’obus en traversant le boulevard Montmartre ? Paris bombardé ! Prenez garde, messieurs de l’Assemblée nationale ! Ce que les Prussiens ont fait, — ce qui a fait pousser de si justes clameurs aux gouvernants du 4 septembre — il serait aussi infâme qu’imprudent de le refaire. Tuez des Français qui combattent des Français, puisque tel est, hélas ! l’horrible droit de la guerre civile, mais épargnez les vies et les maisons de ceux qui n’ont pas pris les armes contre vous, qui sont vos alliés peut-être. Vous objecterez que les canons ne sont doués ni d’intelligence ni de miséricorde, et qu’on ne leur fait pas faire tout ce qu’on veut. Eh ! qu’avez-vous donc fait de ces merveilleux artilleurs qui, pendant le siège, démontaient si fréquemment les pièces de l’ennemi, inquiétaient ses travaux avec tant de précision, et qui, à une distance de sept kilomètres, auraient été capables de placer un boulet en équilibre sur la pointe d’un casque Prussien ? Ils sont donc devenus bien maladroits depuis qu’ils ont retourné leurs batteries ? Sans ironie et en un mot comme en cent, vous vous faites le plus grand tort par une cruauté inutile, et un obus, dépassant plus qu’il ne convient les remparts de Paris, est en même temps qu’un crime, une maladresse. Songez bien à ceci, que dans l’affreuse lutte à laquelle nous assistons, la victoire ne restera pas à celui des deux partis qui triomphera de son adversaire par la force — ce triomphe-là, il est certain que vous l’obtiendrez — mais à celui qui, par sa conduite, aura réussi à prouver à la population neutre, qui observe et juge, que le bon droit était de son côté. Je ne conteste pas que votre cause ne soit la meilleure — car si on peut vous reprocher des résistances imprudentes, des attaques maladroites, et une obstination coupable à ne pas démêler ce qu’il y avait de légitime et d’honorable dans les vœux de Paris, on est obligé de convenir que vous représentez, légitimement et légalement, la France tout entière, — je ne conteste pas que le bon droit ne soit en effet de votre côté, mais espérez-vous vous rallier le nombre considérable de Parisiens qui, un instant, s’est défié de vous, en massacrant des promeneurs et en trouant des moellons ? Si ce bombardement continuait, si ce bombardement redoublait de violence, comme il semble tendre à le faire, vous deviendriez odieux, et, alors, eussiez-vouscent fois raison, vous auriez cent fois tort. Donc, il est urgent, s’il vous plaît, de donner quelques ordres aux artilleurs de Gourbevoie et du Mont-Valérien, et de les prier de modérer leur zèle, si vous ne désirez pas que Paris — le Paris neutre — fasse de dangereuses comparaisons entre l’Assemblée qui lui envoie des obus et la Commune qui lui impose des décrets, et se dise un jour que les décrets l’uni moins de mal que les obus. De la légalité, en somme, nous nous en soucions peu ; nous avons tant vu de gouvernements plus légaux les uns que les autres, que, sur ce point, nous sommes blasés, et ce n’est pas quelques millions de suffrages qui nous forceront à trouver la mitraille agréable. Certainement, la Commune, telle que les hommes de l’Hôtel de Ville l’ont faite, ne nous sourit que médiocrement. Elle arrête les prêtres, elle supprime les journaux, elle veut nous incorporer de gré ou de force dans sa garde nationale, elle pille un peu, on le dit du moins, elle ment beaucoup, c’est incontestable, et tout cela est très-gênant ; mais que voulez-vous ! la nature humaine a de ces faiblesses : on aime encore mieux être gêné que bombardé.