XXXV.

Trente tambours voilés, trente clairons pavoises de deuil marchent à la tête de l’immense cortège ; les tambours, par instants, font entendre un roulement lugubre, qui se prolonge et meurt ; le cri clair du clairon est navrant.

Des détachements, très-nombreux, de tous les bataillons viennent ensuite ; on marche avec lenteur, les fusils vers la terre ; il y a des immortelles à toutes les boutonnières, les immortelles sont rouges. Est-ce une manifestation d’un sentiment politique ? Est-ce un symbole de la mort sanglante ?

Puis s’avance, traîné par quatre chevaux noirs, un vaste char, drapé de noir, recouvert en catafalque de velours noir lamé d’étoiles d’argent ; aux quatre coins flottent au vent les sombres drapeaux rouges.

Un autre char paraît, un autre, un autre encore ; dans chacune des voitures mortuaires, il y a trente-deux cadavres.

Derrière les chars marchent des membres de la Commune, la tête nue, ceints d’une écharpe rouge. Hélas ! du rouge toujours.

Enfin, entre une double haie infinie de gardes nationaux, se resserre une foule démesurée d’hommes, de femmes, d’enfants, recueillis, tristes, quelques-uns en pleurs.

Le long cortége suit les boulevards. Il vient de l’hospice Beaujon, il va au Père-Lachaise ; sur son passage toutes les têtes sont nues. Un homme, à une fenêtre, garde son chapeau ; on le hue ; il se découvre. Honte à qui ne salue pas ceux qui sont morts pour une cause qu’ils croyaient juste ! Ne pensez plus, devant ces cadavres qu’on emporte, au mal causé par les hommes qu’ils furent ; ils sont morts, ils sont sacrés. Mais songez, — oh ! à cela, songez-y ! — que c’est au crime de quelques-uns qu’est due la mort d’un si grand nombre, et hâtez de tous vos vœux l’heure où s’appesantira sur les coupables, quels qu’ils soient, à quel parti qu’ils appartiennent, l’inexorable vindicte qui précipite les destinées humaines.