XXXII.

Au milieu de tant d’événements horribles et qui intéressent le pays tout entier, dois-je donner place à une douleur qui n’a brisé qu’un seul cœur ? Oui, le plus petit détail n’est pas sans importance dans le plus vaste tableau.

C’était un convoi d’enfant. La caisse de frêne, mal recouverte d’un petit drap noir, n’était pas plus grande, comme dit Théophile Gautier, qu’un étui de violon. Peu de monde dans le cortège : une vieille femme, la mère sans doute, en robe de laine noire, avec un bonnet blanc tuyauté ; elle tenait par la main un petit garçon qui n’était pas encore à l’âge où l’on pleure ; derrière elle, des femmes, des voisines sans doute, jacassant. Le convoi suivait une large rue sous l’admirable soleil.

Quand on fut devant l’église, il arriva ceci que l’église était fermée. Cependant, la veille, on avait donné de l’argent pour la messe, et l’heure de la cérémonie était fixée. Une des voisines se détacha du cortège et se dirigea vers la petite porte de la sacristie ; elle fut reçue par un garde national qui lui cria : « On ne passe pas ! » Il daigna d’ailleurs lui apprendre que le curé, le sacristain et tous les j…f… de l’église avaient été mis sous clé pour qu’ils ne pussent plus nuire aux b…b… de patriotes. La mère s’était rapprochée.

— Eh bien, dit-elle, qui enterrera mon enfant, si on a mis le curé en prison ?

Et la pauvre vieille femme se mit à sangloter en songeant qu’il n’y aurait pas de prières pour cette petite âme et qu’on ne jetterait pas d’eau bénite sur ce petit cercueil.

Mon Dieu ! oui, messieursde la Commune, elle pleura ; elle pleura bien plus encore quand, plus tard, au cimetière, elle vit descendre dans la fosse le cher cadavre dont l’âme n’avait pas été recommandée au bon Dieu. Que voulez-vous ? Il ne faut pas lui en vouloir, c’était un esprit faible, une pauvre femme aux idées étroites. Il y a encore de ces mères, indignes, je le reconnais, de donner des citoyens à la patrie, qui ne veulent pas qu’on ensevelisse leurs enfants comme on enterrerait un chien ; elles ne savent pas que prier est un crime, que s’agenouiller est un forfait, et que dire à Dieu : « Je vous adore, » est une offense à l’humanité tout entière ; elles ont encore la faiblesse de vouloir que l’on plante une croix sur les tombes de ceux qu’elles pleurent. Une croix au XIXe siècle ! un drapeau rouge, à la bonne heure !