XIX.

C’en est fait ! Nous avons un « Conseil municipal, » disent les uns, « une Commune, » disent les autres. Régulièrement élue ? Non, mais enfin, élue. Quatre-vingts conseillers. Parmi eux, soixante inconnus. Qui donc les a recommandés, disons mieux, imposés à leurs électeurs ? Y a-t-il véritablement une puissance occulte agissant sous le couvert de l’ex-Comité central ? La Commune n’est-elle qu’un prétexte ? Sommes-nous en présence, non pas d’un mouvement municipal, mais d’une révolution politique ou plutôt sociale ? J’ai entendu prononcer ces mots par un partisan des idées nouvelles : « Le prolétariat revendique ses droits injustement détenus par l’aristocratie bourgeoise. Voici le 89 des travailleurs ! » 89 ou 93 ? Une autre personne, exprimant absolument la même chose sous une forme tout à fait différente, m’a dit : « C’est la révolte de la canaille contre toute suprématie, suprématie de la fortune et suprématie de l’intelligence. On a proclamé l’égalité des hommes devant la loi ; on proclamera l’égalité des intelligences. Le suffrage universel sera remplacé par le hasard. Il y a eu un temps à Athènes où l’on tirait d’un sac, comme on joue au loto, les noms de ceux qui seraient archontes. » En attendant que la révolution actuelle révèle nettement ses tendances, que doit-on penser des inconnus qui la représentent ? Un homme, en qui j’ai la plus grande confiance, qui a consacré sa vie entière à l’étude des questions sociales, qui, par suite, a été mêlé à presque tous les groupes révolutionnaires et connaît la plupart de leurs chefs, me disait, il y a un instant, en parlant de nos conseillers municipaux : « Ce sera une Assemblée composée des éléments les plus divers. Tout n’en est pas mauvais, mais tout n’en est pas bon. On peut diviser l’ensemble en trois portions : Une dizaine de gens sérieux affiliés à Internationale, qui ont pensé, qui ont travaillé, qui sauront agir peut-être ; parmi ceux-ci, plusieurs étrangers, puis des jeunes gens sans expérience et ardents, dont quelques-uns sont imbus des théories jacobines. Le troisième groupe, le plus considérable, est composé principalement des fruits secs des révolutions antérieures : journalistes, orateurs, conspirateurs ; ils sont remuants, bruyants, brouillons, mais fugaces. Ils n’auront guère d’autre lien entre eux que leur absence commune de liens avec les deux autres parties de l’Assemblée, et se confondront tantôt avec l’une, tantôt avec l’autre. Les membres de l’Internationale ont seuls une réelle valeur politique ; ce sont des socialistes. L’élément jacobin est dangereux. » Si telle est, en effet, la composition de l’Assemblée communale, quels pourront être ses actes ? Attendons, nous verrons bien. Cependant, la cité est calme. Jamais situation plus troublée n’a été en apparence plus paisible. À propos, et les Prussiens ?