XX.

Se défende qui voudra de subir l’irrésistible émotion qu’impose l’enthousiasme des foules ! Je ne suis pas un homme politique, je suis un passant qui voit, écoute et éprouve.

J’étais sur la place de l’Hôtel-de-Ville à l’heure où ont été proclamés les noms des membres de la Commune, et j’écris ces lignes tout ému encore.

Combien d’hommes étaient là ? Cent mille peut-être. D’où venus ? De tous les points de la cité. Les rues voisines regorgeaient d’hommes armés, et les baïonnettes aiguës, étincelant au soleil, faisaient ressembler la place à un champ d’éclairs.

Au milieu de la façade de l’hôtel, s’élève une estrade que domine un buste de la République coiffée du bonnet phrygien ; on a voilé de drapeaux le Henri IV de bronze. Aux fenêtres, des grappes vivantes. Des femmes sur le toit, des enfants accrochés aux sculptures de l’édifice, ou à cheval, dans les médaillons, sur la nuque des bustes.

Un à un les bataillons s’étaient rangés sur la place, en bon ordre, musiques en tête.

Ces musiques jouaient la Marseillaise, reprise en chœur par cinquante mille voix résolues ; ce tonnerre vocal secouait toutes les âmes, et la grande chanson, démodée par nos défaites, avait retrouvé un instant son antique énergie.

Tout à coup, le canon. La chanson redouble, formidable ; une immense houle d’étendards, de baïonnettes et de képis, va, vient, ondule, se resserre devant l’estrade. Le canon tonne toujours, mais on ne l’entend que dans les intervalles du chant. Puis tous les bruits si fondent dans une acclamation unique, voix universelle de l’innombrable multitude, et tous ces hommes n’on qu’un cœur comme ils n’ont qu’une voix.

Sur l’estrade, les membres du Comité ont pris place ; ils portent l’écharpe tricolore. L’un d’eux proclame les noms des conseillers élus.

Alors le canon retentit encore, scandant l’épouvantable voix joyeuse de la foule, qui fait trembler les vitres et remplit tout l’espace.

Ah ! peuple de Paris ! toi, qui, le jour de la « crosse en l’air, » t’enivrais dans les cabarets de Montmartre, toi qui as fourni les assassins de Thomas et de Lecomte, toi qui, rue de la Paix, as fusillé les passants, peuple extraordinaire, exécrable souvent, combien tu sais aussi, dans tes jours de magnificence, être puissamment beau, et quel volcan de passions généreuses brûle donc en toi pour que parfois, à ton approche, les cœurs même de ceux qui te condamnent se sentent dévorés et purifiés par tes flammes !