XVIII.

Foule dans les rues, foule dans les promenades. Pendant ce temps, on vote. Ce soir, tous les théâtres ouvriront leurs portes. Dans le IIe arrondissement, M. Tirard, maire, a beaucoup de chances. Il fait le plus beau soleil du monde ; je me mêle aux promeneurs. Sous le péristyle du théâtre du Châtelet, les électeurs font queue. On s’arrête quelques instants devant des bateleurs qui ont tendu leurs cordes devant la fontaine. Ils sont fort adroits, ma foi ! Dans cet arrondissement, les candidats du Comité central seront certainement élus. Les femmes portent déjà des toilettes de printemps ; robes claires et chapeaux légers. On dit qu’il y a beaucoup de canons à l’Hôtel de Ville. Dans le square des Arts-et-Métiers, des amies se rencontrent : « Vous êtes seule, madame ? » « Oui, madame, j’attends mon mari qui est allé voter. » Les enfants sautent à la corde et disent : « Maman, qu’est-ce que c’est que la Commune ? » Les cochers profitent de la révolution pour exiger des salaires extravagants ; ce qui ne les empêche pas d’avoir des opinions politiques. J’en ai rencontré un qui ne devait pas être favorable au Comité central.

— Cocher, combien la course ?

— Cinq francs, monsieur.

— Eh bien ! soit. À la mairie Drouot !

— Pardon, monsieur. Est-ce que monsieur va voter ?

— Oui.

— Oh ! alors, c’est dix francs.

Je consens, et nous partons. Sur le boulevard de Strasbourg, beaucoup de bourgeois endimanchés, des marchands de livres, de toupies, de parfumerie, de cartes transparentes, et des nuées de mendiants. Dans ce quartier de Paris la révolution ressemble à une foire.

À la mairie du IXe arrondissement, peu de monde. Je cause avec un des membres du bureau.

— Jamais, me répondit-il, on n’a voté avec tant d’emressement.

Je rencontre un ami qui revient de Belleville.

— Eh bien ? dis-je.

— On vote en bon ordre, comme on irait à la bataille. lOn ne choisit pas, on obéit.

— Au Comité central ?

— Oui, mais le Comité lui-même obéit.

— À qui ?

— À l’Internationale, parbleu !

Au coin de la rue Drouot, il y a un groupe devant une affiche. Je crois que l’on commente la proclamation d’un candidat. Pas du tout ; on lit une affiche de théâtre. La foule est compacte et bavarde. Toutes les tables des cafés sont garnies de filles rousses. Çà et là, parmi elles, des Garibaldiens rouges, comme des coquelicots dans des blés. Des estafettes, ventre à terre, passent et repassent, allant d’une section à l’autre. On commence à connaître quelques résultats. À Montrouge, à Bercy, aux Batignolles, au Marais, les membres du Comité central sont élus, dit-on, à une très-forte majorité. « Demandez la grande conspiration du citoyen Thiers contre la République ! » crie un gamin enroué. Un autre hurle : « Voilà de quoi rire ! demandez l’instruction pour les grandes filles qui veulent se marier ! » Il est probable que M. Desmarets sera élu dans le IXe arrondissement. On va, on vient, on se chauffe au soleil. Pendant ce temps, le sort de la cité se décide. Un monsieur passe et dit ; « Il paraît que Lesueur a beaucoup de succès dans la Partie de piquet. » Ah ! Paris, Paris !