XII.

Il est deux heures du matin. M’ennuyant de la longueur des heures, j’écris ces quelques lignes assis sur le seuil d’une porte, en face du restaurant Gatelain, à la lueur d’un réverbère.

Dus la nuit tombante, on a pris des précautions. Qui nous commande ? Noue ne savons pas au juste, mais il nous semble qu’il y a un plan de défense sérieux et exécuté avec prudence. Est-ce l’amiral Saisset qui est à notre tête ? On l’espère. Les Parisiens, si souvent trom- pés par leurs chefs, ont cependant un irrésistible besoin d’avoir confiance en quelqu’un. Ce soir, on croit en l’amiral. De temps en temps, les chefs de bataillon vont se concerter à la mairie et reviennent avec des ordres précis. Nous sommes une véritable armée, dont le centre est place de la Bourse et dont les ailes s’étendent dans tes rues environnantes. Des lignes de gardes nationaux barrent toutes les issues ; à soixante pas devant eux, se promènent des sentinelles avancées, prêtes à se replier à la première alarme et à donner l’éveil. Derrière les lignes qui défendent l’entrée des rues, il semble qu’il n’y ait personne : le silence, la solitude. Mais les maisons sont occupées ; toutes les portes, par ordre, sont ées ouverles ; les fenêtres des premiers étages sont

rebaillées. Chaque compagnie, divisée en trois ou quatre escouades commandées par des sergents, s’est emparée d’une ou de plusieurs maisons. Au premier signal, les portes donnant sur la rue seraient fermées, on se précipiterait aux fenêtres et de là on pourrait faire feu sur les assaillants. Un chef de bataillon nous a dit : « Il est possible que nous soyons attaqués, tenez-vous prêts. À l’approche de l’ennemi, les gardes qui sont aux abords de la rue se replieront sous le feu et trouveront asile dans les maisons. Vous, des fenêtres, vous tirerez sans relâche, vous efforçant d’atteindre les insurgés qui attaqueraient les portes des maisons qui se trouvent en face de vous. Pendant ce temps, le gros de nos forces s’ébranlera et viendra à votre secours, précédé par des mitrailleuses qui balayeront la rue. » Nous attendons, résolus à obéir, assez calmes en général, mais priant Dieu, — on se souvient du Ciel dans ces heures terribles, — de ne pas avoir à employer les armes détestées. La nuit est très-belle. Quelques-uns causent à voix basse sous les portes ; d’autres dorment, dans leurs couvertures, sur les carreaux, la nuque sur la première marche de l’escalier. Aux derniers étages des maisons, quelques habitants curieux veillent encore ; on voit de la lumière à travers les rideaux blancs ; le reste des maisons est sombre. Pas un bruit, sinon quelquefois, sur le boulevard, le son lourd d’une charrette, — c’est peut-être un canon qu’on traîne, — et plus près de nous, le bruit d’un fusil qui glisse le long de la muraille et tombe sur la pierre. D’heure en heure, des pas nombreux et réguliers : c’est notre compagnie de gardes mobiles qui va faire une patrouille ; quand ils reviennent, on les interroge.

— Rien de nouveau ?

— Rien.

— Jusqu’où avez-vous été ?

— Jusqu’à la rue de la Paix.

— Croyez-vous qu’ils attaqueront ?

Et les patrouilles passent, les causeurs reprennent leur conversation, les dormeurs se rendorment. Nous attendons toujours. Veuille le ciel que ce soit en vain !