XI.

La mairie du IIe arrondissement semble destinée à devenir le centre de la résistance au Comité central. Les fédérés n’ont pas pu ou n’ont pas osé l’occuper. Place de la Bourse, rue du Quatre-Septembre, place des Victoires, sont réunis des gardes nationaux du quartier, amis de l’ordre. Assez peu nombreux hier matin, 23 mars, ils ont été renforcés par des bataillons venus un à un de tous les points de Paris. Ils obéissent, disent-ils, à l’amiral Saisset, életé au commandement supérieur de la garde nationale de la Seine. Ils croient qu’il y a des mitrailleuses dans le palais de la Bourse et dans la cour des Messageries. Le massacre de la rue de la Paix a décidé les plus timorés. On éprouve un désir réel d’en finir, par n’importe quels moyens, avec des tyrans qui, ne représentant, en somme, qu’une partie de la population parisienne, veulent dominer la cité tout entière. Ces préparatifs de résistance se font entre l’Hôtel de Ville, où siègent, formidablement défendus, les membres du Comité, et la place Vendôme, regorgeant d’insurgés. Est-ce la guerre civile, l’affreuse guerre civile qui va commencer ? Une compagnie de mobiles est accourue se joindre aux bataillons de l’ordre. Des élèves de l’École polytechnique vont et viennent, de la mairie du IIe arrondissement au Grand-Hôtel, où se trouvent, dit-on, l’amiral Saisset et son état-major. Un triple cordon de gardes nationaux, du côté du boulevard, défend l’entrée de la rue Vivierîne aux voitures et à toutes les personnes étrangères au quartier. Néanmoins, un grand nombre de curieux triomphe de la consigne. Sur la place de la Bourse, le long des faisceaux dont les baïonnettes étincèlent au soleil, il y a une foule qui se promène, parle, gesticule. Je remarque que les poches des gardes nationaux sont singulièrement gonflées ; on a distribué un nombre considérable de cartouches.

La consigne est précise : personne ne doit quitter son poste. Il y a pourtant des hommes qui sont là, debout, sans sommeil, depuis vingt-quatre heures. Même pour fcller dîner, on ne s’éloigne pas du camp des Amis de l’Ordre. On se nourrit où on peut. Ceux qui n’ont pas d’argent, reçoivent des vivres ou vont manger au compte de la mairie dans un restaurant de la rue des Filles-Saint-Thomas. La soupe, le bœuf, un plat de viande, des légumes, et une bouteille de vin. « Quand les fédérés, dit quelqu’un, sauront que non-seulement on nous paye la solde, mais qu’encore on nous fait dîner comme des princes, ils reviendront tous à nous. »

On est très-décidé à obéir aux maires et aux députés de Paris. On s’étonne seulement de ne pas voir le vice-amiral Saisset. Puisqu’il a accepté le commandement, il devrait se montrer. Quelques alarmistes vont jusqu’à insinuer que le vice-amiral hésite encore à organiser la résistance. Mais on ne les écoute pas. En somme, une grande résolution et une certaine confiance. « Nous sommes nombreux, nous sommes dans notre droit, nous triompherons. »

Vers quatre heures, une alarme très-chaude. On crie : Aux armes ! de toutes parts, le tambour bat, le clairon sonne, les compagnies se groupent. On entend le cric-cric des fusils à piston déjà chargés, auxquels on ajoute la capsule et dont on fait redescendre le chien. Le moment de la lutte est arrivé. « Nous sommes plus de dix mille hommes bien armés, bien décidés. » Personne ne reculera. La compagnie de mobiles, au pas de course, va renforcer la ligne de gardes nationaux qui défend l’entrée de la rue Vivienne.

La cause de ce tumulte est un bataillon de Belleville, qui défile sur le boulevard, avec trois pièces de canon.

Que va-t-il se passer ? Arrivés devant la rue Vivienne, les insurgés semblent hésiter, on dirait qu’ils vont faire halte. En un clin d’œil, les boulevards, tout-à-l’heure encombrés de badauds, sont vides ; il n’y a plus un seul café ouvert.

À ce moment, il suffirait d’un coup de fusil tiré par mégarde, — le fait s’est produit deux ou trois fois depuis le matin ; au coin de la rue Saint-Marc, une femme accoudée à la fenêtre a failli être tuée par un maladroit ; — il suffirait même d’un cri inopportun, d’un geste de menace, pour que la bataille éclatât. Personne ne bouge ni ne parle, un qui vive silencieux ; je me sens frémir devant la possibilité d’un irréparable désastre. Ce moment a été, je l’affirme, terrible et solennel.

Mais le bataillon de Belleville continue son chemin en présentant les armes le premier ; nous lui rendons les mêmes honneurs. Il passe, le danger s’éloigne avec lui, un soupir de soulagement sort de toutes les poitrines ; deux secondes plus tard, il y avait foule sur les boulevards.