Les Œuvres de la Foi


Les Œuvres de la Foi


 
I

Jésus, fertilisant de ses sueurs divines
L’héritage où mûrit sa couronne d’épines,
Fait l’œuvre de son père ; et, comme il est écrit,
Passe dans Israël sans asile et proscrit ;
Travaillant dans les pleurs : des miracles qu’il sème,
Des bénédictions payé par l’anathème ;
Se lassant à guérir, dans le flot baptismal,
Les péchés de la terre infatigable au mal.

Des hommes le suivaient que la douleur amène.
À chaque pas, un cri de la misère humaine
Dominant mille cris, voix d’un cœur plus aimant,
Vient au cœur de Jésus frapper plus fortement.
Et la foi sait ravir, forçant Dieu, s’il hésite,
Le don miraculeux que l’amour sollicite.

C’est la Chananéenne et son cœur obstiné,
Et l’espoir maternel jamais déraciné ;
L’Idolâtre, en sa nuit tout à coup éclaircie,
A force de vouloir a connu le Messie,
Le Dieu venu pour tous, mais qui se tient caché
Et dont l’esprit ne luit qu’à ceux qui l’ont cherché.
Or les disciples, las du bruit de sa prière,
De leurs mains sans pitié la poussaient en arrière ;
Mais elle, aux pieds du Christ se traînant à genoux,
Criait : « Fils de David, ayez pitié de nous !
« Délivrez mon enfant que le démon tourmente. »

Et Jésus, retenant sa parole clémente,
Gardait un dur silence, et, prêt à s’émouvoir
Devant ces pleurs sacrés, semblait ne pas les voir ;
Même, pour l’éprouver et donner aux fidèles
De la foi des Gentils d’invincibles modèles,
Il laissa, — lui Jésus ! — tomber ce mot cruel :
« Je ne suis envoyé qu’aux brebis d’Israël. »
Toujours elle priait. Lui, comme sans l’entendre :
« Pour le jeter aux chiens, il n’est pas bon de prendre
« Le pain des fils de Dieu. »

                                     — « Seigneur ! » — d’un ton soumis,
Dit-elle ; — « aux petits chiens du moins il est permis

« De manger à vos pieds les miettes de la table. »

Et Jésus, reprenant son dessein véritable :
« Femme, votre foi donne un grand exemple ; allez !
« Que Dieu fasse pour vous ainsi que vous voulez. » -

Et la mère trouva la joie en sa famille,
Car le démon sur l’heure avait quitté sa fille.


II

Autre part — mais toujours ailleurs que dans Sion, —
Aussi ferme en sa foi, c’est le Centurion ;
Au baptême de feu la charité le lave,
Car il vient, — lui soldat, — prier pour son esclave.

« Maître, un mal inconnu consume avec lenteur
« Et torture en son lit mon pauvre serviteur ! »
« J’irai, — lui dit Jésus, l’encourageant d’un signe, —
« Je le soulagerai.

                             — « Non, je ne suis pas digne, »
Reprit l’humble étranger, — « pour cette guérison,
« De vous voir, ô Seigneur, entrer dans ma maison ;


« Mais dites seulement ! du mal qui nous désole,
« Vous guérirez cette âme avec une parole ! »

Et Jésus se tournant vers les groupes nombreux
S’étonne et parle ainsi : « Parmi tous les Hébreux
« Jamais je n’ai trouvé tant de foi qu’en cet homme !
« Sors et qu’il te soit fait, — dit-il au fils de Rome,
« Selon que tu le crois ! »

                                   Le serviteur chéri
Au retour de son maître était déjà guéri.


III

Heureuse dans sa foi l’âme vaillante et ferme,
De tous les dons du ciel elle a reçu le germe ;
A ses nuits de douleur présageant guérison,
Un rayon vif et pur réchauffe sa prison.
Heureux le cœur soumis au mal expiatoire
Qui, même sans guérir, ne cesse pas de croire ;
Sa souffrance est moins lourde à porter ici-bas
Que les plaisirs du monde au cœur qui ne croit pas.
L’ennui suffit chez l’un pour souffler le blasphème ;
Plus l’autre est torturé, mon Dieu ! plus il vous aime ;

Plus il voit resplendir, adorant vos desseins,
Le trône qui l’attend là-haut, parmi les saints ;
Plus ardent il perçoit, dans sa douleur charnelle,
L’intime vision de la gloire éternelle.

Oui, tandis que l’impie, épris des voluptés,
Ne croit plus aux plaisirs dès qu’il les a goûtés,
L’homme en qui la foi forte a dissipé toute ombre,
Voit au fond des douleurs des voluptés sans nombre ;
Car lui seul, en souffrant, libre de tout remord,
Comme une guérison peut embrasser la mort.


IV

Mon Dieu ! seul de vos créatures,
Pourquoi l’homme peut-il douter ?
Lui né pour vos splendeurs futures
Que nulle autre ne doit goûter.
Tout vous annonce et vous adore :
La nuit sombre croit à l’aurore,
L’hiver croit au printemps vermeil.
L’homme seul hésite, examine ;
Lui que votre verbe illumine,
Il nie en face du soleil !


La foi, la foi seule est féconde ;
La foi nous apprit à semer.
C’est la foi qui peuple le monde ;
Il faut croire pour bien aimer.
Sur la branche humide qui ploie,
Avant que nul fruit ne s’y voie,
C’est la foi qui bâtit les nids.
Montrant des régions plus belles,
La foi porte les hirondelles
Dans les espaces infinis.

Dans l’azur, sans savoir leur route,
Comme des troupeaux familiers,
Les soleils, sans frayeur ni doute,
Marchent, devant Dieu, par milliers.
La foi guide l’œil du prophète ;
Elle fait entendre au poëte
Les bruits qui deviendront des vers.
Au chercheur ardent qui découvre
Par la foi l’horizon qui s’ouvre
Fait voir les nouveaux univers.

La foi, bien mieux que la boussole,
Conduit les cœurs et les vaisseaux.

Le martyr que la foi console
Des lions brave les assauts.
Chaque astre, sur la foi du maître,
Vole à son but, sans le connaître,
Et Dieu te le révèle à toi !
Crois donc, ô raison trop altière !
L’œuvre de la nature entière
N’est qu’un immense acte de foi.


V

Et moi, Seigneur, aussi, je fus rebelle à croire !
Le doute, en ses déserts, m’a longtemps égaré :
Loin du puits de Jacob, où les âmes vont boire ;
Indocile au pasteur, j’ai vécu séparé.

Je tentai l’inconnu dans mon orgueil avide.
Je voulais une source à l’écart du troupeau,
J’ai marché dans la nuit, j’ai sondé dans le vide.
Et l’orgueil m’a partout creusé des puits sans eau.

Un mirage m’appelle à des sources lointaines ;
Mais l’onde, au loin, recule ou tarit devant moi.

De tout humain savoir, j’ai goûté les fontaines,
Et j’en ai rapporté la soif de votre foi.

Mon esprit altéré me devient un supplice ;
Faites pleuvoir en lui quelques larmes du ciel.
Rendez à mes désirs, rendez votre calice,
J’y veux boire, ô mon Dieu, même avec tout son fiel !

J’ai dans ma fièvre encor, j’ai des rêves funèbres ;
Cette langue qui prie est prête à blasphémer.
Éclairez ma raison, je connais mes ténèbres,
Faites-moi croire, ô Dieu, je me charge d’aimer !

Seigneur, vous écoutez la plus humble prière,
Et le cri de l’insecte et celui de l’oiseau,
Et cet agneau perdu qui demande sa mère,
Et cette herbe séchée à qui manque un peu d’eau.

Votre nom prononcé rafraîchit la pensée ;
Il rayonne dans l’ombre où je m’enveloppais.
Toute larme pieuse, à vos genoux versée,
Est, pour un cœur souffrant, le baume de la paix.

Vous m’entendrez, Seigneur, car je pleure et j’espère !
J’élève à vous mon cœur par le monde abattu.

J’espère ! et votre loi, tendre comme une mère,
De la douce espérance a fait une vertu.

Redonnez-moi, Seigneur, la vie et le courage ;
Que j’aille en vous servant jusqu’à la fin du jour ;
Dissipez des erreurs le stérile nuage
Au rayon de la foi rallumé par l’amour.

L’orgueil ferme le cœur aux innocentes joies
Et tient la porte ouverte à l’ennui triomphant.
Donnez-moi, pour marcher humblement dans vos voies,
La raison du vieillard et la foi de l’enfant.

Alors, Seigneur, alors, mon âme calme et forte
Souffrira, sans colère et sans fougueux transports,
Le mal que chaque jour et chaque nuit apporte
          À cette argile de mon corps.