L’Évangile des champs
L’Évangile des champs
I
Or, fuyant Israël, terre ingrate et jalouse,
Souvent, dans le désert, Jésus avec les Douze
Sachant que, selon Dieu, son jour n’est pas venu,
Cherchait la paix, ce bien aux cités inconnu ;
Cette paix du désert pleine d’austères fêtes,
Où, d’eux-mêmes, souvent, s’exilent les prophètes.
Sans que la foulé encor s’excite à les haïr,
Loin de son vain tumulte ils ont besoin de fuir.
Car ce n’est qu’au désert, au jour de la nature,
Que la parole en nous luit plus vive et plus pure.
Dans le silence, alors, du monde et de tout bruit
L’intime symphonie en nos cœurs se construit ;
L’âme, ayant écarté ce que l’homme interpose,
Entend la voix de Dieu sortir de toute chose ;
Puise au flot infini du rocher débordant,
Et parle à Jéhovah dans le buisson ardent.
Là, le Maître des siens peut mieux se faire entendre ;
Il y trouve leur cœur plus ouvert et plus tendre.
Là, par mille tableaux et par mille chansons
La nature, ô Jésus, aidait à vos leçons,
Et prêtait, y mêlant de radieux symboles,
La vie et la couleur aux mystiques paroles.
Montrant partout l’exemple, il dit : les soins touchants
Que le Père céleste a pour la fleur des champs ;
Le lis, en sa blancheur, plus qu’un roi magnifique,
Quoiqu’il n’ait point filé sa splendide tunique ;
L’oiseau nourri de grain sans qu’il songe à semer,
Contents l’un de chanter et l’autre d’embaumer ;
Les bourgeons du figuier, plus sages que les sages,
Du printemps et des fleurs infaillibles présages ;
Le royaume de Dieu, lentement élevé,
Comme l’arbre sorti du grain de sénevé ;
Le froment dévoré par l’ivraie et le sable
A la sainte parole en nos âmes semblable.
Ici, le blé du ciel, l’espoir du pain nouveau.
Meurt faute d’une larme et d’une goutte d’eau ;
Ici, le grain germa, l’épi déjà s’annonce,
La passion bientôt l’étouffé sous la ronce,
Où, trop voisins du monde, hélas ! les blés naissants
Sont foulés sous les pieds de mille impurs passants.
Il enseignait ainsi : montrant dans la nature
Le sens mystérieux caché sous la figure ;
Traduisant les forêts, les fleuves et les vents ;
Parlant comme son père avec des mots vivants.
Car, pour tout homme instruit à la divine école,
L’univers tout entier n’est qu’une parabole.
La nature, ô mon Dieu, pleine de votre esprit,
Porte aussi sur son front un Évangile écrit ;
Et, nous faisant aimer vos lois qu’elle proclame,
Le poëte y sait lire avec les yeux de l’âme.
II
Oui, ton livre, ô Nature, à l’impie est fermé :
La foi seule y pénètre ;
Pour guider le regard sur ce texte animé,
Il faut le doigt du Maître.
Plus s’exalte l’orgueil sondant les vastes cieux,
Plus la nuit se fait noire.
Nul ne voit dans l’esprit et plus loin que les yeux,
Sans aimer et sans croire.
Plaignons l’homme charnel ! il passe aveugle et sourd,
Niant chaque merveille ;
Dans l’épaisseur des sens il dort d’un sommeil lourd ;
Le désir seul l’éveille.
Au poids de ses besoins, souvent de ses ennuis,
Il pèse toutes choses ;
Sans aller plus avant que la saveur des fruits,
Que le parfum des roses.
Il demande au soleil de faciles moissons ;
Puis, la faim satisfaite,
Il glane des plaisirs, mais jamais des leçons,
Dans la nature en fête.
Aux doux bruits du feuillage il s’est bercé parfois,.
En ses loisirs frivoles ;
Jamais il n’a cueilli, dans le secret des bois,
La fleur des paraboles.
S’il vante le savoir qui décrit les soleils
Et l’orgueil de l’étude,
Il fuit sa conscience et les graves conseils
Nés de la solitude.
Il y trouverait Dieu qui remplit les déserts,
Dieu que tout être nomme !
Là, chênes et roseaux, sables ou gazons verts,
Tout le révèle à l’homme.
Tout nous peint l’invisible et raconte le ciel :
Ce lis qui vient d’éclore
Nous offre une leçon plus douce que son miel ;
Mais le méchant l’ignore.
Pour lui tout est obscur, tout est muet pour lui ;
Dieu frappe en vain sa porte,
En vain l’Océan gronde ou l’arc-en-ciel a lui,
Il dit toujours : qu’importe !
Jamais son œil, des cieux sondant l’infinité,
Dans l’azur ne s’élance ;
L’oreille de son cœur n’a jamais écouté
Les accords du silence.
Des purs foyers d’amour, il n’approche jamais,
Jamais il n’y prend flamme ;
La foudre peut demain frapper son crâne épais
Sans éclairer son âme.
III
C’est qu’il faut, ô mon Dieu, loin du monde moqueur,
Regarder la Nature avec les yeux du cœur.
Vous seul et votre Esprit apprenez aux plus dignes
A connaître, au désert, à traduire vos signes,
A saisir le symbole en son intime loi,
A voir en action l’espoir, l’amour, la foi.
IV
Puisque l’univers est un livre
Écrit pour les yeux innocents,
Seigneur, quand son attrait m’enivre,
Rends plus purs mon âme et mes sens.
Puisqu’au trésor des paraboles
La foi trouve un accès permis,
Donne-moi, devant’ tes symboles,
Le cœur simple et l’esprit soumis.
La nature sera plus belle
Et me parlera sans détour,
Si, pour toi, je deviens comme elle,
Obéissant et plein d’amour.
O mon Dieu ! fais-moi donc largesse
De douceur et d’humilité,
Pour que j’apprenne ta sagesse
Écrite dans l’immensité.
Fais-moi lire, au front des nuages,
L’alphabet d’or et de vermeil
Dont l’azur déroule les pages
Sous les doigts ardents du soleil ;
Et les contours des monts austères,
Et, sur les gazons diaprés,
Le sens des mille caractères
Que les fleurs tracent dans les prés ;
Les réseaux tremblants sur la mousse
Qu’à l’ombre du feuillage noir
La lune, avec sa blancheur douce,
Tresse au pied des chênes le soir.
Fais que je sache mieux entendre’
L’esprit caché dans cette voix
Qui parle au cœur plaintif et tendre,
Quand le vent gémit dans les bois.
Je veux recueillir sur les cimes
Des accords l’innombrable essaim,
Pour exprimer ces voix intimes
Qui me tourmentent dans mon sein.
Toi, nature, qui me pourvoies
De mélodie et de couleurs,
Riche écho de toutes mes joies,
Tu l’es surtout de mes douleurs !
Hélas ! les grandes harmonies,
Le vent, les mers et les forêts
Ne sont que larmes infinies,
Ou des craintes, ou des regrets.
Mon Dieu ! votre amour la tourmente ;
C’est le secret qu’elle m’a dit ;
Car si toute voix se lamente,
Pas une voix ne vous maudit.
Seigneur, pour peindre l’invisible,
Si vous avez choisi mes mains,
Si ma langue a le don terrible
De vous nommer chez les humains,
A mon esprit, qui s’épouvante
Des choses qu’il doit révéler,
Prêtez la parole vivante
Que la nature sait parler.
Donnez-moi ses couleurs de flamme,
Donnez-moi ses accords puissants ;
Que je sache éveiller une âme
Chez l’homme endormi dans ses sens.
Loin de moi toute vaine image
Faite pour le plaisir des yeux ;
Que chaque fleur, dans mon langage.
Cache un parfum mystérieux.
Telle est, ô mon Dieu, la nature,
Que je vous serve en l’imitant ;
Que toute chair, dans ma peinture,
Trahisse un esprit palpitant.
Afin que l’homme qui blasphème
Sente, au vif éclat de mes vers,
Tout ce que j’ai senti moi-même
En feuilletant votre univers.
Qu’il entende une plainte immense
Expirant aux pieds de la croix,
Et, qu’averti de sa démence,
Il répète à son tour : Je crois.
Parfois, dans un matin prospère,
Au milieu des nids et des fleurs,
Qu’il distingue ce mot : J’espère !
Et sourie à travers ses pleurs,
Qu’en tout son être, alors s’élève
Un cri sublime et débordant,
Étouffant les bruits de la grève,
Tel que la mer haute et grondant,
Sanglots, chants railleurs, voix impures,
Ce cri les domine en tout lieu,
C’est, au fond de tous nos murmures,
La voix de votre amour, mon Dieu !