Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Catherine des Roches/Dialogue de la Pauvreté et de la Faim
Dialogue de la Pauureté & la Faim.
’Ouy dire l’autre iour que Iupiter faiſoit vn
bancquet aux nopces d’vne Nymphe qu’il a
d’autre fois aimee, & biẽ que ie n’y euſſe pas eſté
conuiée ſi me mis-je en chemin pour y aller pẽſant
que ie trouuerois aux dernieres tables quelque
lieu pour te renger, Faim mamie. F. À quoy
tint il dõc que vous ne m’appellaſtes pour vous
y accompagner ? P. Ie vouloy ſçauoir quel il y
faiſoit premierement, craignant de t’y mener en
vain. F. Comment fuſtes vous receuë ? P. Helas
le plus mal du monde, tout auſſi toſt que ces
Dieux & Deeſſes m’aperceurent, ils commencerent
à fuyr ſerrant leurs ioyaux : Iupiter cacha
ſon ſceptre Venus ſa ceinture, Mercure ſes Talõnières,
Apollő ſa Harpe, & Amour ſes traits :
diſans tous que Pauureté eſtoit mal ſeure. F. Et
quoy ? Amour vous craint il, ſçait il pas bien que
vous eſtes ſa mere ? P. Ha mamie il feint de ne le
ſçauoir pas, il fut le premier à dire en me chaſſãt
que ie troubloy toute la feſte, & que ſa fille Volupté
ſeroit contrainte de ſ’enfuir ſi ie demeuroy
lõgtemps là, pource qu’elle & moy ne pouuons
nous accorder enſemble. P. Amour ne
vouloit pas que vous fuſſiez reconnue pour ſa mere. P. Auſſi ne l’euſſe-je pas dict. F. Penſez
vous qu’il eut eſté en voſtre puiſſance de le taire ?
vous l’euſſiez auoüé voſtre fils, & ſes ſubiects
l’é euſſẽt à iamais deſpriſé : car vous n’auez point
de vaiſſeaux d’or à luy donner pour fondre vne
ſtatue ſemblable à celle du Roy Amaſis. P. Il eſt
vray que ie n’ay pas l’or à commandement, mais
i’ay bien quelquesfois la raiſon qui m’empeſche
de dire ce qu’il faut taire. F. Si dict on communément
que les femmes abondent en parolles,
& manquent de raiſon. P. Qui dict ce propos
ſinon des hommes lourds & groſſiers ? leſquels
n’oſans frequenter les femmes gentilles
& bien appriſes, de crainte qu’elles les eſtiment
tels qu’ils ſont, cherchent bien ſouuent celles
qui plus leur reſſemblent, & par l’importunité
de leurs folles queſtions les contraignent de reſpondre
moins bien qu’elles n’ont couſtume de
faire en leurs propos communs : puis apres ils
faignent d’auoir opinion que toutes parlent de
meſme, & qu’elles ne ſçauroient ſi peu dire qu’il
n’y en ait trop : mais ie n’ay guères veu de femme
qui par ſes leures ſoit perie, où il ſ’eſt trouué
vne infinité d’hommes, qui pour auoir trop cauſé,
ont cauſé leur ruine. Si la Lyonne d’Athenes
n’euſt apris à ſe taire aymant mieux trencher ſa
langue que declairer ceux qui vouloient eſtaindre
la tyrannie, elle n’eut pas merité ſtatue de
Bronze, dont elle fut honoree apres ſa mort. F. Vous parlez de l’antiquité, peut eſtre qu’il ne
ſ’en trouue point maintenant de ſi parfaicte, cõme
celle que vous venez de nommer. P. Dieu
vueille qu’il ne ſ’en trouue iamais qui rende vne
ſi miſerable preuue de ſon vertueux ſilence, mais
croy aſſeurément que celles qui parlent bien ſe
ſcauent bien taire auſſi, & que l’on en peut voir
au monde d’autant excellentes qu’il y en eut iamais.
F. Dictes moy ſ’il vous plaiſt qui elles
ſont, & en quel nombre. P. Le nombre en eſt
ſi grand que ie ne le ſçauroy nombrer, toutesfois
ie connois vne qui ſeule a plus de grace que
toutes les autres enſemble, & parlant de celle là
c’eſt parler de toutes celles qui méritent quelque
louange. F. Qui eſt ſon nom ? P. Ie le veux
voiler de l’honneur du ſilence, craignant en le
diſant de le prophaner, te ſuffiſe d’entendre par
moy qu’elle ſe rend admirable par la vertu de
ſes mœurs, la gentilleſſe de ſon eſprit la grandeur
de ſon ſçauoir, & la douceur de ſes propos.
F. Parlez vous ſouuent à elle ? P. Quelques fois à
ſon huis. F. Entrez vous point en ſa maiſon ? P.
Non pas pour y demeurer, car ie luy ſerois ennuyeuſe,
& ie ne veux pas la moleſter, quand biẽ
il ſeroit en mon pouuoir : mais comme il aduint
à mon fils lors qu’il voulut bleſſer les Muſes que
les voyant ſi ententines à diuers empeſchemens
il perdit tout courage de les offencer : ainfi moy
regardant de loing les honneſtes exercices de cette vertueuſe Dame, ie perds toute volonté de
luy porter nuiſance, pource que ie reconnoy
en elle grande partie des excellentes conditions
de mon ancien hoſte Ariſtide : il eſt vray que ie
ſuis preſque autant haye d’elle que ie fus aymée
de luy, & toutesfois je ne laiſſe point de l’honorer.
F. Puis que vous auez ſi peu d’accez vers elle,
à grand peine y ſerois-je receuë. P. Ha vrayment
ie ne te conſeille pas d’y aller, elle ſçait cõmander
à toy & à toutes autres paſſiõs : F. Ô que
ie hay la rencontre de telles perſonnes craignãt
d’y trouuer le repas d’Epimenide. P. Elle dict
communément que vertu ſans fortune eſt trop
debile, & fortune ſans vertu trop volage, pource
elle les inuoque toutes deux enſemble, afin
d’eſtre preferuee de toy & de moy. F. Bien, laiſſons
la doncques en paix, & regardez quel logis
il vous plaiſt de prendre pour aller diſner.
P. He Dieu où veux tu que i’aille ? ie ſuis tant
foible que ie ne puis me ſouſtenir. F. De moy
ie ſuis fort diſpoſe & marche bien allégrement,
allons nous en chez Porus, peut eſtre qu’en faueur
de voſtre commun fils, il nous fera quelque
bien. P. Mamye il ne faict point ſemblant de
me connoiſtre, ny de m’auoir iamais veuë. F.
Peut eſtre ne luy ſouuiẽt il pas d’auoir eu voſtre
accointance, mais dictes luy maintenant, la memoire
luy en pourra bien reuenir, au moins ſ’il
n’eſtoit yure. P. Il n’eſtoit pas yure non, quelque choſe que l’on die, le Nectar qui eſt vn diuin
bruuage n’a point couſtume d’enyurer, comme
le vin fumeux qui trouble les ſens, & la raiſon :
mais comme il aduint que ceux qui furent ſurpris
diſant mal du Roy Pyrrhus, controuuerent
pour toutes excuſes qu’ils eſtoiẽt yures, & qu’ils
en euſſent bien dict d’auantage ſi le vin ne leur
eut failly ainſi Porus ayant honte dont ſa lafciueté
l’auoit conduit vers moy pauure coquine :
diſt qu’il auoit trop beu, voulant par cette faute
donner excuſe à vne beaucoup plus grande !
F. Et bien, puis qu’il n’eſtoit pas yure, il vous
reconnoiſtra donc. P. Ouy, mais il me fera chaſſer
à coups de baſton, ſçais tu pas bien que les riches
ſont quaſi touſiours ſuperbes ? F. Où voulez vo’
donc aller ? P. Ie veux m’aſſeoir à quelque porte
comme i’ay accouſtumé. F. Maudit ſoit il qui
vous y accompaignera. P. Tu y viendras ſouuẽt
maugré toy encor’que ie t’en deſire bien loing,
car ie m’aſſeure que c’eſt toy qui me rends ſi
odieuſe. F. Mais c’eſt par vous que ie ſuis miſerable,
ſi vous ne vous trouuiez jamais où je ſuis,
on me ſatisferoit de meinte ſorte de viandes :
P. Ha mal-heureuſe ! ne ſçais tu pas bien que les
riches auaricieux te font beaucoup pire traictement
que les autres ? F. Et où dois-je donc aller
pauure que ie ſuis ? P. Va t’en à la Cour & te ſieds
à la table des ſeigneurs. F. O, o, ils ſont trop diligens
à leurs repas ; ils auroient touſiours diſné auant que ie fuſſe arriuee. P. Va doncques chez
les Treſoriers. F. Ie ne le veux point, car encor
que bien ſouuent ils facent grand’chere, ils ſont
quelques fois ſi attentifs au jeu, que pour luy ils
fraudent leur appetit de ce qui luy eſt deu. P. Va
ſi tu veux voir les Iuges, & te mets dedans leurs
cheres. F. Voſtre conſeil n’eſt pas raiſonnable,
il faut qu’vn Iuge ait bonne ouye, & l’on dict
qu’vn homme affamé n’a point d’oreilles. P. Te
vaudroit il point mieux aller chez les Conſeillers ?
F. Ils me conſeilleroient auſſi toſt de me
retirer, vſant de leurs offices. P. Va te rãger auecque
les Aduocats pour apprendre leurs harangues.
F. Ils ne diroient rien de bon en ma preſence,
les cornemuſes ne rendent aucun ſon quand
elles ſont vuides, & les Aduocats ne peuuent biẽ
plaider quand ils ſont affamez. P. Va t’en donc
auecque les marchans. F. Nõ feray pas pour y ſejourner,
car en peu de temps ie les rendroye ſi
foibles qu’ils ne pourroient aller en marchandiſe,
ny vſer de leurs trafics accouſtumez. P. Et que
t’en ſoucie tu ? F. Si fay vrayement pource que
tout auſſi toſt vous viendriez en campaigne, &
les empeſcheriez de me faire du bien, ores qu’ils
en auroient deſir. P. Penſes tu que ie te ſois tant
ennemie ? F. Ce n’est pas que vous ayez volonté
de me nuire mais vous leur feriez perdre le moyẽ
de m’ayder. P. Ha, a, que tu fais de mines pour
vne chétiue beliſtreſſe, & va va te cacher dedãs la boëte de Pandore. F. Mais vous vieille poüilleuſe,
allez vous en cacher au fond du Tartare,
auſſi bien ne faictes vous que dommage au mõde,
encores moy ie ſuis quelques fois ſouhaitee
des malades, & de ceux qui ſont degoutez : ha
que ie ſuis fachee de m’eſtre quelques fois accompaignee
de vous, qui eſtes la haine & l’horreur
de tous les hõmes ! P. Il faut que la Pauureté
ſoit touſiours humbles pource ie reſpondray
modeſtement & ſans courroux, que ſi tu ne me
ſuiuois iamais, ie ne ſerois pas tant haye comme
ie ſuis, toutesfois puis que le ſort m’a enchenee
auecque toy, il faut que i’endure patiemment les
incommoditez qui me viendront à ton occaſiõ :
mais ie te prie de me fuir le plus que tu pourras,
ie te fuiray auſſi de toute ma puiſſance, encore
aurons nous trop de temps pour eſtre enſemble
dy moy, où vas tu d’icy ? F. Ie m’en vay chez les
païſans de Poëtou, il ſemble qu’ils viuẽt de faim
comme les autres en meurẽt, depuis que la guerre
m’y mena ie n’en ay gueres bougé. P. Ce ſont
mes logis ordinaires, il faut que i’y retourne
auant que ce ſoit peu de temps. F. N’y venez pas
ſi toſt doncques, attendez que i’aye aidé à manger
leurs prouiſions, afin que n’ayant plus rien
que mettre ſous la dent, ils perdent le deſir de
boire, car ils ont eu cette annee fort peu de vins.
P. Va que Dieu te vueille cõduire, ie n’areſteray
gueres apres toy. F. Ne vous haſtez, point tất ſ’il vous plaiſt on ſe paſſera bien de vous.