Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Catherine des Roches/Dialogue d'Amour, de Beauté et de Physis
Dialogue d’Amour, de Beauté & de Phyſis.
ais qu’eſt-ce que je voy, quelle luiſante
ſplẽdeur ſe fait voye au trauers de mõ bandeau ;
ha vraiement c’eſt la beauté ſi ie la puis tenir
vne fois, ie ne la laiſſeray pas ſortir aiſément
de mon pouuoir. B. He que ie ſuis mal-heureuſe
de m’eſtre venue ranger icy aupres du plus grãd
ennemy que i’ay en ce monde ? Si maintenant ie
ne ſuis aydée par la faueur de ſon bandeau qui
me rende inuiſible à luy, ie ſuis en dãger d’eſtre
priſe : O Dieu je penſe qu’il me voit, il vole apres
moy, où fault il que ie fuye ? A. Où allez vous ſi
toſt beauté, ie veux parler à vous ſ’il vous plaiſt,
attendez moy vn peu. B. Si vous ne voulez que
parler, ie ſuis preſte de vous entendre : Mais
ie crain beaucoup plus voz mains que voſtre
bouche. A. Puis que vous n’auez point crainte
de ma bouche, prenez au moins d’elle cette aſſurance
que je vous dõne, de ne vous faire point
dommage. B. Par quelle puiſſance iurez vous
de ne m’offencer point ? dittes affin que ie ſache
en qui je me dois fier. A. Ie vous iure par mon
arc. B. Et de quoy eſt faict voſtre arc ſinõ de l’Ebene
de mes ſourcils, ſi vous ne craignez d’offẽſer car le tout de moy, à peine vous ſoucirez vous
d’en pariurer vne partie. A. Ie vous iure donc
par mes traicts. B. Voire mais où prenez vous
des traicts ſi ce n’eſt en mon viſage ? A. Et bien
ie iure par mon flambeau. B. Voſtre flambeau
ne prend ſon ardeur, ny ſa clarté que du feu de
mes yeux. A. Puis donc que ma puiſſance vient
toute de vous, comment me craignez vous tant ?
B. Et ne ſcauez vous pas biẽ Amour que de moy-meſme
on prend les armes par leſquelles ie ſuis
bleſſee ? Les lacqs dans leſquels ie me treuue ſouuent
priſe ſont de mes propres cheueux deguiſez
de telle forte par la poeſie des amans que les
voyant ainſi bien ordonnez ie les veux prendre
& me ſens priſe d’eux qui trahiſſent leur innocente
maiſtreſſe, la rendant captiue entre voz
mains. A. Pleignez vous donc ſeulemẽt de vous
meſme, qui donnez à autruy le moyen de vous
nuire, & non pas de moy. B. Ie n’aurois point occaſion
de me plaindre ny de moy ny des autres,
ſi ce n’eſtoit vous qui prenez en mon viſage ce
dequoy vous frappez les hommes, leſquels demeurans
atteins regardent d’où vient le coup,
& me voyant enuironnee de traicts & d’attraits
pareils à ceux qui les ont offencez, penſent que
moy ſeule aye faict leur playe, & ſe veulent venger
de moy ſeulement, pour ce faire prenant les
traicts que vous leur auez tirez, ils me les reiettent
les vns empennez de papier eſcrit, les autres de tres de courtoiſes parolles, les autres qui ont
la pointe doree plus perſſante que le fer ny l’acier
& toutes ces malicieuſes cautelles leurs
ſont enſeignees par vous. A. Ie vous ſuplie beauté
ne me donnez point le blaſme du mal qui
vous auient, quant à moy ie ne penſe qu’à faire
voir & admirer voz perfections : mais que n’allez
vous demeurer dans ces grands Palais, vous
y ſeriez plus aſſuree. B. Ha vrayemẽt ce n’eſt pas
là que ie puis eſtre ſeuremẽt, Amour, il n’y a pas
long temps que ie m’en allé voir la richeſſe, mais
vous empliſtes incontinent toute la maiſon de
Courtiſans, qui vouloient deſrober mon hoſteſſe
& moy. A. Quel mal vous ſcauroient faire
ceux qui vous prendroiẽt, vous eſtes Deeſſe immortelle.
B. Penſez vous point que la priſon ſoit
vn grand mal, bien ſouuent ie m’y trouue par la
rudeſſe de ceux qui m’ont le plus humblement
courtiſee, & biẽ que ie ſois immortelle en moy ;
ſi eſt ce que ie ſemble perir aux ſujects où je me
ſuis miſe eſtant cõtrainte de m’eſuanouyr d’eux
par la violence du temps, ou par le mauuais traitement
de ceux qui me tiennent. A. Voulez vous
que ie vous meine chez ma mere Penie ? beaucoup
de gens ne vous iront pas chercher la denans.
B. Nenny, ie vous remercie, ie ne ſcaurois
pas demeurer longtemps auec elle. A. Venez
donc que ie vous coduiſe en quelque autre lieu.
B. Ie n’ay que faire de voſtre conduite, ne laiſſez pas de vous en aller, penſez vous que ie vueille
eſtre guidee par vn aueugle ? A. I’ay bien monſtré
que ie ne l’eſtoie pas en vous voyant, aſſeurez-vous
qu’Amour voit touſiours fort clair en
preſence de la beauté, mais ceux qui ayment les
perſonnes laides & par leurs folies les eſtiment
belles, ſont veritablement aueugles, & me font
tenir pour tel encores qu’il ſoit tres faux, comme
vous auez peu connoiſtre. B. Pourquoy dõc
portez vous ce bandeau ſinon pour cacher l’imperfection
de voz yeux ? A. C’eſt vne de mes
ruſes, afin que me voyant en tel equipage, les
hommes ne ſe deffient iamais que le leur puiſſe
faire la guerre. B. Comment, vous eſtes donc
vn traiſtre ? ha ie m’en vay bien loing de vous
A. Non ferez pas ſ’il vous plaiſt, & que vous
ſert il de fuyr, vous ne ſçauriez deuancer mes
ailes. B. Allez allez, ne me fuiuez point, retirez
vous : mais ie pẽſe que ie vay à temps pour vous
chaſſer d’aupres de moy la fille aiſnée du Createur
tout puiſſant. Ouy vrayement, c’eſt Phyſis
meſme, Dieu vous gard ma mere, ie vous ſuplie
qu’il vous plaiſe me deliurer de ceſt importun,
quelque part que ie ſois touſiours il me cherche,
& iamais ne me laiffe. A. Ma bonne mere
Phyſis, ſi iamais ie fey choſe qui vous pleuſt, mõtrez le
vous prie de m’en ſçauoir gré, commandez
à celle cy qu’elle demeure touſiours auec
moy, afin que les graces me rendent plus agreable aux mortels. B. Ne permettez point cela ma
mere. P. Eſcoutez mes enfãs, l’vn de vous n’a pas
grand pouuoir ſans l’autre : Toy beauté tu ne ſerois
iảmais bien veüe ny deſiree ſans amour, toy
amour tu ne ſerois jamais priſé ny reueré ſans la
beauté, Pource donc mes enfans ; que voz puiſſances
ſont tant vnies, vniſſez voz volontez ; &
demeurez paiſiblement tous deux enſemble. A.
I’en fuis content ma mere. B. Et moy ie veux biẽ
touſiours eſtre où ſera l’Amour mais ie ne veux
pas qu’il ſoit touſiours auec moy. P. Comment
cela ma fille ? B. Ie veux dire que jamais l’Amour
ne ſe trouuera ſinõ aux endrois où il y aura de la
beauté mais la beauté ſera biẽ quelquesfois aux
lieux où il n’y aura poĩt d’Amour. P. Et l’Amour
ne doit il viſiter q̃ les beaux ? B. Ouy biẽ ſ’il veut
ma mere, ie ne m’en foucie pas, ſeulemẽt ie vous
ſuplie de m’aſſigner lieu où ie puiſſe demeurer
ſans luy P. Va t’en où Diane eſt adoree, & te cache
ſouz le voile des ſainctes ſœurs, Amour ne te
cherchera pas là. B. O ma mere, il n’ẽ bouge quaſi,
ie ne ſçaurois eſtre moins aſſeuree en lieu du
mõde, car la beauté moins veuë eſt plus ardẽmẽt
deſiree. Mais ie m’en iray chez Pallas au-moins
ſ’il vous eſt agreable, ainſi ie me ſauueray de la
tyranie d’Amour par les liures, par les ouurages,
& par les yeux de la Meduſe. P. Or va donc ie le
veux bien. A. Et moy n’oſerois-je y aller ma mere ?
P. Si tu y vas tu demeurras priſonnier, encore que tu empriſonnes les autres. A. Bien donc i’attendray
qu’elle en ſorte. B. Et moy, ma mere,
auec voſtre congé ie m’en iray rendre en mon
temple de franchiſe.