Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Catherine des Roches/Dialogue de Sincero & de Charite

Dialogue de Sincero, & de Charité.


EXcuſez moy ſ’il vous plaiſt (Madame) ſi ie pren la hardieſſe de vous demander part en voz bonnes graces, ce n’eſt pas que ie les penſe meriter, mais pource que ſuiuant leur nom & le voſtre, elles ſe doiuent gratuitement donner, i’ay opinion que vous m’en ſerez plus liberale, qu’à vn autre qui vous ſeroit moins prodigue de ſon affection. C. Comment Syncero, eſtes vous prodigue de la voſtre, vrayement puisque vous eſtes si mauvais meſnager ie ne veux point loger mes graces chez vous, pource qu’apres auoir dependu voſtre bien induëment, vous pourriez perdre le mien auſſi par voſtre negligence. S. Ne craignez point cela, Madame, vous ne me verrez iamais peu ſoigneux de ce qui vous appartiendra, quand il vous plairoit de me donner partie des graces que ie demande, vous en auriez pourtant l’entiere diſpoſition, car vous me poſſedez, & tout ce que je poſſede. Or pource que ie n’ay rien qui ne ſoit voſtre, & que ma ſinguliere richeſſe eſt de me perdre en moy, pour me recouvrer en vous, ayant laiſſé ma liberté dans voz beaux yeux ſoleils de mon ame, prodiguant envers vous mon cueur & mes affections, ie fay comme ceux qui pour un temps perdent la terre pour gaigner les Cieux : auſſi voz excellentes vertus & diuines beautez, m’ayant conduit au paradis de voz perfections me guident encore au Ciel dont elles tiennent leur origine. C. Vous m’eſtonnez plus de courtoiſies que de raiſons, depuis que vous avez commencé à me loüer ie n’ay ſçeu quelle contenance je deuoy tenir, ny lequel eſtoit le plus ſeur pour moy de me taire, ou de parler : si je parle, refuſant les loüanges que vous m’attribuez, il ſemblera que je vueille vous donner occaſion de conteſter d’auantage : ſi ie me tays vous penſerez que mon ſilence auouë tout ce qu’il vous plaiſt dire en ma faueur. S. Il vous ſera bien aiſé, Madame, de vous oſter de cette peine, & moy d’vne beaucoup plus grande, vous n’auez ſinon à reſpondre, & m’accorder tout ce que ie vous dy, & que ie demande. C. Pourueu que tous voz propos ſoient raiſonnables, & voſtre demande honneſte i’en ſuis contente. S. Madame, je perſevère touſiours en mes premiers propos, & ma requeſte premiere, demãdant à voz graces, puis qu’il leur plaiſt bien quelquesfois de me conduire au Ciel qu’elles ne deſdaignent non plus de me guider en terre. C. Puis que vous ne pouuez encore vous guider en terre ſans ayde d’autruy, comment vous mettez vous à vouloir rechercher le Ciel ? S. Vous en eſtes cause (Madame) car i’y ſuis conduit par vous, & vous par moy. C. Si n’ay-je point ſouuenance d’y avoir jamais eſté, mais poſſible m’en ferez vous reuenir la memoire me disant ce que i’aperceu de plus eſmerueillable en ce voyage. S. Vous n’aperceuſtes rien de ſi parfaict que vous : Auſſi pource que vous eſtiez du tout empeſchee à la contemplation de voz beautez & graces, elles vous engarderent de voir ce qui eſtoit preſente à voz yeux : quand eſt du iour je ne vous en diray point vn ſeul, puis qu’il n’en paſſe aucun que vous & moy n’y ſoyons attirez. C. Il me ſemble que vous ourdiſſez vne longue fable. S. Mais pluſtoſt ie declaire vne pure vérité. C. Contez moy ſ’il vous plaiſt ce nouveau miracle. S. Tout miracle ſe peut croire de vous (Madame.) Or ie m’en vay donc commencer à vous conter des merueilles de vous-meſme : On dict que de toutes les choſes qui ſont icy, les formes en ſont au Ciel : il y a vne Idee du bon, il y en a vne du beau, il y a vne deſtinee qui apres la prouidence de Dieu ha le ſecond pouvoir, cette cy ayant ordonné l’heure de voſtre naiſſance, quand les Planettes plus benignes ſe regardoiẽt d’un aſpect amiable, elle appella les Parques, & leur commanda de mettre ſur leur meſtier la plus belle vie qu’elles pourroient choiſir. Les trois ſœurs obeiſſantes à ce commandement, la nature par le vouloir de ſon pere y meit la derniere main, & vous formant sur le pourtraict de la plus belle idee, elle vous rendit ſi accomplie qu’elle meſme ſ’en eſmerueilloit. Mais elle fut beaucoup plus eſtonnee quelque temps après pource que l’idee de voſtre beauté, regardant de toutes parts, & n’y voyant rien qui luy fuſt ſi agreable que vous, deſirant d’eſtre touſiours en voſtre compaignie ſe lia eſtroitement en voz bras, de ſorte qu’il ne fut jamais poſſible de l’en retirer. Incontinent les Dieux ſ’aſſemblerent au conſeil pour deliberer ce qu’ils deuoient faire, les uns eſtoient d’opinion qu’il vous failloit retenir, mais la deſtinee ſi oppoſa, & Cloton auoit deſja commencé à filer : les autres diſoient qu’on vous pouuoit bien laiſſer venir en terre, puis vous en retirer ſoudain. Mais nature ne voulut permettre la prompte ruine d’vn ſi bel ouurage : car elle meſme vous amena au monde, afin d’eſtre admiree par voz excellences. Depuis les Dieux, voyant leur demeure priuee de ſon plus riche ornement plaignirent infiniment leur perte, eſſayant de la reparer par vn autre moyen, ils ouyrent dire que le fils de Venus eſtoit le plus excellent peintre qui ſe peuſt trouver, & que pour tout pinceau, il ſ’aydoit de ſon traict ſeulement, ils envoyerent querir ce petit Dieu, & luy racontant leur peine, le ſupplierent d’y vouloir remedier, venant chercher en la terre un pourtraict de ce qui leur auoit tant pleu au Ciel : auſſi toſt l’Amour ſe prepara pour obeir à ſes ayeux, mais ne trouuant à ſon gré table qui fuſt digne de tenir voſtre belle figure, il ſ’arreſta lõgtemps à regarder la ſincérité de mes pẽſees, & luy ſemblant que ie fuſſe aſſez propre pour executer en moy ſon intention, il engraua voſtre beauté ſi vivement en mon cueur que voz rigueurs, ny le temps, ny la mort l’en ſçauroient effacer : ainſi l’Amour ayant logé voſtre pourtraict dedans mon ame l’eleue au Ciel, afin que les Dieux vous regardant en elle, ne ſoient plus enuieux ſur la condition des mortels : & voila, Madame, comment par la faueur de voſtre beauté ie voiſine les Cieux. C. Ie croy plustoſt que par la faveur de voz propos vous portez mon nom au Ciel (Syncero) & que vous l’en raportez quand bõ vous semble. Or pource que vous deſirez d’eſtre eſtimé amoureux & poëte, vous pouuez feindre ſans en eſtre repris, & moy qui ne pratique ny auec la Poëſie, ny auec l’Amour, ie puis ſeurement vous ouyr ſans adiouter beaucoup de foy à voz parolles. S. Madame, puis que vous n’auez ny amour envers moy, ny foy en mes paroles, je n’ay pas occasion d’eſperer beaucoup en vous : toutesfois moins i’ay d’eſperãce, plus ie deſire qu’il vous auiene comme à voſtre Idee, & que deuenuë extremement amoureuſe de voſtre pourtraict, il vous plaiſe pour l’amour de luy de m’aymer auſſi. C. Si mon pourtraict vous apportoit tant de bien comme ie vous ay ouy dire, vous ne me feriez iamais autre requeſte, mais vous demeureriez tres-content receuant un ſi grand honneur à mon occaſiõ. S. Madame, plus ie doy, plus ie veux deuoir, afin que mes obligations ſurpaſſant tous moyẽs que i’ay d’y pouuoir ſatisfaire, me facent prendre & arreſter voſtre priſonnier. C. Et bien dõc, comme à mon priſonnier, ie vous commãde de vous taire pour recommencer à parler vne autre fois. S. Puis qu’il vous plaiſt, Madame, je m’en vays honorer le ſilence par luy meſme.