Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Catherine des Roches/Sonnets de Sincero à Charite

sonets de sincero a charite.



MAdame, voz beautez ſi parfaictement belles
Sont nees dans le Ciel, mais pource que les Dieux
Vous alloient regardant d’vn œil trop curieux
Brulant dans la clarté de voz flames iumelles.
Iupiter preuoyant les diverſes querelles,
Qui pourroient aduenir aux Citoyens des Cieux,
Vous feit venir icy, doux paradis des yeux
Qui peuuent contempler voz graces immortelles.
Et maintenant les Dieux irritez contre nous
Espris du feu d’amour, & d’vn ardant courroux,
Meſme de Iupiter, deffient le tonnerre.
Et nous vont menaçant de mill’ & mille morts,
Mais il faut bravement ſouſtenir leurs efforts
Pour garder le treſor du Ciel & de la terre.


Las ie ſuis mort en moy, mais c’eſt pour vivre en vous,
Charite : mon honneur, ma vie & ma lumiere
Voſtre rare beauté des beautez la premiere
Tient mon eſprit rauy d’vn rauiſſement doux.
De voz cheueux dorez les agreables nœuds
Et de voz yeux diuins la rigueur humble-fiere,
Serrent tant doucement mon ame priſonniere
Que moymeſme ie ſuis de moimeſme ialoux.
Mon corps eſt euvieux de l’honneur de mon ame
Qui brule dedans vous d’vne tant ſaincte flame,
Que d’vn homme mortel ie deuiens vn grand Dieu.
O bien-heureuſe mort, cauſe de double vie !
Heureux amour qui fais que mon ame rauie,
Heureuſement ſe meurt pour viure en ſi beau lieu.

Honneur de mes penſers, honneur de mes propos,
Honneur de mes eſcrits, Charite ma chere ame,
Charite mon ſoleil, ma ſinguliere Dame,
Royne de mon plaiſir, douceur de mon repos.
Charite qui tenez mon cueur comme vn depos,
Mon cueur enuironné d’une ſi douce flame,
Et qu’un amoureux traict ſi doucement entame,
Que plus il eſt bleſſé plus ie me ſen diſpos.
Charite que ie ſers, que i’honore, & que i’ayme,
Charite que je tiens plus chere que moymeſme,
Helas ie ſens pour vous tant de penſers diuers.
Helas i’ay ſi grand pœur, chaſte & belle Charite,
Que vous me connoiſant de trop peu de merite
Deſdaignez mes penſers, mes propos, & mes vers.


Bouche dont la douceur m’enchante doucement
Par la douce faueur d’vn honneſte ſoubs-rire :
Bouche qui ſouſpirant vn amoureux martyre,
Apaiſez la douleur de mon cruel tourment.
Bouche de tous mes maux le ſeul allegement,
Bouche qui reſpirez vn gratieux Zephire :
Qui les plus eloquens ſurpaſſez à bien dire
A l’heure qu’il vous plaiſt de parler doctement.
Bouche plaine de lys, de perles, & de roſes,
Bouche qui retenez toutes graces encloſes,
Bouche qui recelez tant de petits Amours.
Par voz perfections, o bouche ſans pareille,
Ie me perds de douceur, de crainte & de merueille
Dans voz ris, voz ſouſpirs, & voz ſages diſcours.

Penſer qui m’es plus doux, que les fleurs à l’Abeille,
Et le ſoleil aux fleurs, penſer en qui ie voy
L’angelicque beauté qui me deſrobe à moy,
Raui par les ſoupirs d’vne bouche vermeille.
Penſer de mes eſprits l’agreable merueille,
Penſer de mes penſers le ſeigneur & le Roy :
Penſer heureux, penſer qui commande ma foy.
Serue de la douceur d’une voix nompareille.
Penſer mon cher mignon, ma faueur, mon plaiſir
Penſser que ma Charite a bien daigné choiſir
Pour renger vn portraict de ſa beauté exquiſe.
En luy repreſentant ſon exquiſe beauté.
Fay luy paroiſtre auſſi ma ferme loyauté,
Afin que me prenant elle demeure priſe.


O que i’ayme voz yeux doux tirans de ma vie,
Et que i’ayme voz mains qui m’ont pris & lié.
Que i’ayme voſtre poil blond creſpe & delié
Qui tient dedans ſes laqs ma liberté rauie.
Vous tenez tellement ma raiſon aſſeruie
Par un regard meſlé de honte & de pitié,
Voz mains ſerrent ſi fort le nœud de l’amitié
Et voſtre poil doré ſi doucement me lie :
Que pluſtoſt que ſortir de ma captiuité,
Que pluſtoſt que manquer à ma fidelité,
Que pluſtoſt que faillir à ſi digne maiſtreſſe,
Ie veux mourir cent fois en ma douce priſon
Laiſſant ma liberté, ma vie & ma raiſon
Dans voz yeux, dans vos mains & voſtre blõde treſſe.

Prin-temps aporte fleurs, dont la riche peinture
Imite la couleur de la robe d’Iris,
Prin-temps ſuiuy du jeu, de la dance & du ris
Qui follatre touſiours dans ta gaye verdure :
Prin-temps fils du ſoleil cher mignon de nature,
Delices des humains qui doucement nourris,
Tant & tant d’animaux, qui fuſſent tous peris,
Sans tes herbes & fleurs qu’ils ont pour nourriture.
Prin-temps honneur des prez, des champs, & des iardins
Quand tu baiſe les doigts delicats & roſins
De ma belle Charite en pillant les fleurettes.
Œilladant la ſplendeur de ſes diuins regards,
Tu deuiens vn eſté pauvre, tu brule & ards
Admirant le parfaict de ſes beautez parfaictes.


Vrayement ie reprendrois voſtre œil de trahiſon,
Mais ce n’eſt pas bien faict que d’accuſer ſon maiſtre,
C’eſt faict encore pis de receler vn traiſtre
Et le tenir enclos en ſi douce priſon.
Charite voz beaux yeux, ſeigneurs de ma raiſon
Cachent amour dans eux, le tirant y veut eſtre
Afin d’eſtre plus ſeur, plus fort, & plus adextre,
Receuant la faueur de ſi belle maiſon.
Apres qu’il m’a tiré mainte & maintes ſagettes,
Apres qu’il m’a lancé maintes flames ſecrettes
Ie meurs & repren vie au braſier allumé :
Ainſi l’vnique oiſeau qui brule dans ſa flame
Reprend corps de ſon corps, & ame de ſon ame.
Renaiſſant par le feu qui l’auoit conſommé.

Ma nef au gré des vens dedans l’onde pouſſee
Erroit de toutes parts, quand voſtre heureuſe main,
Piteuſe de mon mal, me retira ſoudain,
En me ſauuant des flotz de la mer courroucee.
Follement aueuglé d’vne erreur inſenſee,
Monſtrant que la raiſon m’eſtoit donnee en vain,
Ie me laiſſois guider d’vn erreur incertain
Lorsque voſtre bel œil arreſta ma penſee.
Maintenant ie mourrois en mon cruel tourment,
Mais de voz doux propos le doux enchantement
De cet aſpre douleur promptement me delie.
Ainſi le ſainct honneur de voz perfections,
Conduiſant ſagement toutes mes actions,
Commande ſur mes ſens, mes penſers, & ma vie.


Belle pluſtoſt les eaux enflameront la terre
Et le feu glacera les fruicts herbes & fleurs,
Les aveugles pluſtoſst iugeront des couleurs,
Et pluſtoſt ſans verdeur on verra le l’hyerre.
La paix ſera pluſtoſt moins bonne que la guerre,
Venus ira ſans grace, & l’Amour ſans douceurs,
Les Princes ſeront ſerfs, & les ſerfs Empereurs
Qui frapperont les Dieux avec le tonnerre.
Pluſtoſt ſeront les Cieux à la terre pareils,
Pluſtoſt aparoiſtront mill’& mille ſoleils,
Dans le centre profont de cette lourde maſſe,
Pluſtoſt ſeront touſiours les hommes ſans couroux,
Tous les penſers pluſtoſt ſe liront en la face,
Que ie puiſſe jamais aymer autre que vous.

Ce qui me rend pour vous le cueur tant allumé,
Charite mon doux feu, c’eſt qu’vne meſme flame,
Embraſe voſtre cueur, voſtre eſprit, & voſtre ame,
Et que ie ſuis de vous vniquement aymé.
Ie me ſens tres-heureux de me voir eſtimé
Par voz doctes eſcris, & connoy bien, Madame,
Que vous pouuez ordir vne excellente trame
Qui rendra par voz vers mon renom animé.
Alceſte racheta de ſon mary la vie
Voulant mourir pour luy, mais vous auez enuie
De racheter la mienne auec plus heureux ſort.
Pource que ſans mourir, chaſte, ſçavante, & belle,
Vous filez pour nous deux vne vie immortelle,
Qui vaincra les efforts du temps & de la mort.


Ie confeſſe vrayement que l’Amour ſçait biẽ peindre
Et non pas Sincero, car ie vous ſens trop mieux
Grauee dans mon cueur qu’en mill’ & mille lieux,
Où i’ay tant eſſayé de pouuoir vous depeindre.
Helas ie ne ſcay rien que me douloir & plaindre,
Charite mon ſoucy, les flambeaux de voz yeux
Ont verſé dans les miens tant d’eſclairs radieux
Que ie brule touſiours ſans me pouuoir eſteindre.
Il y a fort long que ces flambeaux ardans
M’euſſent tout conſommé tant dehors que dedans :
Mais une froide pœur qui veut que ie languiſſe
Me rend glacé, craignant que voz perfections
Deſdaigneuſes de voir tant de ſeditions,
S’enuolent dans les Cieux auecques la iuſtice.