Les épisLa Cie J.-Alfred Guay (p. 224-226).

Le cantique du bon pauvre


Quand la feuille d’ormeau tapisse la vallée,
Que l’enfant ne suit plus la solitaire allée
Pour prendre un papillon ;
Quand les champs sous la faux ont vu tomber leurs gerbes,
Que l’insecte prudent trottine sous les herbes,
Ou se cache au sillon,

Seigneur, j’espère en toi, car l’heure qui s’avance
Sur son aile glacée apporte la souffrance
Au seuil de l’indigent ;
Seigneur, j’espère en toi, car sur l’homme qui pleure
Tu reposes toujours, de ta sainte demeure,
Un regard indulgent.

Comme un champ que l’automne a noyé dans sa brume,
Mon cœur est en ces jours noyé dans l’amertume,
Mon cœur toujours soumis.

Après elle traînant sa lamentable escorte,
La misère en haillons s’est assise à ma porte,
Je suis de ses amis.

Que le riche demeure à l’abri des orages ;
Que la froide saison réserve ses outrages
Pour tous ceux qui n’ont rien ;
Que chaque heure qui vient m’apporte sur son aile
Un pénible regret, une angoisse nouvelle,
Si Dieu le veut, c’est bien.

Celui dont le regard veille sur tous les êtres,
Qui nourrit l’araignée au coin de mes fenêtres,
Le grillon au foyer,
Pourrait-il, en voyant son enfant, sur la terre,
Élever vers le ciel un cœur pur et sincère,
Ne pas s’apitoyer ?

Si la vie à mes yeux n’offre guère de charmes,
Si je mange mon pain détrempé de mes larmes,
Mon âme est dans la paix.
Quand à mon crucifix mes regards se suspendent,
Des soucis dévorants, des douleurs qui m’attendent
Je ne crains plus le faix.


Chaque saison qui fuit, chaque nouvelle année
Nous disent que bientôt l’on verra, terminée,
Notre course en ce lieu.
Et le riche et le pauvre attendront, en poussière
Le redoutable jour où luira tout entière
La justice de Dieu.