Les épisLa Cie J.-Alfred Guay (p. 48-51).


Hommage


À Sa Très Gracieuse Majesté Victoria, reine
d’Angleterre et impératrice des Indes


(50ième anniversaire de son règne)


Ô Reine, comme au jour d’une splendeur suprême
Où ton front virginal ceignit le diadème,
Tu vois, dans leurs transports, tes sujets à genoux.
Dans mille accents divers et sous toutes les zones,
L’hosanna retentit des fers jusques aux trônes.
Arabes belliqueux drapés dans leurs burnous,
Noirs chasseurs du Birman aux brûlantes épaules,
Colons de l’Amérique et Rajahs de Nagpour,
Au levant, au ponant, au nord, jusques aux pôles,
Tous ceux que tu conquis t’acclament en ce jour.


Dans la tombe sacrée où toute aile se ploie,
Les vieux rois, tes aïeux, semblent frémir de joie

À cet hommage ardent qui vient de toutes parts.
À ton nom l’oiseau chante en nos forêts sauvages,
Notre fleuve géant roucoule à ses rivages,
Le vieux Québec ému fait tonner ses remparts.
Et nous, fils oubliés de l’immortelle France,
Nous les frères nouveaux de nos anciens vainqueurs,
Nous l’avons pour égide, il est notre espérance,
L’amour l’a buriné dans le fond de nos cœurs.

À ce nom l’Orient, la terre des arômes,
Agite de plaisir ses brillants cardamomes,
Les mhowas tout en fleurs et les santals si doux.
Allah, dit le croyant, c’est de toi qu’il émane.
Vichnou l’aime, répond l’ascétique Brahmane.
Et puis Delhi s’éveille aux cris des fiers Hindous,
Et sur la place accourt la foule admiratrice.
On dirait ce beau jour où, sonnant les clairons,
Joyeuse, elle acclamait l’illustre impératrice
Dont le sceptre puissant fait courber tant de fronts.

Béni soit le Seigneur des longs jours qu’il t’accorde !
Depuis un demi-siècle, au vent de la discorde
Plus d’un trône superbe a croulé : mais le tien,
Ferme comme le roc où resplendit le phare,

Pendant qu’ailleurs, hélas ! la royauté s’effare,
Dans l’amour de ton peuple a trouvé son soutien.
Ton sceptre est un rameau qui refleurit sans cesse.
Tous les peuples l’ont vu s’avancer triomphant.
On l’acclame avec joie, on le craint sans bassesse :
La lyre le célèbre et le fer le défend.

Sous ton noble drapeau la terre s’est couverte
Et de fleurs et de fruits. Devant lui la mer verte
A fait jaillir soudain de ses replis épais
Des continents nouveaux. Il se déploie, il passe,
Et comme le soleil, ce drapeau de l’espace,
Il ne saurait tomber. Dans une douce paix
Les penseurs, à son ombre, exaltent la science,
Les lettres et les arts prennent un vif essor,
L’usine est un coursier qui bout d’impatience,
Et le comptoir actif s’emplit de louis d’or.

Hosanna ! que le ciel prolonge encor ton règne !
Tu veux que l’on t’estime et non que l’on te craigne.
Reine, tu resplendis parmi les souverains,
Comme Véga la blanche au milieu des étoiles.
L’avenir à mes yeux a déchiré ses voiles ;
Il raconte ta gloire en d’immortels refrains.

Mère heureuse, tes fils, comme une autre couronne,
Font rayonner ton front d’une sainte fierté.
De son nimbe éternel la gloire t’environne,
Car où ton pied descend germe la liberté.

Grands sont les souverains qui restent toujours justes,
Et vers les malheureux penchent leurs fronts augustes !
Ils sont aimés de tous, aimés et bénis. Non,
Jamais d’un traître fer la crainte ne les glace :
Entre eux et lui souvent la main de Dieu se place.
Leur nom, doux comme un luth, fort comme le canon,
Fait expirer la haine et naître la concorde.
Le mal ne trouve point chez eux l’impunité ;
Ils usent du pouvoir avec miséricorde ;
Ils sont comme des dieux parmi l’humanité.

Tes vertus orneront les pages de l’histoire.
De leur sang généreux, sur plus d’un territoire,
Tes soldats ont écrit leurs superbes exploits.
Et tes hommes d’État, tes conteurs, tes poètes
Ont prédit tes grandeurs de leur voix de prophètes.
Toutes les nations vantent tes sages lois.
Que l’empire jamais, Reine, ne se divise !
Que tes sujets partout te montrent un cœur droit !
Car, fidèle toujours à ta noble devise,
Tu servis bien ton Dieu, tu défendis ton droit.