LES RUINES ILLUMINÉES[1]


À Madame la Marquise de Perussis.


C’était le soir. Émus, nous marchions en silence
Dans ce champ de la mort, nommé lorum romain ;
Au campo vaccino la foule était immense,
Et nous pouvions à peine y trouver un chemin.

Nous allions, admirant les ruines superbes,
Les temples écroulés, les palais des Césars…
Tout le vieux monde est là sommeillant sous les herbes,
Mais parmi ses dieux morts ont survécu ses arts.


De la foule soudain la clameur colossale
Ébranla l’atmosphère, et monta jusqu’aux cieux ;
Et tout autour de nous mille feux de Bengale
Jaillirent des débris, devenus radieux !

Sous nos yeux s’enflamma, comme un enfer dantesque,
Le Colisée énorme ; et ses sombres anneaux
Se dressant dans la nuit, spirale gigantesque,
Rougirent l’horizon de leurs feux infernaux.

De soudaines clartés brillèrent les façades :
Nous vîmes resplendir tous les marbres croulants,
Et les héros sculptés aux frontons des arcades
Dressèrent dans la nuit leurs fronts étincelants !

Ô merveille ! Il sembla que la Rome païenne
Se levait tout à coup vivante du tombeau,
Et que son faux éclat, de notre foi chrétienne
Allait aux yeux du monde éclipser le flambeau !

Mais non, l’instant d’après, ces gerbes de lumière
S’éteignirent partout, et l’on ne vit plus rien ;
L’ancien Forum reprit l’aspect d’un cimetière,
Où pour l’éternité dort le monde païen…


En sera-t-il ainsi de l’Église divine
Que le Christ est venu parmi nous établir ?
Non, certes ; ceux qui croient qu’elle tombe en ruine
Sont des myopes qui ne voient par l’avenir !

Non, l’Église vivra, car elle est éternelle.
Les siècles passeront sans flétrir son printemps,
Et la Rome chrétienne, avec elle et comme elle,
Glorieuse vivra jusqu’à la fin des temps !

Ô Rome, c’est en vain que les païens modernes
Prédisent constamment que tes Papes s’en vont ;
Ces faux sages n’ont pas d’huile dans leurs lanternes...
Qu’ils seraient criminels s’ils savaient ce qu’ils font !

Nous étions arrivés en causant de ces choses
Dans les jardins Farnèse où s’affaissaient les fleurs :
Et les étoiles d’or, dans les cieux fleurs écloses,
Versaient autour de nous leurs sereines lueurs.


Rome, Novembre 1875.
  1. Cette illumination eut lieu par ordre de Victor Emmanuel, à l’occasion de je ne sais plus quel anniversaire.