Les Éblouissements/Nocturne

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 362-364).

NOCTURNE


Je rêvais sous l’arceau de la nuit claire et lisse
La Mort m’a pris le bras,
Elle m’a dit : Tu bois la vie et ses délices,
Et pourtant tu mourras,

Un étrange, effrayant et douloureux mystère
Gèlera tout ton sang…
Ah ! le bruit aplati et lourd que fait la terre
Quand un corps y descend.

On te laissera là ; peut-être la nuit même
De cet enterrement,
Sur toi qui fus si douce et d’une ardeur extrême,
Il pleuvra froidement,

Tu dormiras d’un long, épouvantable somme,
Qu’aucun songe n’émeut,
Tes yeux qui se couchaient dans le regard des hommes,
Seront seuls tous les deux.


Tes délicates mains où d’autres mains entrèrent
Pour de si vifs émois,
Sentiront s’infiltrer quelques grains de la terre
Par les fentes du bois.

Là-haut, sur la suave plaine, il fera rose,
Il fera doux et bleu.
Au cœur du lis ouvert, juillet, ô sainte chose,
Déposera son feu.

Tu dormiras dans l’ombre, et ta petite gloire
Assise en ce tombeau,
Ne fera pas ta nuit moins secrète et moins noire,
Ne te tiendra pas chaud.

Aucune fleur ne peut désennuyer les mortes,
Leur bonheur est cessé.
Celui qui les aimait n’a pas rouvert la porte
Où elles ont passé.

Il faudrait, pour qu’un peu de plaisir les rassure,
Que le plus cher amant
Leur dise : « Vois, je viens pour baiser ta chaussure
Et tes deux pieds charmants.

Qu’il leur dise : « Voyez, votre chambre creusée
Plus qu’une autre me plaît.
Ce lit étroit, ce plafond bas, ces mains usées
Sont ce que je voulais.


« Votre doux, votre long et consentant silence,
Je l’ai tant désiré !
Maintenant que tu dors, je sais ce que tu penses
Cœur qui fut trop serré.

« Ah ! comme tu voulais toujours, petite amante,
Parler et blasphémer ;
Tu pensais que l’orgueil exige que l’on mente
Dans les instants d’aimer.

« Comme tu me plais mieux avec ton noir visage
Et ton cœur arrêté,
J’enlace enfin, cher être indéfiniment sage,
Ce que tu as été.

« Le dévouement d’amour, si plaisant et si tendre
Tant que ton corps fut clair,
Je te l’offre ce soir, où tu ne peux prétendre
A nul amour de chair.

Mais, ah quelle rumeur trouble encor notre somme,
Et rend mon cœur jaloux ?
J’entends, dans l’ombre affreuse et glissante où nous somme
Les dieux parler de vous… »