Les Éblouissements/Prière à Pallas Athéné

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 365-367).

PRIÈRE À PALLAS ATHÉNÉ


Ô limpide Athéné, déesse de ma race,
Qui tiens la lance aiguë et portes la cuirasse,
Dont le casque, fendu d’un clair regard au bord,
Gonfle et reluit ainsi qu’une montagne en or,
Je t’apporte ce soir ma plaintive tristesse ;
L’été partout s’étire et fond, le soleil baisse,
Les oiseaux, le feuillage et l’univers enfin
Chancellent de désir et de douceur j’ai faim
De tout ce qui parfume et de tout ce qui brûle…
Je ne puis plus porter ce divin crépuscule.
Mets ta main sur mon front, que je puisse oublier
A l’ombre de ton frais et large bouclier,
Le rossignol d’Asie et la chaleur des Indes,
Les vérandas, les lourds œillets, les vasques peintes,
Et ces gazons profonds, pâmés comme des lits,
Où les noirs bananiers sont pleins de bengalis…
Ô Pallas, éloignez votre sœur Aphrodite,
C’est elle la torpeur, la vision maudite,

La cruauté sans peur, sans repos, sans remords,

Le désir du désir et le goût de la mort, Et l’on défaille hélas ! sous son baiser humide... Mais toi, ta bouche est close et ton grand cœur est vide. Tes yeux ont la clarté du simple et frais matin, L’insatiable honneur te fait le front hautain, Jamais tu ne t’étends, jamais tu ne sanglotes, L’erreur en te touchant s’évanouit et flotte, Tu ne ris pas, tu n’as ni désirs ni langueur, Tant tu ne peux aimer que ton immense honneur. Par delà les coteaux où dansent tes abeilles Tu regardes monter la gloire sur Corneille, Dans ton rêve tranquille, interminable et lent, On voit passer le Cid, Alexandre et Roland. Et je brûlais d’ardeur, de rêve, d’indolence, J’emplissais de sanglots le somptueux silence, Quand vous m’avez appris, reine du bouclier, Qu’un cœur voluptueux était un cœur guerrier... — Déesse un jour, quand Mai rosira les corolles, J’irai m’agenouiller devant vos Acropoles. L’azur sera puissant, limpide, radieux, Ah ! faites-moi mourir sur la terre des dieux ! On mettra dans ma blanche et lumineuse tombe Des argiles pétris en forme de colombe, Un miroir enroulé de jonquilles en fleur, Et l’image d’Eros qui régna sur mon cœur. Alors, accueillez-moi, déesse exacte et juste, Dans vos regards sans fin, dans votre empire auguste,

Que je sois, dans la paume heureuse de vos mains,

Une Victoire ailée avec des yeux humains,
Que je voie, au matin, quand les flots bleus s’éveillent,
Des chèvres s’élancer sur les roches vermeilles,
Que le fenouil soyeux, que les menthes du pré
Me donnent leur parfum de miel doux et poivré,
Et que j’erre sans peur, sans reproche, sans rides,
Dans l’immortel azur où sont les Homérides...