Les Éblouissements/Crépuscule dans les jardins

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 307-308).

CREPUSCULE DANS LES JARDINS


Ô divin crépuscule, odeur de roses blanches
Le soir est du soleil arrêté dans les branches.
Les arbres des jardins épandent leurs rameaux
Et partagent la paix triste des animaux.
Tout est pensif, chargé de désir et de rêve,
Une vapeur descend, une autre se soulève.
L’air a le poids tombant et la force d’un cœur
Qui s’avance, gonflé de pleurs et de chaleur…
Jardin des soirs, détresse ineffable, mystère !
Tant d’humaine langueur qui monte de la terre !
Le tilleul inquiet, l’érable faible et blanc
Font un geste secret, désespéré, tremblant.
Baisant l’acacia, des roses suspendues
Elancent en tous sens leurs bouches éperdues.
C’est partout un soupir de verte humidité…
Ah ! dans la douce enfance, à ces moments d’été,
Quel énervant conseil d’amour, de suicide,
Venait des âcres fleurs, de la pelouse acide !
Quel martyre étouffant, quel regard vers les cieux,
Quel besoin de briser son cœur délicieux,


Quelle ardeur à presser, en pleurant, sur sa bouche,
Ce parfum qui languit, qui tombe, qui se couche.
Que de bruits humbles,doux,qu’on prenait dans son sein ;
Un crapaud, en sautant, regagnait le bassin,
Le jardin tout entier était la poésie
De l’Europe, des Amériques, de l’Asie. ..
Et le cœur puéril, et l’esprit innocent
Sentaient l’instinct brûlant s’éveiller dans le sang ;
Hagard, désespéré, haletant, volontaire,
L’enfant cherchait le sens immense de la terre,
Il regardait, craintif, écoutait, inquiet,
Ce que veut la senteur du lis et de l’ceillet,
Ce que veut la torride et bleuâtre buée
Qui s’exhalant du sol monte vers la nuée,
Ce que veut, dans le soir aux aromes stridents,
La palpitation des insectes ardents,
Et, subissant la loi qui va jusqu’aux étoiles,
Recevant le pollen du monde dans ses moelles,
Il mourait de sentir s’attacher à son corps
La flèche d’un désir confus, secret encor ;
Du désir mol, épars, saturé de tristesse,
Qui brûle par l’odeur et par le vent caresse,
Qui veille dans la fleur, qui tremble dans l’oiseau,
Qui gonfle l’azur tiède et limpide de l’eau,
Qui surprend la candeur et fait peser sur elle
L’empire illimité de l’ardeur sensuelle,
Et qui courbe un enfant, prêt à s’évanouir,
Sur la tâche du vague et fécond avenir...