Les Éblouissements/Petit jardin avec un poivrier

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 305-306).

PETIT JARDIN AVEC UN POIVRIER


Petit jardin avec un poivrier
Assis en France auprès de l’Italie,
Je pense aux jours où vous m’enivriez
D’azur, de rêve et de mélancolie !

Comme le soir vous jetiez sur mon cœur
L’amer parfum des lis, des bigarades,
Quand je marchais en repoussant l’odeur,
Qui revenait comme un flot dans la rade.

Au cercle étroit d’un bassin rond et gris,
L’eau s’endormait, petite eau qui se rouille ;
Et j’entendais monter jusqu’à mon lit
Le chant profond et triste des grenouilles.

Je me levais, je voyais le jardin:
Les beaux cailloux avec leur cœur de pierre
Gisaient en paix sous le ciel argentin,
L’arbre indolent semblait être en prière;


Les frais parfums s’amoncelaient sur moi,
Tout me disait : « Tu vois, la vie est calme,
Sois comme l’eau, comme le puits étroit,
Comme le lis qui luit, comme la palme… »

Mais rien ne peut nous consoler, les nuits
Où le cœur veut tout ce qu’il imagine.
Vous m’avez fait bien des divins ennuis,
Petit jardin avec des mandarines…