Le trésor des équivoques, antistrophes, ou contrepéteries/02

(Dupré-Carra, Léon)
[s.n.] (p. 15-44).

Le trésor des équivoques, antistrophes, ou contrepéteries, Bandeau de début de chapitre
Le trésor des équivoques, antistrophes, ou contrepéteries, Bandeau de début de chapitre


CHAPITRE II


Les Contrepéteries dans l’antiquité, à l’époque de la Renaissance et de nos jours. — Distinction entre l’Anagramme et la Contrepéterie. — Remarque du seigneur des Accords.



L es transpositions, ou, plus exactement, les permutations de lettres ou de syllabes, ayant pour résultat de changer le sens des mots ou la signification des phrases, étaient connues dès la plus haute antiquité.

Les Juifs s’adonnaient à la confection des anagrammes, cousines germaines des contrepéteries, et le troisième livre de la Kabbale, appelé Thémura ou Changement, n’est autre que l’art de pratiquer ces interversions pour découvrir dans les noms des révélations cachées et mystérieuses. Rien n’est donc nouveau sous le soleil et nous nous étonnerons seulement de ce que ce Thémura, volumineux et indigeste, soit l’œuvre de sires concis.

Trois siècles avant notre ère, le poëte Lycophron s’amusait à transformer le nom grec Πτολεμαῖος du roi d’Égypte Ptolémée Philadelphe, en ἀπόμελιτος, qui veut dire emmiellé, et celui de la femme de ce monarque, Ἀρσινόη, en ἴoν Ἥρας, violette de Junon. C’était déjà pas mal, bien qu’un peu trop sucré, et nous devons nous incliner avec respect devant un tel précurseur.

On trouverait, d’ailleurs, dans la langue grecque d’autres exemples de ces transpositions, et, puisque nous venons de mettre sur la sellette la reine des dieux, nous remarquerons, en passant, que l’Ἥρα de l’Hellade n’est qu’une forme inverse d’ἀήρ, celui des quatre éléments précisément personnifié par l’épouse de Jupiter.

Les Latins, ensuite, se sont mis de la partie et semblent avoir pris un malin plaisir à démarquer, par le jeu de la permutation, les mots qu’ils empruntaient à leurs voisins de l’est : forma n’est, de toute évidence, que le renversement de μορφή ; nares, de ῥῖνες, etc.

Mais, si nous voulons voir la contrepéterie conquérir vraiment droit de cité et donner la mesure de ses forces, il nous faut atteindre le grand mouvement scientifique et littéraire de la Renaissance.

Le génie français, qui somnolait depuis plusieurs siècles, se réveille, plus vif et plus alerte que jamais, et la manifestation la plus éclatante de cette admirable révolution intellectuelle fut, sans contredit, l’éclosion de ces ingénieuses équivoques, dont Rabelais nous a donné la primeur dans Les faicts et dicts héroïcques dit bon Pantagruel. Les permutations de lettres, jusqu’alors enserrées dans le cercle étroit de l’anagramme, élargissent leur domaine, pour le plus grand bien de l’édification des masses et le plus grand bonheur des « bons compagnons » amis de la franche gaieté gauloise.

Qui de nous n’a point présent à la mémoire ce délicieux dialogue entre Panurge et une « haulte dame de Paris », qu’il désirait «couvrir de sa race ? »

« Mais (dist il) équivocquez sur A Beaumont le viconte. Je ne sçaurois, dist elle. C’est (dist il) A beau con le vit monte. Et sur cela priez Dieu qu’il me doint ce que vostre noble cueur désire… »

Et ailleurs, dans l’énumération des objets de première nécessité que le même Panurge avait toujours dans ses poches :

« En l’aultre deux ou trois mirouërs ardens, dont il faisoit enraiger aulcunesfois les hommes et les femmes, et leur faisoit perdre contenance à l’ecclise : car il disoit qu’il n’y avoit qu’une antistrophe entre femme folle à la messe, et femme molle à la fesse. »

L’Équivoque, l’Antistrophe ou la Contrepéterie — tous ces termes sont synonymes, — était née : elle sortait, tout armée, du cerveau puissant du plus grand génie dont la France ait à s’enorgueillir.

La nouvelle venue fut choyée comme une petite reine, et tous, du bourgeois au grand seigneur, de la ribaude à la duchesse, et du clerc au cardinal, voulurent s’en faire une amie et la fêtèrent à l’envi. Elle fut, au xvie siècle, à l’apogée de sa gloire, et les meilleurs auteurs de l’époque lui dédièrent les plus belles pages de leurs œuvres.

Parmi ces écrivains figure, en première ligne, Étienne Tabourot, plus connu sous le nom de seigneur des Accords. Ce poëte bourguignon, doublé d’un philosophe émérite, comprit l’importance énorme de la contrepéterie dans les relations humaines et son influence considérable sur la destinée des peuples. Aussi consacra-t-il aux inversions de lettres, dans son livre des Bigarrures, une étude aussi brillante que fortement documentée, qui constitue, sans conteste, le monument le plus précieux d’une science philanthropique entre toutes.

Tabourot, soixante ans avant Descartes, se distingue par la rigueur de sa méthode : il commence par établir des définitions précises et par délimiter nettement le champ de l’anagramme et celui, plus vaste, de la contrepéterie. Je reviendrai plus loin sur cette distinction et ne retiendrai, pour l’instant, que les lignes suivantes :

« De cette inversion de mots, nos pères ont trouvé une ingénieuse et subtile invention, que les courtisans anciennement appelloient des Équivoques : ne voulans user du mot et jargon des bons compagnons qui les appelloient des Contrepéteries. Et n’entendans aussi ce mot, Antistrophe, qu’ils estimoient estre le langage inventé de quelque Lifrelofre : C’a esté le gentil, sçavant, et gracieux Rabelais, qui les a premier baptisé de ce propre nom grec, encor que les Latins l’ayent ordinairement usurpé pour la transposition des noms : Comme Petri liber, au lieu de Liber Petri,… » etc.

Nous sommes maintenant fixés, grâce à l’érudition de l’auteur des Bigarrures, sur les origines et la synonymie de ces trois termes équivalents : Équivoque, Antistrophe et Contrepéterie, et nous constatons avec peine la défaveur manifeste dont le dernier était l’objet.

Mais il faut tenir compte des préjugés d’un siècle où les revendications des prolétaires ne pouvaient se faire jour et où les « bons compagnons » et le « jargon » d’iceux étaient voués, sans recours, à l’indifférence ou au mépris universels. Et pourtant le bon sens et la sagesse populaires avaient, encore une fois, raison : le terme de contrepéterie renferme, en même temps, l’idée d’une demande semblable à celle que Panurge adressait à la « haulte dame de Paris », et la pensée d’une réponse contraire à la teneur de la question posée ; il est moins prétentieux que l’antistrophe des docteurs, et plus précis que l’équivoque des courtisans, — qui eussent été mieux inspirés en s’appliquant à eux-mêmes l’expression en litige.

Je ne cache pas, pour ma part, ma préférence marquée pour le terme contrepéterie, et je dois reconnaître que Tabourot lui-même l’a mis sur le pied d’égalité avec celui d’antistrophe, sa lumineuse dissertation ayant pour titre : Des Antistrophes ou Contrepéteries.

Après avoir traité, de façon magistrale, la partie philologique de son sujet, le seigneur des Accords en arrive aux exemples ; il passe en revue, avec sa bonhomie souriante, les menus faits de son temps et les met superbement en valeur par le jeu de la contrepéterie. L’historien puiserait certainement dans ces récits naïfs des documents de premier ordre sur l’état des esprits en France sous le règne de Charles IX.

Voici, d’ailleurs, quelques échantillons de ces innocents badinages :

« Ô que ces fagots coustent », s’écrie Tabourot, que la cherté du bois de chauffage rend inquiet sur l’avenir. — « Ô que ces cagots foutent », remarque-t-il aussitôt, envisageant ainsi, avec sa lucidité coutumière, un mode d’entretien moins dispendieux de la chaleur animale.

« Un lieur de chardons est mort à Falaize », nous apprend-il ailleurs, d’après une information de la dernière gazette. Puis il reprend avec philosophie : « Un chieur de lardons est fort à malaize », établissant ainsi un frappant contraste entre les souffrances de la vie et l’anéantissement de la mort.

Plus loin, il retrace, avec mélancolie, les amères déceptions de l’amour et s’exprime ainsi : « Quand je prise les brunes, la noire me fuyt » ; mais il reconnaît bien vite que là ne se bornent point les misères humaines, car il ajoute : « et quand je brise les prunes, la foire me nuit. »

Enfin, Tabourot, catholique fervent, ne ménageait point ses louanges aux jeunes hommes attachés aux bons cordeliers, tandis qu’il réservait ses admonestations les plus sévères aux jeunes filles doutant de leur foi. Mais telle était, à son époque, la corruption des mœurs que l’on voyait, plus souvent encore, les jeunes hommes attachés aux cons bordeliers et les jeunes filles foutant de leurs doigts.

Cette rapide analyse aura permis d’apprécier l’importance de l’œuvre de Tabourot : cette œuvre eût été plus vaste encore, si une mort prématurée n’était venue ravir le savant Bourguignon aux lettres et à ses amis. Le travail gigantesque auquel il s’était livré pour rassembler les matériaux de son étude sur les Antistrophes ou Contrepéteries ne fut pas, sans doute, étranger à cette fin précoce : il s’éteignit à quarante et un ans, muni des sacrements de l’Église, dont il avait été l’un des chauds défenseurs.

Sous le règne du Grand Roi, et pendant tout le xviiie siècle, la Contrepéterie sommeille : elle effarouchait la pruderie des classiques et s’accommodait mal de la mythologie maniérée des abbés de cour et des marquises à paniers.

Elle était, aussi, victime de la concurrence déloyale de l’anagramme, misérable expédient des flatteurs à gages, qui se torturaient la cervelle, dans l’espoir d’un maigre salaire, pour dénicher quelque chose dans les noms des puissants du jour, notoirement connus pour n’avoir rien dans le ventre.

Colletet, pourtant peu suspect de partialité en la matière, ne s’est pas fait faute de décocher à ces thuriféraires de bas étage ses traits les plus acérés, et les vers suivants, qu’il adresse à Ménage, ne laissent aucun doute à cet égard :

Ménage, sans comparaison,
J’aimerais mieux tirer l’oison,
Et même tirer à la rame,
Que d’aller chercher la raison
Dans les replis d’une anagramme.
Cet exercice monacal
Ne trouve son point vertical
Que dans une tête blessée ;
Et sur Parnasse nous tenons
Que tous ces renverseurs de noms
Ont la cervelle renversée.

Mais le protégé du cardinal de Richelieu ne nous dit pas si la femme de Ménage, experte dans la confection des crèmes renversées, l’était, de même, dans l’art de redresser les encéphales.

Les arbitres jurés de toutes les élégances étaient, à cette époque déjà lointaine, aussi incapables qu’aujourd’hui de sentir et de savourer les jouissances des saillies de l’esprit gaulois : ils vivaient dans le monde factice des rubans et des colifichets, et professaient le plus suprême dédain pour tout ce qui n’était point l’objet des faveurs de la cour.

L’Art de Plaire dans la Conversation, Par Feu M. de Vaumorière, nous renseigne amplement sur cet état d’esprit (?) :

« Pour les Quolibets, les Turlupinades, et les Équivoques, écrit-il dans ce manuel du parfait précieux, vous voulez bien que nous les abandonnions au Peuple, ou, tout au plus, aux beaux Esprits de la basse Bourgeoisie. »

Ce Vaumorière, — décédé, en réalité, au mois de septembre 1693, — a rendu trop tôt au Seigneur son âme aristocratique : il était tout désigné pour faire chorus, en compagnie de ses pairs et descendants du xxe siècle, avec nos collectivistes les plus unifiés, contre ces infâmes bourgeois coupables de tous les crimes, même de celui d’avoir un faible pour l’antistrophe.

Quoi qu’il en soit, la concurrence déloyale de l’anagramme, d’une part, et les attaques méprisantes des chevaliers du bon ton, de l’autre, eurent pour effet d’arrêter net, pendant près de trois cents ans, l’essor de la Contrepéterie, si splendidement lancée par le souffle immortel des Rabelais et des Tabourot.

C’est à l’un de nos plus illustres contemporains que revient la gloire d’avoir réveillé la Belle-au-bois-dormant. Il ne fallait rien moins que l’un de nos plus brillants polytechniciens pour la tirer de sa léthargie et nous la présenter, plus fraîche et plus parée que jamais : j’ai nommé Armand Silvestre, penseur profond et moraliste de haute envergure, admirablement préparé par l’étude des sciences exactes à la solution des difficultés les plus transcendantes de la Contrepéterie.

Ses pareils à deux fois ne se font point connaître,
Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître.

On le vit bien quand il eut couvé et tiré de l’œuf « Cucu », perroquet favori de Mme d’Estourville et oiseau singulier, ayant pris de sa maîtresse l’habitude d’intervertir les lettres dans les mots :

« Je ne vous aurais pas engagé à vouloir lui faire dire : Madame, voulez-vous une pierre fine ?, ou quelque autre phrase dangereuse du même goût », déclare le pudique Inspecteur des finances, soucieux de mettre ses concitoyens en garde contre les inconséquences regrettables de ce Ver-Vert loquace de la Contrepéterie.

Par malheur, les meilleurs conseils tournent généralement à l’encontre des bonnes intentions de celui qui les donne, et ce fut « Cucu » qui fit école : une nuée d’autres perroquets, moins verts peut-être que lui, mais plus haut perchés sur pattes, voulurent lui donner la réplique, et ce fut un concert assourdissant de mots renversés, dans lequel les dramaturges le plus en faveur tinrent à faire leur partie.

Je n’en veux pour preuve que cet alexandrin, extrait du Chemineau, et mis dans la bouche du moissonneur Martin :

Et ce mâtin de blé, dur et dru comme quatre.

Dès lors, la Contrepéterie était rentrée dans les mœurs.

Elle est devenue, depuis, l’accessoire obligé de toute discussion sérieuse, car, seule, elle permet d’envisager, d’une manière rapide et mathématique, les deux faces d’une même question ; elle fournit à la jeunesse de l’un et l’autre sexe des sujets de récréation instructifs et variés, appelés à remplacer avantageusement les jeux, prétendus innocents, qui mettent trop souvent en défaut la vigilance attentive des mères de famille ; étrangère enfin à tout ce qui divise et facilement accessible à tous, elle deviendra — j’en ai la conviction sincère — le levier puissant de la réconciliation universelle, quand l’humanité, familiarisée avec les transformations multiples de cette bonne fée, aura compris que les pires malentendus ne reposent, la plupart du temps, que sur de simples transpositions de lettres, dont il vaut mieux rire que pleurer.


Le trésor des équivoques, antistrophes, ou contrepéteries, vignette
Le trésor des équivoques, antistrophes, ou contrepéteries, vignette

Je ne veux pas clore ce chapitre avant d’avoir indiqué les différences essentielles qui distinguent l’anagramme de la contrepéterie.

Si l’une et l’autre procèdent de permutations dans les mots, elles présentent, en revanche, des différences profondes, que le subtil Tabourot était trop clairvoyant pour n’avoir point aperçues :

Je lui laisse, d’ailleurs, la parole : « Tu as peu cy-devant voir la façon des Équivoques, Amphibologies, et Antistrophes : desquelles conséquemment nous viendrons aisément aux Anagrammes, qu’on dit autrement, Noms renversez : Parce que ce sont inversions de lettres, tellement transposées, que sans aucune adjonction, répétition, ou diminution d’autres, que celles qui sont au nom et surnom d’une personne, on en fait quelque devise ou période accomplie d’un sens parfait. Et faut bien adviser que l’orthographe y soit bien observée, si ce n’est que pour l’excellence de quelqu’un, on se puisse dispenser de cette reigle. »

On ne saurait mieux dire, et ces explications limpides jettent une vive lumière sur le problème qui nous occupe.

Tandis que la contrepéterie ne connaît pas de limites et se meut librement dans le champ de la parole, l’anagramme reste confinée dans les noms et surnoms des personnages célèbres ou des gens de qualité. La contrepéterie, avec la prescience de notre grande réforme libératrice, s’affranchit sans remords de la tyrannie de l’orthographe, alors que l’anagramme demeure figée dans le culte de cette tradition surannée et ne sollicite de dispenses qu’en faveur des grands — bien mal choisis pour apprécier une attention si délicate, étant donnée leur ignorance, reconnue et affectée, des principes mêmes de l’écriture.

Mais, à un autre point de vue, l’anagramme et la contrepéterie ne sont pas nées pour vivre ensemble, et, là, c’est notre oreille qui les départagera. Il est impossible de retrouver dans les « périodes ou devises d’un sens parfait », dont parle Tabourot, la moindre trace des consonnances caractéristiques des noms dont elles ont été extraites : personne ne se douterait — même abstraction faite de son sens concret et du croc-en-jambes donné à l’orthographe par égard pour l’excellence de la personne en cause, — que l’anagramme :

De vertus l’image royal


présente quelque rapport avec :

Marguerite de Valois

La contrepéterie, au contraire, laisse toujours subsister les articulations principales des mots qu’elle utilise, articulations qui lui servent, pour ainsi dire, de certificat d’origine.

Ainsi, entre :

le bon Fouquet


surintendant des finances, célèbre par ses malheurs, et la locution triviale et familière :

bouffer le con


il existe une corrélation évidente, et, qui plus est, une contrepéterie impeccable et respectueuse de ses antécédents.

Je donne cet exemple entre mille, en me servant du nom d’un personnage connu, pour bien montrer que, sans sortir du domaine de l’antistrophe, je pourrais, moi aussi, m’amuser à maquiller des états-civils, et entrer ainsi en lice avec les faiseurs d’anagrammes.

Si nous nous élevons enfin au-dessus des considérations terre à terre de la philologie pour aborder les sphères, autrement sereines, de la philosophie sociale, nous voyons s’ouvrir, plus large encore, le fossé qui sépare l’anagramme de la contrepéterie.

La première a toujours été l’apanage exclusif d’une caste privilégiée, et elle se ressent de l’invincible ennui qui préside aux hommages officiels et à l’étiquette des cours : point d’originalité dans ses louanges dictées par l’intérêt, et nulle saveur dans ses formules trop minutieusement apprêtées. Une fois, par hasard, elle est sortie des antichambres royales pour aller visiter la maison du pauvre, et cette bonne action a reçu sa récompense. La modeste

Marie Ménedant


dont les biographes ont négligé de nous faire connaître l’histoire, a vu son nom immortalisé par la seule anagramme qui vaille d’être citée pour le suave parfum de charité chrétienne qu’elle répand autour d’elle :

merde en ta main

Il n’en va pas de même de la contrepéterie, ignorante de la lutte des classes et des distinctions de la naissance, de la gloire et de la fortune : l’humble roturier et le gentilhomme plein de morgue, l’artisan obscur et le guerrier illustre, le mendiant déguenillé et le financier cousu d’or, sont, tour à tour, visités par elle et se partagent ses faveurs. Elle fait naître sur son passage la fleur précieuse de la gaieté ; son rire argentin donne un regain de jeunesse au vieillard courbé sous les ans, de même qu’il éclate, aux portes de la vie, comme une fanfare joyeuse d’allégresse et de bienvenue, aux inoubliables accents.

Elle abhorre, il est vrai, les subtils détours et les voiles savamment drapés ; elle est l’ennemie jurée de toute hypocrisie et la sœur de la Vérité ; elle se moque des censeurs à la pudeur revêche et des pédagogues importuns ; et quand ces radoteurs lui adressent le reproche d’affectionner surtout les propos un peu lestes, elle leur répond, avec son grand parrain, le Seigneur des Accords, qui était un sage :

« Il ne se faut pas scandaliser s’ils sont un peu naturalistes : car je ne sçay comme il avient que ordinairement et plus volontiers, on se ruë plus sur cette matière que sur une autre, et y rencontre-t-on plus plaisamment. »


Le trésor des équivoques, antistrophes, ou contrepéteries, vignette
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