Mon Magazine (paru dans Mon Magazine de février 1926p. 15-17).


VIII


La nuit qui suivit fut sans repos pour la malheureuse. Bourrelé de remords et redoutant la colère de M. Nangin autant que les suites de son mensonge, vingt fois elle prit la résolution de tout avouer, autant de fois elle y renonça dans la crainte de perdre l’amitié et les bienfaits de son parent.

Enfin, vers le matin, terrassée par la fatigue, elle s’endormit. Mais le sommeil n’était plus pour elle l’oubli reposant des jours d’innocence. Elle eut des songes horribles : se vit traînée en prison, au milieu de la foule qui lui criait des injures et l’appelait voleuse, et s’éveilla brisée d’émotion. S’habillant à la hâte, Zilda descendit rejoindre son oncle qui l’attendait dans la salle à manger.

En voyant sa pâleur, M. Nangin demanda à sa nièce si elle était malade, et sur sa réponse négative, il attribua sa nervosité à la peur qu’elle avait ressentie, la veille, en face de l’audacieux voleur.

Après le déjeuner, auquel Zilda ne put toucher, M. Nangin lui annonça qu’il avait averti la police, de l’attentat dont elle avait été victime, qu’il y aurait une enquête et qu’elle devait se tenir prête à donner son témoignage.

Cette enquête eut lieu, et la pauvre Zilda, pressée de questions, ne sachant que répondre, donna presqu’inconsciemment le signalement de l’homme qu’elle avait vu causer à la porte de la demeure de son oncle, le jour de l’attentat.

Quand la malheureuse jeune fille vit les premiers résultats de son témoignage, c’est-à-dire l’arrestation de l’ouvrier, elle voulut s’illusionner encore en se disant qu’il serait condamné à quelques mois de prison, mais qu’elle verrait à ce que sa femme et ses enfants ne manquassent de rien, en leur faisant parvenir clandestinement l’argent qu’elle avait volé.

C’était une bien triste compensation pour l’honneur de l’époux et du père, mais Zilda était entrée dans une route maudite et ne savait plus s’arrêter. Il en est toujours ainsi pour ceux qui dans la vie, prennent le mauvais chemin : à l’entrée, il semble tout facile et, brillant de lumière, mais aussitôt qu’on s’y est engagé on ne voit plus clair et l’on glisse insensiblement dans un gouffre, qui finit par engloutir. Il faut une grande force d’âme pour se dégager et rebrousser chemin, et Zilda n’avait pas ce courage.

L’histoire de Zilda s’arrêtait ici. Plus bas, d’une écriture tremblée, elle avait tracé ces mots, les derniers qu’elle eût écrit sur terre, sans doute : « Puisse Dieu me pardonner et mon mari bien-aimé ne pas me maudire. »

Des larmes avaient coulé sur le manuscrit, délayant l’encre qui avait par endroit l’aspect de sang pâli.

Hermas baisa pieusement ces larmes séchées et murmura comme pour lui seul : « Malheureuse et chère victime ».

Puis, longtemps, il resta silencieux et rêveur, comme cherchant une solution au douloureux problème qui venait s’ajouter à l’immensité de son chagrin.

Son ami, l’abbé, respectant sa douleur, n’osait lui adresser la parole, et ce fut le veuf qui parla le premier : « Il faut, dit-il, réhabiliter et libérer ce malheureux détenu injustement au pénitencier. Mais ma fille ne doit pas souffrir du malheur de sa mère : elle doit toujours l’ignorer, et pour cela il n’est qu’une solution, je quitterai ce pays, je m’expatrierai avec mon enfant, je l’élèverai loin de ceux qui auront connu nos malheurs. Je donnerai à la malheureuse victime de l’inconséquence de ma pauvre femme tout ce que je possède et j’irai planter ma tente sur la terre étrangère. »

— « Mais c’est la ruine pour vous et votre enfant », remarqua le curé,

— « Je le sais, mais cet homme dont la vie a été ruinée, mérite bien un tel dédommagement. Je suis encore assez jeune pour me refaire une situation ailleurs, même si je dois pour cela m’imposer quelques sacrifices ; s’il faut souffrir, je souffrirai : j’expierai pour elle, la pauvre enfant qui a payé du repos de toute sa vie la faute de n’avoir pas su résister à une première tentation. Pourtant, ajouta-t-il, en s’adressant au prêtre, vous savez comme elle était bonne ».

— « Vous avez raison, répondit le brave homme, mais elle était sans méfiance, et c’est toujours lorsque l’on ne se méfie pas que le démon triomphe de nous ».