Mon Magazine (paru dans Mon Magazine de février 1926p. 6-7).

III


Tandis qu’avec tout le décorum de la cour, se déroulait ce drame lugubre, la pauvre femme de Nado vivait d’angoisses que les mots ne sauraient rendre.

Terrassée par le choc que lui avait causé l’arrestation de son mari, elle avait dû s’aliter et se trouva incapable d’assister au procès. Elle en fut donc réduite à attendre qu’un voisin charitable, appelé comme témoin, par l’avocat de l’accusé, vint charitablement, chaque soir, lui relater les séances de la cour. La malheureuse le questionnait sur mille circonstances qui avait échappé à son esprit peu observateur, et dès le premier jour, elle comprît à l’allure de cet homme que le doute était entré dans son esprit. Elle qui avait foi en l’innocence de Pierre, elle en éprouva une sourde révolte. L’épouse infortunée se rendit compte, aussi, que ses voisins ne lui témoignaient plus la même bienveillance ; il y avait comme une nuance de pitié et même de méfiance dans leurs manières, depuis l’arrestation de son mari : il y avait des enfants qui évitaient de jouer avec les siens. Le lendemain du jour où Mlle Nangin avait déclaré reconnaître en Nado l’homme qui l’avait assaillie dans la maison de son oncle, un gamin qui s’était querellé avec le petit Nado, lui avait crié : « Ton père est un voleur, tout le monde le dit ».

L’enfant outré de colère, s’était rué sur son camarade et l’avait rudement châtié.

Et la mère du jeune calomniateur étant survenue, au moment où Mme Nado ouvrait la porte pour appeler son fils, la voisine cruelle lui avait jeté cette parole méchante : « Votre enfant promet bien de ressembler à son père ». La pauvre mère avait simplement répondu, en cachant ses larmes : « Si mon fils devient méchant, il ne ressemblera plus à son père. »

Elle se rappelait tout cela, maintenant, et quoiqu’elle eût gardé toute sa confiance en l’honneur de son mari, elle n’avait plus confiance en la justice des hommes.

Aussi, le deuxième jour du procès, lorsque le voisin obligeant vint lui rendre compte de ce qui s’était passé à la cour, elle n’eût pas besoin de l’interroger pour savoir que tout espoir était perdu : l’angoisse de son cœur l’en avertit plus tôt que le visage consterné du messager

« Ils ont osé le condamner ? dit-elle presque bas, comme si elle eut peur de la réponse prévue.

— « Hélas ! répondit l’homme impitoyable, d’un ton sentencieux, la preuve était écrasante ». Et il s’en alla, sans adresser une parole de consolation à cette malheureuse abandonnée.

Mme Nado comprit qu’elle n’avait plus d’amis, et ce soir-là, elle s’enferma dans sa maison avec ses enfants, qu’elle mit au lit de bonne heure. Elle resta longtemps assise auprès de leur petite couchette, regardant souvent vers la porte, tendant l’oreille au moindre bruit. Elle espérait, peut-être, que quelque voisin charitable viendrait apporter à sa détresse le soulagement d’un peu de sympathie. Mais nul ne vint frapper à cette porte que le malheur avait marquée.

Le lendemain matin, Mme Nado se leva de bonne heure, après une nuit sans sommeil. Elle fit déjeuner les petits, mais elle fut elle-même incapable de rien manger ; après avoir rangé son petit ménage, elle fit la toilette de ses enfants — toilette bien modeste, qui consistait pour le petit garçon en un complet de coutil, et pour la fillette, une robe d’indienne. Elle mit ensuite sa robe des dimanches, sa pauvre robe en alpaca fanée, mais propre, et son chapeau de paille, qu’elle rafraîchissait chaque printemps depuis trois ans. Puis, sans seulement prendre la peine de se regarder au miroir, elle sortit en portant sa petite fille dans ses bras et donnant la main à son petit garçon.

La pauvrette allait dire adieu à son époux, car, depuis la veille, elle savait qu’il avait été condamné à vingt ans de pénitencier.

Il n’y avait pas de tramway à cette époque, et la malheureuse n’avait pas les moyens de se payer une voiture de place. Elle parcourut donc à pieds la longue distance qui séparait sa demeure de la prison, où Nado, depuis la veille, n’espérait plus rien de la justice des hommes. Plusieurs fois, durant le trajet, la pauvre femme dut s’arrêter pour laisser reposer les petits qui n’en pouvaient plus, quoiqu’elle les portât à tour de rôle. Épuisée, elle aussi, par cette marche harassante et sa maladie récente, l’infortunée traînait péniblement ses pieds endoloris.

Il lui fallut plus de deux heures, pour parcourir son calvaire. Une entrevue comme celle que Nado eut avec sa femme ne se décrit pas. Ceux qui ont dans l’âme assez de bonté pour concevoir la douleur d’autrui se feront une assez juste idée de la détresse de ces jeunes époux séparés dans le plein épanouissement de leur bonheur modeste. Pour les autres, toute tentative de description serait une dépense de vaines paroles.