Mon Magazine (paru dans Mon Magazine de février 1926p. 7-9).

IV


Dans un boudoir modeste, aux meubles anciens, Zilda Nangin est assise auprès de son fiancé, Hermas Nodier. Le jeune homme a déposé sur les genoux de son aimée, une gerbe de roses et elle en aspire le parfum en plongeant son visage pâle dans les pétales veloutés.

Hermas la regardait avec une expression de vénération amoureuse. Zilda sentit peser sur elle ce regard persistant, et tournant vers lui ses grands yeux bruns, où semblait s’être figée une expression d’incurable tristesse, elle lui posa, d’une voix basse et presqu’inquiète, cette banale question : « À quoi songiez-vous donc, en me regardant ainsi ? »

— « Je me rappelais le jour où vous m’êtes apparue, si irrésistiblement belle dans votre pâleur d’enfant malade ; je vous revois toujours, candide et un peu effarée, dans le décor austère d’une cour de justice, surmontant votre timidité, pour implorer la clémence des juges en faveur du misérable qui avait failli vous assassiner. »

— « Oh ! je vous en prie, ne me rappelez jamais ce jour terrible, j’ai trop souffert », fit-elle en fermant les yeux, avec une expression d’horreur.

— « Pauvre enfant chérie, murmura Hermas, en lui serrant les doigts avec ferveur, vos nerfs ont gardé de cet instant terrible un ébranlement dont ils ne sont pas remis encore, mais cela passera. Je vous aimerai tant que vous ne songerez plus qu’au présent.

— « Mais, pourquoi », ajouta-t-il, d’un ton de reproche « retardez-vous toujours l’heure de notre bonheur ? Fixez ce soir, voulez-vous le jour de notre mariage. Je vous en prie, ne prolongez pas plus longtemps cette épreuve. Vous, si bonne pour tous, ne comprenez-vous pas que vous me torturez par ces atermoiements ? Ne m’aimez-vous donc plus ? »

— « Ô Hermas ! ne parlez pas ainsi, vous êtes ma seule raison de vivre ; c’est seulement depuis que je vous connais que j’aime la vie ; mais j’ai peur que vous ne m’aimiez pas toujours, vous. »

— Je ne pourrais pas vivre encore et ne plus vous aimer, répondit le jeune homme, en pressant sur ses lèvres les doigts de sa fiancée.

— « Pourriez-vous m’aimer encore, même si j’avais commis un crime ? »

— « Vous commettre un crime ?… Je douterais plutôt de ma raison que de votre innocence. »

— « Ah ! vous ne pourriez plus m’aimer, si j’avais commis un crime », reprit-elle avec une profonde expression de mélancolie.

Il la regarda, un peu étonnée de sa persistance, puis reprenant sa gaîté ; « Petite romanesque », dit-il d’un ton grondeur, « pourquoi vouloir mêler des pensées tragiques à notre douce idylle ? Je vous aime tout simplement à la folie, mais si ce n’est pas ainsi qu’il faut vous le dire, eh bien, oui, je vous aimerais, même si vous aviez commis tous les crimes possibles. Je vous le répète, je douterais plutôt de ma raison que de votre innocence, et lors même que l’univers entier se liguerait pour vous accuser, je vous défendrais. El je vous aimerais davantage, parce que vous seriez malheureuse. »

Un flot de larmes envahit les yeux de Zilda, à cette protestation passionnée ; elle tendit ses lèvres à Hermas, et dans un baiser, elle promit que dans deux mois elle serait sa femme.