H. Daragon (p. 67-73).
V
 
Shatanistes contemporains
 

Ce fut chez le maître J.-K. Huysmans que je reçus mon initiation à l’occultisme. Hum ! occultisme de mauvais aloi, je le crains, quasi-shatanique. Car, il me faut l’avouer — toutefois, que cet aveu ne diminue l’admiration que je professe pour l’écrivain et son œuvre — Huysmans fut trompé, affreusement trompé, et, jusqu’à sa mort, erra, en somme, angoissé, du Shatanisme au Mysticisme, du Mysticisme au Shatanisme. Zola porta au Catholicisme bourgeois un coup infiniment moins rude qu’Huysmans.

Huysmans avait rencontré l’abbé Boullan et hérité de ses papiers et … de sa cuisinière — bonne à tout faire. Qu’était-ce que Boullan ? Un saint, affirme Huysmans, qui, dans Là-Bas, sous le nom de « Johannès », le montre exorcisant et guérissant tous les maux ; un bandit, assure Stanislas de Guaïta qui, dans Le Temple de Satan, sous le nom de « Baptiste », le dépeint escroc et directeur du Carmel, de ce Carmel fondé par Vintras[1] dont les membres n’ont qu’une chose en vue, leur rédemption, c’est-à-dire qu’ils ne pensent qu’à mériter le ciel, et que cette rédemption ne peut s’accomplir que par des actes d’amour — d’amour point du tout divin !

Boullan eut sur Huysmans une influence énorme, il lui fit envisager l’Occultisme d’un œil légèrement partial et s’empêtra quelque peu dans le Shatanisme et le Luciférisme.

Nous négligerons le Luciférisme qui n’a existé que dans l’imagination d’Huysmans, de Diana Vaughan et de M. Jules Bois.

Puisque nous parlons de Boullan, rappelons sa lutte avec Stanislas de Guaïta ; elle fut terrible : elle se termina par … la mort des deux ennemis ! Boullan mourut de l’envoûtement, à Lyon, en Janvier 1893, et Guaïta du choc en retour.

… Certes, le très respectable prêtre dont le nom suit n’a aucun rapport avec tout cela, et nous ne le citons que pour être complet dans notre documentation. Nous estimons simplement que Rome ne doit pas le voir d’un très bon œil.

L’abbé Mélinge, dont la cure est située du côté d’Étampes, fut membre du Conseil Suprême des Douze de la Rose†Croix ; il fut aussi Aumônier de la Légion d’honneur, et écrit, actuellement, sous le pseudonyme de « Alta », en des revues où il démontre que tout, philosophie, théologie, enseignement, doit subir l’examen de la Raison pure, que le Positivisme sert de base au Spiritualisme, que la Religion doit partir de la Raison pure.

… Or, le Positivisme est aussi loin du Christianisme que le Mysticisme.

Lisez ces documents sur le Mysticisme.

« O Vierge Marie, toi seule es digne d’amour, vierge, mère, épouse ! Toi seule es belle, toi seule es pure, toi seule es chaste. Je t’aime ! Viens à moi, Marie, aux minces bandeaux, aux grands yeux clairs, à la robe si joliment drapée t Je t’aime ! Viens à moi. J’ai grandi sous tes caresses. Partout, dans ma cellule, sont tes images et tes statues. Marie, pleine de grâce, au visage suave, aux mains fines, souris-moi. Toi seule sais l’amour que je ressens pour toi.

« Je me livre à toi tout entier. Volupté divine ! Tu embaumes ! Tu me ravis, je suis ton esclave, ta chose. Ma chère maîtresse ! ma bien-aimée ! Je t’offre ma chair meurtrie. Je demeure éperdu de joie. Je me sens défaillir.

« Donne-moi ton cœur, aime-moi, Mère ! épouse ! maîtresse ! jouissance surhumaine ! Tes paupières à demi-baissées laissent couler des regards humides. Je t’attends. J’embrasse tes pieds nus. Je me meurs sans toi, Je veux monter à tes lèvres ; moi, vierge, je veux t’avoir vierge. Marie ! Marie ! »

Lisez ceci aussi :

« Je posai mes lèvres sur la statue de la Vierge. Quel fut mon étonnement quand je sentis que ce baiser m’était ostensiblement rendu ! Je recommençai, et la même caresse recommença. Elle produisit, dans tout mon corps, un frémissement indescriptible. En même temps, un être s’approchait de moi, que je ne pouvais voir, toucher, ni entendre. Une volupté me transporta de ravissement et de bonheur. Jamais je n’avais ressenti sensations aussi douces et aussi épuisantes.

« Le lendemain et les jours suivants, mêmes baisers donnés et rendus.

« Un soir, les baisers de ma céleste amie se précipitèrent, et me causèrent une joie indicible. Je la possédais, comme elle me possédait. Depuis, il ne s’est pas écoulé un seul jour sans que ces ineffables jouissances ne se reproduisissent plusieurs fois. »

Un autre prêtre nous apprend la suite de l’idylle dans une lettre qu’on a bien voulu me permettre de recopier :

« … L’économe du couvent et d’autres personnes, étant dans la cellule de l’abbé X…, entendirent les baisers que la Vierge lui donnait« et s’aperçurent que chaque baiser produisait une petite quantité de liqueur qu’il avalait. Quand il en eut avalé une bonne quantité« les baisers continuant« il laissa échapper cette liqueur par un côté de sa bouche. Alors, l’économe, s’approchant, la recueillit avec son doigt et l’avala. Puis, il en donna une léchée à chaque personne qui était dans la pièce. Toutes en goûtèrent, et la trouvèrent délicieuse.

« Les baisers devinrent plus bruyants. Soudain, ils furent accompagnés chacun d’un joli bonbon, de la grosseur d’un pois. L’abbé en reçut près de cent. Nous les goûtâmes aussi, ils étaient excellents… »

Si l’on doute de leur existence, qu’on aille rue Saint-Sulpice : on y peut lire, à la devanture d’une boutique, cette annonce : À vendre bonbons provenant des baisers cristallisés (sic) de la Vierge, cueillis (sic) sur les lèvres de M. l’abbê X… À vendre, également, liqueur provenant de ces bai sers. Le bonbon : un franc.

… J’ai montré les shatanistes isolés.

Voici des associations, des « communautés » de shatanistes.

En 1855, il existait, à Paris, une association composée en majeure partie de femmes qui communiaient plusieurs fois par jour, gardaient les hosties dans leur bouche, les recrachaient pour les lacérer ensuite ou les souiller d’une façon indescriptible» Ces faits furent dénoncés par le très sérieux et très catholique journal Les Annoies de la Sainteté. Une autre revue non moins sérieuse, La Voix de la Septaine, révèle à Agen l’existence d’une association shatanique fonctionnant depuis fort longtemps.

En Amérique existe une vaste association, la Société des Ré-Théurgistes-Optimates ; son chef était, il y a quelques années, un nommé Longfellow qui avait pris le titre de « Grand prêtre du Nouveau Magisme Evocateur ».

Aux Antilles existent plusieurs sociétés.

À Bruges, j’en connais deux.

… Il nous faut dire un mot, maintenant, des rapports de l’actuel clan des occultistes avec le shatanisme.

Nos occultistes ne le nient pas, ils le combattent.

Ils le combattent… ouvertement.

Il ne suffit point de tourner en ridicule le massif — et, d’ailleurs grotesque — livre du sieur Bataille sur le Diable pour donner le change !

Que font les occultistes ? Quelles sont leurs principales préoccupations ? L’envoûtement, l’incubat, le miroir magique, etc., etc.

C’est entendu, les occultistes, dans toutes ces opérations, ne s’adressent qu’aux élémentals ou aux esprits, jamais à Shatan ou à ses légions.

Ils l’affirment.

Que je voudrais pouvoir les croire…

C’est drôle, je me méfie toujours des gens qui y flétrissent l’envoûtement et qui indiquent le moyen d’envoûter.



  1. Vintras, affublé d’un manteau rouge sur lequel était brodée une croit renversée, faisait suer du sang aux Hosties ordinaires et apparaître des dessins dessus.