H. Daragon (p. 45-66).
IV
 
Mes documents
 

Voici une brochure anonyme. Je regrette de ne pouvoir en donner ici la reproduction photographique : c’est une vulgaire brochure de 16 pages, sur mauvais papier, mal imprimée. Voici la couverture :

LE
DIABLE
ET SES
SUPPOTS
AU
CONGRÈS DE L’OCCULTISME
Par A. V.
Occultiste désabusé

PARIS, 1907.
Librairie de Propagande Catholique.

… Librairie de Propagande Catholique… Rien que cela suffit… Vous voyez l’intention… La brochure émane de Shatanistes : mais, pour la couvrir, on met : « Librairie de Propagande Catholique… » Basile et Ignace ne sont pas morts…

D’aucuns ont assuré que c’était ce B… lui-même, visé à la première page, qui avait jeté cet opuscule dans la circulation pour affirmer son omnipuissance et s’attirer quelques gogos de plus. Cette brochure ne brille ni par le côté scientifique ni par le côté philosophique. Certains paragraphes rappellent singulièrement les grimoires de colportage, le Petit Albert, l’Enchiridion, etc. La naïveté ne le dispute qu’à la vanité. Elles n’y sont même point servies par l’imagination : l’on n’y rencontre que quelques idées prises à droite et à gauche. Quelques lignes consacrées à la médecine montrent la parfaite nullité de l’auteur en la matière.

Une seule ligne, soulignée d’ailleurs, me paraît digne d’attention :

Si Dieu existait, il serait le génie du mal.

Ces gens-là ne nient pas le mal, donc ils accordent que Dieu (leur Dieu ! Shatan !) est le génie du mal. (C. E. F. D.)

 
AVANT-PROPOS
 

L’auteur de ces ligues est le fils d’un homme qui fut l’ami d’Alexandre Dumas et de personnalités célèbres. S’il ne se fait pas connaître autrement, c’est qu’il sait qu’il est très dangereux de se mettre sous le projectile des individus qu’il vise.

On comprendra donc la prudence qui me fait agir ainsi.

A. V.
Occultiste désabusé.
 

Le chef actuel du pouvoir mystérieux, caché, secret, en un mot occulte, qui exerce sur les hommes un pouvoir funeste, si terrifiant, se nomme B…, rédacteur en chef du Voile d’Isis, Il est de plus homme du meilleur monde[1], socialiste, athée, graphologue, chiromancien, magnétiseur.

Il n’a point créé lui-même cette secte méchante, subtile, qui exploite adroitement et impunément les hommes de bien ; il a seulement reçu par succession élective la science et les secrets de ses prédécesseurs, sans lesquels secrets il ne pourrait point conserver ses pouvoirs.

Il organise actuellement un Congrès de l’Occultisme, où, profitant de ses nombreuses relations dans le monde, il espère créer un mouvement dont il deviendrait le chef le plus puissant et le plus écouté. Il est associé dans cette œuvre néfaste au Docteur P…, directeur de l’Initiation et auteur de la Magie pratique, monsieur dont la réputation surfaite et la moralité professionnelle font la joie de tous ceux qui le connaissent. Ces deux messieurs sont aidés dans leur œuvre ténébreuse par un tout jeune homme, nommé M… auteur d’un miroir magique, véritable œuvre de Belzébuth et dénommé prétentieusement le Visionomos, il est également l’auteur d’un procédé de divination dit la Visionomonie.

Ces trois suppôts de Satan s’entendent à merveille pour faire le mal, mais si le dernier nommé est encore peu méchant, tout en étant le digne élève de ses maîtres, le second l’est terriblement, tandis que B… est le crime en personne.

Cette secte existe depuis les premiers âges du monde, se basant sur la tradition Hébraïque. Les dieux Païens, Saturniens et Jupitériens, furent les dieux mystérieux des criminels. Le Léviathan, précurseur de Job, fut également l’un de ses chefs. Satan, prince des ténèbres, contre lequel Jésus-Christ s’élève si souvent, dirigeait, de son temps, la société secrète des criminels. Enfin, lorsque le peuple parle du Diable, il fait allusion, sans s’en douter, à cet être mystérieux, à ce chef honteux des méchants.

Ainsi B… est le chef réel de la secte secrète des méchants. Il est le serviteur du Diable de notre époque. Il est aussi Adepte, c’est-à-dire grand Initié, ce dont il ne se vante guère.

Le diable est un homme qui boit et mange comme tous les humains. Il vit au milieu dé nous, mais il cache avec soin son titre de chef du pouvoir honteux. Il exerce le pouvoir avec tant de mystère, que le peuple ignore que certains des maux dont il souffre et qui l’accablent sont préparés par lui« Mais ce diable rejette ses crimes tantôt sur les Jésuites, tantôt sur les politiciens[2] selon les événements et les circonstances, afin que le peuple ne songe jamais à remonter jusqu’à lui. Le peuple sait cependant que l’influence des Jésuites et des politiciens disparaît tout à tour, et que les grands crimes se renouvellent sans cesse.

 
LA SCIENCE DU DIABLE
 

Les bases de cette science sont l’ambroisie, les poisons lents et le télégraphe merveilleux.

 
L’Ambroisie
 

Dans les temps anciens, les chefs du pouvoir occulte prenaient le nom de Jupiter ; les membres principaux de la secte secrète s’appelaient autrefois demi-dieux ; leurs femmes se nommaient Nymphes ou déesses, selon leur importance[3]. Mais les lumières modernes les ont fait déchoir, et B… n’est plus que le génie impuissant du mal, le diable, l’antique serpent, le père du crime, obligé de cacher avec soin ses actes, pour les soustraire à la justice des hommes.

Cependant B… possède les secrets des dieux de l’Olympe et les traditions hermétiques, Il peut préparer tous les jours le breuvage appelé ambroisie, breuvage qui donne l’ivresse lubrique. Sous son influence, tous les hommes sont encore jeunes, toutes les femmes paraissent belles. Les dévoués obéissent en aveugles aux ordres les plus injustes, pour satisfaire son pouvoir.

Un certain nombre de serviteurs du pouvoir honteux se trouve habituellement sous l’influence de ce breuvage, dont se ressentent leurs pensées et leurs paroles. Pour être tolérés dans la société des honnêtes gens, ils ont adopté un langage qui n’est intelligible que pour eux, à l’aide duquel ils expriment les impressions, les passions qui les débordent. L’argot qui leur est particulier gaze avec soin leurs discours. Leur pensée intime se traduit par les demi-mots, par des phrases incorrectes dont les honnêtes gens cherchent vainement la signification.

Dans la conversation, les serviteurs et les servantes du diable rapportent tout à un seul et même acte, à un seul et même organe, en donnant aux mots un sens connu d’eux seuls.

La communauté des femmes est admise en fait et secrètement parmi les membres de la secte des méchants. La Bible dit que les serviteurs du pouvoir mystérieux trouvèrent belles les femmes des hommes, et ils prirent celles d’entre elles qui leur plurent. On ne peut tout écrire ; on laisse toujours quelque chose à deviner.

Si les maris, si les mères de famille savaient tout ce que peut la lubricité du diable et de ses serviteurs, leurs cheveux se dresseraient sur leurs têtes. On se souvient des scènes nocturnes et mystérieuses qui se sont passées l’année dernière dans un pensionnat de jeunes personnes, et qui ont semé l’émoi parmi tous les habitants d’une grande cité.

Le délire des serviteurs et des servantes du pouvoir honteux est tel que leurs propres actes ne leur suffisent point ; leur imagination éprouve encore le besoin de se repaître des passions qui agitent, loin d’eux, les héros et les héroïnes vivants de la Société occulte.

L’Ambroisie, prise avec modération, est bienfaisante, mais l’abus en est funeste. Tous les diables en fournissent la preuve. Il leur arrive souvent de se trouver honteux du rôle qu’ils jouent. La vie leur est en horreur ; alors, ils cherchent un palliatif, ils abrègent ainsi leurs jours, car, quoique taillés en hercules, ils conservent rarement le pouvoir au-delà de la période de vingt ans.

 
Les Poisons lents
 

Le chef de la ligue des criminels connaît, avec précision, l’art d’administrer les poisons lents.

À l’aide de ses nombreux serviteurs, il peut les introduire partout, dans les aliments, dans les boissons de qui bon lui semble. Cela paraît incroyable, mais cela est et sera tant qu’on ne voudra pas s’assurer de cette effrayante vérité,

Le diable peut faire périr une personne à la minute fixée ; il peut lui donner la goutte, le rhumatisme, le choléra, enfin toutes les maladies infectieuses. Il peut, dans certains maux, faire ce qu’il veut, comme quelques mendiants qui entretiennent à volonté leurs ulcères. Les malheureux, ainsi torturés, se nommaient autrefois possédés ; aujourd’hui, on les appelle maniaques, hypocondriaques, hystériques ou fous. Le public ne peut point croire qu’un homme se plaise à torturer un autre homme, chaque jour, et qu’il puisse en venir à bout ; il sait qu’il y a quelques empoisonneurs, mais il les croit beaucoup moins nombreux que ce qu’ils sont en réalité. Cependant, en se rappelant que de ces cas nombreux ne sont reconnus qu’après l’exhumation des victimes, il devrait s’opposer à ce qu’un certain nombre d’empoisonnements demeurent toujours ignorés. On devrait donc analyser les intestins et les viscères de toutes les personnes qui meurent avant la vieillesse, et l’on resterait frappé de stupéfaction à la vue de la perversité des hommes, de l’audace du diable et du grand nombre de ceux qui succombent par les poisons lents. Lorsqu’une personne éprouve, tantôt le malaise, tantôt le bien-être, puis encore le malaise, un jour, elle est bien portante, le lendemain elle est indisposée, eh bien ! à chaque nouvelle douleur, venant après l’intervalle d’un jour, elle a pris, sans s’en douter, une dose légère de poison.

Si les serviteurs du diable donnaient toujours les mêmes poisons, le public en voyant revenir sans cesse les mêmes symptômes concevrait des soupçons, mais Satan est adroit, et, les poisons étant très nombreux et très variés, il n’a que l’embarras du choix, et fait mourir les gens par une infinité de maladies très différentes les unes des autres, et ainsi, il entretient le public dans cette fatale erreur que les morts sont naturelles.

Depuis quelques années, toutes les sciences ont fait d’immenses progrès, la médecine seule est restée stationnaire, parce que le chef du pouvoir mystérieux le veut ainsi, Le cas contraire, il ne pourrait pas faire mourir à son gré des milliers d’individus.

Au surplus, un grand nombre de découvertes utiles sont escamotées au public ; il ne connaît que celles qui pour lui n’ont aucune utilité.

Lorsqu’un savant fait une découverte susceptible de compromettre le pouvoir honteux, le chef se l’approprie soit en achetant ce secret, soit en faisant périr l’auteur. Le fameux Bichat, qui Voulait recréer la médecine, est mort à trente-trois ans.[4]

 
Remèdes héroïques
 

Avec l’ambroisie, le diable possède une infinité de recettes merveilleuses pour guérir, avec certitude, les infirmités humaines. C’est à lui, par l’intermédiaire de ses suppôts, que l’on doit attribuer ces cures merveilleuses, ces prodiges consignés dans les ouvrages historiques.

Il peut guérir, sûrement et en un moment, le rhumatisme, la goutte, le flux de sang, les dartres, les ulcères et les maux sans nombre qui sont le cortège de l’humanité, placé sous l’influence du principe du mal.

Satan connaît les substances qui donnent le contentement, la force, l’activité. Il peut donner à un homme les qualités intellectuelles, la présence d’esprit, l’imagination, le discernement. Il peut rendre am homme tempérant, ferme, généreux ; il peut porter les hommes au mépris de la mort, à la fureur, à la cruauté. Enfin, toutes les parties du corps sont soumises au chef mystérieux, en ce sens qu’il peut développer tel organe au détriment de tel autre, et lui donner toutes les perfections physiques dont il est susceptible.

 
Télégraphe merveilleux
 

Ce télégraphe est la merveille des merveilles. Si l’œil de l’homme distingue les objets peu éloignés, son oreille entend les bruits rapprochés ; l’œil du télégraphe merveilleux, mieux que la télégraphie sans fil, perçoit les sons qui s’élèvent par delà les mers. Cet instrument dévoile à l’observateur tous les secrets de la création et une infinité de connaissances que celui qui n’est point initié peut à peine concevoir. Ainsi, comme l’électricité pénètre avec l’air dans les poumons, le diable peut lire la pensée des autres, mais personne ne connaît la sienne.

Malheureusement pour le genre humain, celui qui a découvert cet instrument était un être méchant ; et il s’en est servi pour dominer les hommes, les exploiter, en organisant au milieu d’eux une secte méchante comme lui.

Enflé de la supériorité que son télégraphe lui donne sur les autres hommes, il a voulu que ses serviteurs l’appelassent le grand des grands. C’est à lui que font allusion ceux qui citent ces paroles : Si Dieu existait, il serait le génie du mal.

À l’aide du télégraphe merveilleux, le diable et ses suppôts ou serviteurs immédiats peuvent transmettre des ordres en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique, et recevoir en un moment la réponse ; ils peuvent communiquer avec un homme, dans un salon, sans que les personnes présentes s’en aperçoivent, en lui envoyant comme le reflet de leur pensée, C’est à l’aide de cet instrument que l’on communique aux somnambules et aux cataleptiques cette espèce de divination que l’on remarque parfois chez eux ; « cet appareil, qui de tout temps fut employé par eux, était bien connu des grands Initiés du temple de Mithra, M… vient de reconstituer un appareil à peu près semblable qui donne des résultats merveilleux et dont ses trois suppôts se servent afin d’être constamment en accord », Ce télégraphe peut faire entendre, au milieu des forêts et de la solitude, les paroles extraordinaires, les voix mystérieuses qui ont occupé les historiens de tous les temps.

Lorsqu’un Initié dit à une autre personne : Avez-vous vu la lumière ?[5] il fait allusion à la lumière du télégraphe merveilleux.

Ces suppôts de Satan, peuvent donc quelque chose par eux-mêmes ; tels des magiciens, ils commandent à l’invisible, au moyen de certains pantacles et de formules chimiques ; ils arrivent à bouleverser le monde ; chevaliers de la mort, ils sèment la ruine et la tristesse partout où ils passent, tels des vampires, ils ne peuvent se passer de victimes ; point n’est besoin pour eux dans leurs évocations de cercles, de costumes, de lieux spéciaux, quelques parfums, baguettes, couteaux, employés sur un rite spécial, sont tout leur arsenal. Savoir, vouloir, oser et se taire, telle est leur maxime.

A.-V.

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Il faut avouer que c’est là un prospectus merveilleusement élucubré, et qui laisse bien loin les réclames américaines. Cela vaut le style des spirites, successeurs directs des nécromanciens.

 

Mes documents sont authentiques.

Je pourrais presque dire « uniques ».

Comment je les eus ?

Bien simplement, ma foi… Par l’intermédiaire d’un journal d’occultisme qui publiait des articles et consultations signés « Chanoine X ». C’était un miroir à alouettes, à Shatanistes. Dès l’apparition du premier numéro, nombre de lettres tombèrent au journal, plus extraordinaires les unes que les autres.

Lettres d’injures, de menaces ; « Votre revue sent le fagot ! Au Moyen-Age, on vous aurait brûlé ! Aujourd’hui, on ne peut que vous cracher son mépris au visage ! Vous serez damné ! Chanoine de malheur ! Enfer et damnation ! » « Comment les Tribunaux vous laissent-ils faire ? Je vous dénonce au Parquet. Vous irez en prison ». « À envoûteur, envoûteur et demi. Nous verrons bien le plus fort ! Je commence l’opération demain, je la continuerai tous les vendredis à 4 heures du matin. Vous voilà prévenu ! » « Prêtre du diable, il faut enduire ta défroque de soufre, et te plonger dans un brasier ! » « On te cassera les reins, fais attention à ta peau ! » Dans plusieurs, le mot de Cambronne s’étalait en toutes lettres !

Certains journaux s’en mêlèrent. Je n’ose, par peur de poursuites pour outrage aux bonnes mœurs, reproduire intégralement certains articles. Leur ton rappelait celui de La Croix lors de l’attentat contre Me Labori au moment de l’affaire Dreyfus. Et ce ne furent pas seulement des journaux français, ce furent, aussi, des feuilles italiennes, espagnoles, etc.

D’un journal français (et spirite) :

Un scandale. Un journal ; si l’on peut appeler ainsi un torchon, publie actuellement une série de chroniques (?) dont la moindre mérite le châtiment le plus sévère. Un Gouvernement trop bienveillant a supprimé le crime de lèse-religion, il faut le rétablir, il faut permettre à la Justice d’enfermer sur-le-champ le personnage immonde qui élucubre ces saletés. On interdit l’apologie de l’anarchie et on toléré l’apologie du crime. Car, c’est le crime que prêche cet homme épouvantable, mieux que le crime, la corruption de la jeunesse, de tout le pays ! Il sème à plaisir le germe de l’infection, de la pourriture, la mouche charbonneuse dépose ses ordures partout. Où allons-nous ? Si la Justice ne veut pas s’en mêler, nous saurons bien arrêter le scandale ».

Lettres ironiques : « Doux chanoine, je suis belle, je suis grande, je suis riche, j’ai vingt-cinq ans. Eh bien ! fais-toi aimer, homme tout-puissant ! Tu connais tous les secrets pour se faire aimer. C’est le moment d’en user ! Je suis riche !! Tu aimes l’or, n’est-ce pas ? tu sais, ce bel or qui permet toutes les jouissances ! même celles du Shatanisme ! Fais-toi aimer, que Diable ! », « Eh mais, ils sont fort bien vos articles t J’ai envie de me faire shataniste, savez-vous ! (shataniste avec un h !). Combien coûte l’initiation ? Croyez-vous que cent mille francs suffiraient ? Je ne vous les payerais pas tout de suite ; seulement, comme vous enseignez l’art de gagner aux loteries nous pourrions partager les gains !! ». « Bigre ! Vous êtes un homme puissant ! Vos maîtresses ne doivent pas s’embêter. Venez donc me visiter une de ces prochaines nuits en incube. Je vous payerai en monnaie de succube ». a Monsieur le Chanoine, je vous soupçonne de prendre trop d’apéritifs. Trois ou quatre par jour suffiraient ».

Lettres de shatanistes shatanisant ou d’apprentis shatanistes : « Je voudrais de l’eau bénite : combien vendez-vous le litre ? Pouvez-vous aussi me vendre des hosties que vous garantirez consacrées ? »

Des collections de ces lettres, bien entendu, concernaient la messe noire. Nous en reparlerons. Encore des épîtres de shatanistes : « J e voudrais porter la signature du Diable. J’ai lu qu’il signait ses élus. Comment dois-je m’y prendre ? Je voudrais qu’il m’imprimât sur l’épaule sa griffe, je voudrais une patte de lièvre, Dites-moi bien tout ce qu’il faut faire, n’oublie» aucun détail. Vous me direz ce que j e vous dois pour ces renseignements ». « Mon père est vieux, riche ; je suis jeune, pauvre. Ne pourriez-vous le faire mourir par envoûtement ? »

Très demandés les envoûtements ! « C’est un homme auquel je veux le plus de mal possible. Il doit mourir dans la huitaine et parmi les plus affreuses souffrances. Combien me prendrez-vous ? Je vous verserai la moitié comptant, la moitié à la mort de la personne. Mais, je veux qu’il souffre beaucoup ». « Il faudrait que ma cousine mourût tout doucement, à petit feu : comme ça, on ne soupçonnerait rien. Seulement, il faut qu’elle meure au printemps. Ça j’y tiens parce que, cet été, je veux aller dans son château dont j’hériterai à sa mort. Je pourrais, si vous acceptez, vous donner le dixième de l’héritage. Pour l’instant je n’ai rien ». « Monsieur le Chanoine, j’ai un amant que j’adore, et mon mari ne veut pas divorcer. Il me fait des scènes perpétuelles ; hier, il m’a giflée. Il est d’une jalousie insupportable, il ne comprend rien. Je ne veux plus vivre avec cet homme. Il faut me débarrasser de lui. Au nom de Shatan, je vous en supplie. Par Shatan il doit mourir. Quand et où puis-je vous voir ? Vous me dire» ce qu’il faut faire. Combien je vous serais reconnaissante si vous arriviez à un bon résultat ! ». « La guillotine est un instrument barbare, sale, indigne de notre civilisation. Pourquoi ne pas faire périr tout simplement par envoûtement les condamnés à mort ? ». « Pourquoi n’envoûtez-vous pas l’empereur d’Allemagne ? il nous flanquerait la paix avec le Maroc ! »

Des lettres parlant de l’incubat et du succuh bat : « Depuis l’âge de vingt ans, je suis épris de Mme de Montespan. Ne pourriez-vous … » Un autre veut la du Barry, celle-ci Henri IV, celle-là César ! Bigre… Certaines lettres demandent des choses que je ne puis vraiment répéter…

Mais les plus intéressantes sont celles qui émanent de prêtres, de prêtres authentiques. Quelques-unes dénotent chez leurs auteurs une connaissance approfondie de la théologie et de la philosophie, elles discutent fort savamment les points les plus ardus, elles expliquent pourquoi tel acte, tel geste n’est point shatanique tandis qu’au contraire tel autre… Un prêtre (encore une fois authentique, curé d’une paroisse connue, et nullement « habitué ») nous a envoyé un catéchisme shatanique fort complet : rien n’y manque, prières, ordinaire de la messe, des diverses cérémonies, etc, Ce catéchisme imprimé, tiré à 100 exemplaires, non mis dans le commerce, sans nom d’éditeur, constitue un document d’un puissant intérêt pour l’étude du Shatanisme.

... Il faut savoir lire les petites annonces et là petite correspondance des dernières pages des quotidiens. La Sûreté sait les lire, elle ne s’y trompe pas, elle flaire immédiatement les affaires d’espionnage, par exemple.

Lisez celles-ci, parues dans deux des plus grands quotidiens de Paris : « Bonheur parfait, amour partagé, fascination, toute-puissance. Ecrire C. D. 139. Bureau central ». J’ai écrit. À la 2e lettre, je me trouvais en présence d’un prêtre habitant Vincennes.

« Science divine. Jean-Marie. Poste restante. Toulouse ». Au bout de quinze jours « Jean-Marie » me proposait de l’eau bénite et des hosties consacrées fabriquées d’une pâte dans laquelle entraient, paraissait-il, du sang menstruel et du sperme !

« Mme X, Y, Z connaît tous les secrets des initiés. Mme X, Y, Z, bureau 2, Paris ». Mme X, Y, Z vend des hosties consacrées qu’elle vole en allant communier dans le plus d’églises possible, c’est-à-dire qu’elle garde dans sa bouche au lieu de les avaler et dissimule, ensuite, dans son mouchoir.

Êtes-vous convaincus, maintenant, que le Shatanisme est plus vivace que jamais ?

Il l’est d’autant plus qu’aujourd’hui les shatanistes jouissent de la plus parfaite impunité.

Seul, le clergé catholique les combat. Mais, outre que ses armes sont parfaitement impuissantes, elles se retournent contre lui dans leur exagération. Il faudrait combattre discrètement et non bruyamment. Les combattre ouvertement c’est leur faire de la réclame, c’est tenter. Cela ressemble à la lutte contre la pornographie : en dénonçant à grand fracas certains articles, certaines gravures, on leur fait une excellente réclame, on en accélère la vente.

Que de gens deviennent shatanistes par curiosité ! que de gens essayent de la morphine ou de la cocaïne simplement parce qu’ils en ont entendu parler, pour voir ce que c’est ! En cherchant un peu, on trouve des prêtres vendant des hosties et célébrant des messes noires, comme on trouve des pharmaciens vendant de la cocaïne et de la morphine.

Il y a des messes noires pour toutes les bourses, depuis cinq francs (oui ! depuis cinq francs !) jusqu’à… Dame ! on en a pour son argent ! Mais, n’y a-t-il pas, aussi, des messes ordinaires pour toutes les bourses ? La seule différence : il y a des messes ordinaires gratuites, il n’y a pas, je le crois du moins, de messes noires gratuites.



  1. Ces mots feraient, en effet, croire qu’ici l’auteur se désigne lui-même. (N. D. L. A.)
  2. Parmi les politiciens il y a, pourtant, des francs-maçons ! (N. D. L. A.)
  3. L’auteur devrait bien indiquer les sources de cette fantastique mythologie. (N. D. L. A.).
  4. Pasteur qui, en somme, a créé les méthodes pouvant définir les poisons lents, c’est-à-dire les toxines, est mort assez âgé ! (N. D. L. A.)
  5. Mais non, il s’agit de la lumière astrale, de l’Azoth des alchimistes, de la vie, de l’énergie, cosmique dans laquelle tout baigne ! (N. D. L. A.)