H. Daragon (p. 10-22).
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II
 
L’Église gnostique
 

Le document suivant est signé « Johannès ».

Ce pseudonyme cache un des occultistes les plus distingués et qui habite Lyon.

« L’Église gnostique est une Église ayant pour but essentiel de faire : 1o L’Unité, par la raison et la science moderne, entre toutes les Églises chrétiennes et entre les divers systèmes philosophiques ; 2o l’Unité du Christianisme depuis Jésus-Christ et du Christianisme avant Jésus-Christ, et mériter par là d’être véritablement universelle.

« Sa doctrine est la Gnose, cette philosophie religieuse traditionnelle qui, dans l’antiquité jusqu’au Ve siècle de notre ère, resta secrète, c’est-à-dire fut enseignée seulement à quelques auditeurs d’élite. Après la mort de Jésus, cette doctrine prit le nom de chrétienne. En effet, plusieurs Pères de l’Église, tels que Clément d’Alexandrie, Origène, appelaient leur doctrine Gnose.

« Mais il s’établit alors un double courant :

« Ceux qui ne voulaient trouver les antécédents de la doctrine chrétienne que dans la Bible hébraïque et ceux qui reconnaissaient les antécédents du Christianisme dans les traditions des divers peuples.

« Les premiers abandonnèrent la dénomination de gnostiques pour se désigner uniquement sous le nom de chrétiens et les seconds conservèrent le nom de gnostiques.

« Dans la suite, le courant chrétien, grâce à son alliance avec les princes de ce monde, triompha du courant gnostique. Une à une s’éteignirent les lumineuses clartés qu’avait projetées le gnosticisme. Ce fut la longue nuit du moyen-âge où Rome seule vécut et s’organisa pour la conquête future du monde.

« Les gnostiques durent se cacher, se réunir en secret, jusqu’en 1208, époque à laquelle le patriarche gnostique Guilhabert de Castres réunit les évêques gnostiques en un concile à Montségur, où furent fixés les détails de la liturgie et les principaux points de la doctrine gnostique Albigeoise.

« L’antique gnosticisme se dressait à nouveau en face de l’église romaine. Celle-ci s’émut. Elle envoya des missionnaires à ces hérétiques pour essayer de les ramener à elle par la persuasion. Mais ses efforts furent vains. Alors, elle déchaîna l’Inquisition.

« Lutte longue, acharnée, épouvantable, atroce, dans laquelle les Albigeois furent dispersés, traqués, pendus, brûlés.

« On croyait qu’il ne restait rien d’eux, Erreur ! Les Templiers héritèrent de leur doctrine et en firent leur religion.

« Mais le gnosticisme christianisé triompha du gnosticisme pur, et l’Eglise Romaine anéantissait les Templiers[1] au commencement du XIVe siècle en même temps que le concile de Vienne condamnait leur doctrine.

« Le gnosticisme ne disparut pas pour cela. Il fut conservé par la société des Rosicruciens, laquelle se consacra à l’étude de l’alchimie et à la propagation des doctrines gnostiques et dont les descendants s’allièrent le 24 juin 1717 avec la « Fraternité des Libres-maçons » pour fonder la Franc-Maçonnerie.

« Le gnosticisme fut dès lors la doctrine secrète de la Franc-Maçonnerie[2].

« Aujourd’hui, des maçons instruits et des spiritualistes initiés, armés en outre des découvertes de la science moderne, veulent reconstituer le gnosticisme intégral en l’appuyant sur la tradition universelle et les sciences d’observation, par le moyen de l’Église Gnostique.

« Cette Église est large et tolérante. Ses dogmes ne se présentent pas comme objets de démonstration philosophique et scientifique, car elle est non la Foi, mais la Science : Gnôsis ! Son premier Patriarche a été Jules Doinel, un des hauts dignitaires de la Maçonnerie, en religion Valentin, qui rétablit la hiérarchie gnostique en 1890 et choisit comme siège primatial Montségur en souvenir de la sainte Montagne sur laquelle deux cents martyrs furent brûlés en 1244 par le vouloir satanique de l’Inquisition.

« Les adhésions vinrent nombreuses. L’Église Romaine s’alarma. Un rapport spécial fut adressé au Saint-Office, et Valentin, ainsi que les autres évêques gnostiques qui avaient été consacrés selon le rite chrétien primitif par deux prêtres romains, furent trois fois excommuniés, comme évêques hérésiarques, schismatiques et ennemis de l’Église.

« En novembre 1894, Valentin fit défection[3]. Synésius[4], consacré évêque de Bordeaux le 8 juillet 1894, fut élu Patriarche gnostique, Primat d’Albigeois, Grand Maître de l’Ordre de la Colombe du Paraclet, à la place de Valentin» démissionnaire. Il est aidé dans l’administration de l’église par des évêques, des diacres et des diaconesses. L’Église Gnostique a voulu ainsi que la religion consacrât l’égalité de l’homme et de la femme, en accordant à celle-ci, aussi bien qu’à l’homme, le pouvoir sacerdotal.

« Une différence qui distingue les évêques gnostiques des romanistes est que ceux-là sont considérés comme des ministres chargés de diriger l’instruction des membres de l’Église et nullement comme des représentants de Dieu sur la terre ainsi que l’enseigne l’Église romaine.

« Une seconde différence est qu’aucune fonction sacerdotale n’est rétribuée.

« Pour les romanistes, le sacerdoce est une profession qui rapporte un revenu, revenu fourni par l’église ou les gouvernements.

« Jamais les gnostiques n’ont pensé que le sacerdoce fût une profession et un moyen de gagner sa vie. Les évêques et diacres gnostiques remplissent leurs fonctions sacerdotales et gagnent leur vie au moyen d’une profession libérale ou d’un métier.

En France, les sièges épiscopaux occupés sont au nombre de sept : Paris, Versailles, Toulouse, Lyon, Carcassonne, Nancy et Albi.

L’Église Gnostique est représentée à l’étranger par des évêques : en Belgique, Prusse, Bohême, Autriche, Russie, Italie, République Argentine et Canada. Dans plusieurs de ces pays, elle compte de nombreux adhérents.

L’assemblée des Évêques forme le Haut Synode Gnostique qui a été reconstitué définitivement au Concile tenu à Toulouse au mois d’août 1903.

Ce concile a décrété que le Gnosticisme ne prétend s’imposer aux consciences ni par la force du pouvoir civil ou militaire, ni par de vaines menaces de châtiments d’outre-tombe ni par de fallacieuses promesses de récompenses futures. Basé sur la tradition universelle et sur la philosophie et la science moderne, il ne s’adresse qu’à la raison. Il admet la liberté absolue de conscience et d’examen chez tous les hommes et les traite tous en frères.

Loin de combattre la civilisation moderne comme le fait l’Église romaine, l’Église gnostique admet les gouvernements qu’il plaît aux peuples de se donner, et, respectueuse des lois civiles, elle reconnaît le divorce, dans les limites fixées par ces lois. Car, chez elle, il n’existe pas de sacrement de mariage.

L’église Gnostique n’est pas une église publique, ouvrant les portes de ses assemblées au premier venu. Ne visant pas au nombre des membres, mais à leur qualité, elle constitue une église ésotérique, fermée, où l’on n’est admis que par initiation, c’est-à-dire que la doctrine et la pratique gnostiques ne s’enseignent que progressivement, avec des temps d’arrêt, qui permettent à l’Initié de bien s’assimiler la doctrine et de s’exercer à la pratiquer.[5]

L’Église Gnostique recommande à ses adeptes la propagande par la parole, les écrits et l’exemple en répandant la Gnose, c’est-à-dire une religion qui ne soit plus en contradiction avec la science, mais qui, au contraire, cherche à faire l’union avec la science.

Cet article, il faut le reconnaître, est clair.

Nous ne lui ferons qu’un reproche : représenter le gnosticisme sous un trop beau jour. Il apparaît dans cet article la religion idéale.

Rappelons que les Chrétiens l’appellent Shatanisme.

Un autre article, du même auteur, complète les rapports du Gnosticisme et de la Franc-Maçonnerie.

« On sait que le gnosticisme sémitisé ayant triomphé du gnosticisme pur, celui-ci avait néanmoins été conservé par certaines sociétés secrètes tels que les Templiers et les Rose†Croix lesquels en 1707 donnèrent naissance à la Franc-Maçonnerie.

« Voici comment :

« Lorsque l’Église romaine opposa par la force brutale son action tyrannique aux hommes supérieurs qu’étaient les Gnostiques, ceux-ci furent obligés de cesser leur enseignement public ; les écoles qu’ils avaient ouvertes en Syrie, en Italie et en Grèce furent fermées ; mais ils professèrent en secret et sous le voile des symboles, leurs doctrines philosophiques et religieuses.

« La jalousie et la haine des inquisiteurs les poursuivant à outrance, ils auraient peut-être fini par succomber totalement et leur philosophie par disparaître avec l’anéantissement des Templiers s’il ne s’était trouvé un homme qui avait successivement parcouru la Turquie, la Palestine, l’Arabie, tout l’Orient, remontant ainsi aux sources de la tradition ésotérique, pour opposer la Gnose, par le moyen d’une société mystérieuse, à l’ignorance et au fanatisme de l’Église Romaine.

« Cet homme nous est connu sous le nom de Chrétien Rosencreuz, fondateur de la Société alchimique des Rosicruciens.

« Le nom de Rosicrucien venait de l’emblème adopté par la Société : une rose sur une croix symbolisant philosophiquement l’union de la science et de la foi, et gnostiquement le salut, non par la foi, mais par la science !

« Les membres de cette société se consacraient à l’étude de l’alchimie[6] et à la propagation de la Gnose. D’abord peu nombreux, leur nombre s’était accru successivement, à tel point qu’au commencement du 18e siècle ils étaient fort estimés en Angleterre surtout, où ils jouissaient d’une influence des plus considérables.

« Il existait à cette époque un groupe d’ouvriers constructeurs d’églises qui depuis le IXe siècle avait le monopole de la science architecturale et se réservait l’exploitation du style gothique alors en usage.

« Dans la suite, cette corporation d’ouvriers constructeurs ne se borna pas seulement à donner à ses membres les leçons techniques indispensables au métier de constructeur ; elle affecta une tendance moralisatrice et s’occupa de développer l’intelligence des ouvriers,

« Elle prit alors le nom de « Fraternité des Libres Maçons » employant le mot « Fraternité » dans le sens de « confrérie», de réunion de frères, et le mot « maçons » dans le sens de constructeurs en maçonnerie,

« En relations constantes avec le clergé, elle donna une large part à la discussion des croyances religieuses ; ses tendances intellectuelles ne firent que s’accentuer, et la « Fraternité des Libres Maçons » devint un foyer d’idées et d’aspirations libérales.

Au commencement du XVIIe siècle, eut lieu une modification importante dans le fonctionnement de la « Fraternité ». Le compagnon Inigo Jones préconisa en Angleterre le style italien du temps d’Auguste, dont l’esthétique enthousiasma et passionna la noblesse. Un véritable engoûment s’en suivit, Le style gothique fut délaissé et le monopole gardé si longtemps par la Fraternité des Libres Maçons reçut le coup de mort.

Afin de ne pas disparaître comme corporation, les Libres-Maçons renchérirent sur les aspirations intellectuelles et décidèrent d’accepter parmi eux des non-constructeurs, des non-ouvriers, qui se trouveraient en communauté d’idées libérales avec la « Fraternité » et augmenteraient mériteraient sa valeur et son importance de toute l’influence de leur position et de leur fortune.

Ils prirent le nom de Fraternité des Maçons libres et acceptés.

Mais ce dualisme d’ouvriers et d’intellectuels leur fut fatal, et, au commencement du XVIIIe siècle, la « Fraternité » ne comptait plus que quatre groupes ou Loges qui se réunissaient régulièrement en Tenues à Londres dans quatre auberges d’ouvriers.

Or, le 24 juin 1717, les Rosicruciens Jean-Théophile Desaguliers, naturaliste, et Jacques Anderson, ministre protestant, « assistés, dit la lettre de convocation, des frères Georges Payne, King, Calvert, Lumden, Malden, Elliot, et beaucoup d’autres », convoquèrent dans l’auberge du « Pommier » sise dans Charles-Street, à Londres, près le marché de Covent-Garden, les membres des quatre loges qui se trouvaient seules en activité à cette époque.

Cette réunion avait pour but d’opérer la fusion de la Fraternité des Maçons libres et acceptés avec la Société alchimique des Rosicruciens, afin de permettre aux Rosicruciens d’abriter leurs recherches alchimiques et leurs idées gnostiques sous le manteau respecté de la Fraternité, et de procurer aux Maçons libres et acceptés les avantages que, seuls, les adeptes riches et influents des Rosicruciens pouvaient leur apporter.

L’assemblée accepta à l’unanimité cette fusion et la Franc-Maçonnerie naquit de cette acceptation.

La Société Alchimique[7] des Rosieruciens la Fraternité des Libres Maçons et la Fraternité des Maçons libres et acceptés disparurent pour toujours et la Franc-Maçonnerie, foyer du Gnosticisme pur, s’éleva en face de l’Église romaine, foyer du Gnosticisme faussé et corrompu.

Le but de la nouvelle société était de reprendre en secret l’œuvre des anciens gnostiques et des Templiers, qui était de substituer au christianisme sémitisé et dégénéré de l’Occident un christianisme ésotérique, gnostique, que ses chefs avaient appris à connaître en étudiant les livres sacrés de l’Orient et en s’affiliant à quelques sociétés secrètes du même pays.

Ils se promirent aussi de venger l’Ancien Ordre des Templiers de sa destruction et du martyre de son Grand Maître Jacques de Molay en supprimant la papauté en Italie.

« On sait aujourd’hui dans quelle mesure ils ont réussi : il n’y a plus de royauté en France, le pape a été dépossédé de ses états italiens et son autorité spirituelle va de jour en jour en diminuant dans l’esprit des intellectuels, surtout depuis la proclamation de son infaillibilité.

Mais, depuis quelques années, la Franc-Maçonnerie française s’est séparée de la Franc-Maçonnerie universelle en n’adoptant pour croyances que le positivisme et le matérialisme et en n’agissant qu’au point de vue politique.

Ce fut en 1886 que le Grand Collège des Rites ordonna la révision des rituels symboliques à laquelle le poussait la majorité révolutionnaire et athée du Grand-Orient.

Cette révision était la conséquence du fameux vœu no 9, qui avait aboli au convent de 1877 la formule du Grand Architecte de l’Univers.

Depuis, la Grande Loge de France a suivi l’exemple du Grand-Orient ; seul, le suprême conseil qui administre quelques chapitres et rares Aréopages est resté spiritualiste, ainsi que le rite presque sans vitalité de Misraïm.

Or, ce que la Franc-Maçonnerie française a abandonné, l’Église Gnostique le reprend.



  1. C’est Philippe-le-Bel, on le sait, qui fit brûler les Templiers. D’où ce nom que les sorciers hurlent au sabbat : « Ah ! Philippe ! Philippe ! » (N. D. L. A.)
  2. Selon nous, ces deux sociétés n’en ont toujours fait qu’une, Le portail gauche de Notre-Dame est typique : la Vierge y tient une croix avec une rose en son centre. Les Compagnons maçons qui élevèrent la cathédrale signèrent ainsi leur œuvre. (N. D. L. A.)
  3. Valentin, après avoir regretté sa défection et être rentré dans le giron de notre Église, est mort en 1901, évêque de Carcassonne sous le nom de T. Jules. Il est l’auteur de l’Hymnarium Gnosticum.
  4. Il s’agit de M. Fabre des Essarts (N. D. L. A.).
  5. Cette initiation se donne en trente-trois grades analogues aux grades maçonniques. Comme la franc-maçonnerie, notre société gnostique est une société fermée, dans laquelle on n’est reçu qu’à certaines conditions. Ces conditions ont été fixées dans la constitution et les règlements généraux de l’Église gnostique qui ont été votés par le concile de Toulouse de 1903. J’ajoute que comme la franc-maçonnerie, la société gnostique est une société de secours mutuels, et qu’à ce point de vue elle peut rendre à ses adeptes de très grands services dans la vie pratique. Toute personne de l’un et de l’autre sexe âgée de 21 ans pouvant être reçue dans le Gnosticisme, on doit adresser les demandes d’initiation à M. le secrétaire général de l’Église gnostique, rue Pestalozzi, 3, Paris.
  6. Nous qui nous vantons d’avoir passablement étudié l’Alchimie (Biologie minérale, Problème du Mal, Revue rose, etc.) pouvons affirmer n’avoir rien trouvé d’intéressant dans les manuscrits dits rosi-cruciens, ni rien démontrant que les Rost-Cruciens se soient plus spécialement occupés d’alchimie. (N. D. L. A.)
  7. Peut-être s’agit-il de l’alchimie morale qui enseigne à purifier l’homme, à le rendre meilleur. (N. D. L. A.)