Texte établi par Théodore LefèvreThéodore Lefèvre (p. 201-204).


CHAPITRE XXIV

nouvelles d’allemagne. — visite aux aricaras. — chasse aux buffles.



Sept ou huit mois après j’eus l’indicible bonheur de recevoir des lettres de mon pays. Le baron approuvait ma résolution et me félicitait de mon courage. Stanislas prétendait que j’étais bien heureux de voir tant de choses curieuses et enviait mon sort ; il me remerciait de mes présents et m’annonçait que mes chevaux faisaient l’admiration de son régiment.

Quinze mois après mon installation chez M. Bulwer, j’entrepris un voyage chez les Aricaras.

Je ne revis pas sans une profonde émotion la tribu dans laquelle j’avais été admis comme un frère. Le Grand-Aigle lui-même sembla sortir du flegme indien, dans le touchant accueil qu’il me fit.

Je fus conduit en triomphe dans mon ancienne hutte qui, par une délicatesse que l’on trouve rarement chez des peuples civilisés, était restée sans habitants depuis mon départ, les Aricaras ne voulant pas qu’un autre pied que le mien en foulât le sol.

J’y restai environ un mois. Mes affaires avaient été terminées très-vite, car les Aricaras avaient été si contents de me revoir qu’ils me cédèrent sans difficulté ni discussion les chevaux et les fourrures dont j’avais besoin. Le chef et les principaux de la nation voulurent absolument me donner le plaisir d’une chasse aux buffles, et cette fois ils employèrent le lazzo.

Par un beau matin de mai, nous partîmes montés sur les meilleurs chevaux de la tribu. Après trois jours de marche nous arrivâmes sur la lisière d’une immense prairie dans laquelle nous vîmes un grand nombre de buffles.

Ces animaux aussi insouciants qu’à leur ordinaire nous regardaient tranquillement et sans se déranger.

Notre bande était divisée en deux troupes, dont l’une tourna la prairie afin de cerner le troupeau ; de cette manière nous resserrions de plus en plus le cercle qui les entourait.

Lorsque nous fûmes arrivés à une assez petite distance, les buffles commencèrent à s’émouvoir, et une antilope étant partie avec la rapidité d’un éclair, ce fut un signal d’alarme pour ces animaux. Ils commencèrent à se lever en poussant des mugissements qui ressemblaient au bruit d’un tonnerre lointain ; la terre tremblait sous leurs pieds et pour celui qui n’était pas habitué à ce spectacle, c’était vraiment effrayant.

Quant à nous, qui cent fois avions assisté à pareille chasse, cette vue ne fit que redoubler notre ardeur et nous lançâmes nos chevaux au galop en faisant tourner le lasso au-dessus de nos têtes.

Toutes les fois que nous pouvions joindre un bison à portée du jet, les balles de notre lasso sifflaient et allaient s’enrouler en tournoyant autour des cornes ou des jambes de l’animal. Vainement il essayait de se débarrasser, il roulait sur la terre, et là, il était achevé à coup de lance ou de massue.

Cette chasse demande beaucoup de sang-froid, d’adresse et surtout une grande habitude, car les buffles rendus furieux par la vue du sang et les mugissements de leurs compagnons blessés, courent de tous côtés, et malheur au chasseur qui se rencontre sur leur chemin, lui et son cheval sont aussitôt renversés, éventrés à coups de cornes et foulés aux pieds du terrible animal. Il est rare dans ces cas que l’un des deux ne soit pas au moins très-grièvement blessé.

Nous n’eûmes aucun malheur à déplorer et la journée finit aussi gaiement et aussi heureusement qu’elle avait commencé.

Lorsque je quittai la tribu, les guerriers me firent promettre de revenir les voir. Cette promesse, je la leur fis de bon cœur et j’étais sûr de pouvoir la remplir, mes affaires m’amenant souvent dans ces contrées. Effectivement je leur rendis visite encore deux fois.