Gervais Clouzier, 1680 (1 / 2, pp. 15-18).


UN Cheval est dégoûté lors qu’il mange moins qu’à l’ordinaire, ou qu’il mange plus mollement, ou bien qu’il refuse absolument le manger de l’avoine, la rebutant tout à fait : Le dégoust peut provenir de diverses causes, dont les unes sont tres faciles à connoistre & à guerir ; les autres incertaines, particulierement dans le commencement d’une maladie dont l’evenement est douteux.

Nous rapporterons plusieurs causes de ce dégoust, avec leurs remedes ; il y a des Chevaux naturellement délicats, lesquels pour peu de chose se dégoustent, une ordure qu’ils trouveront dans leur avoient, un brin d’herbe moisy, une vetille, & un rien les empesche de manger ; mais comme ils se sont dégoustez facilement, tout aussi facilement ils recommencent à manger. Il vient des cirons au dedans des lévres des Chevaux dessus & dessous, qui leur causent de la demangeaison ; ils se frottent continuellemenr les lévres contre la mangeoire, & perdent le manger sans autre indisposition : il faut renverser les lévres, si l’on y void quantité de petites éleveures, ce sont des cirons.

Le remede est de couper la premiere peau au dedans des Ievres à l’endroit où sont les cirons, avec un bistouris ou coûteau bien affilé : on frotte ensuitte ces incisions avec du sel & du vinaigre par tout le dedans des lévres, & le Cheval recouvre d’abord l’appetit.

Si vous ne connoissiez point la cause pour laquelle vostre Cheval est dégousté, je croy qu’il est fort à propos au matin de luy donner un coup de corne, ou bien le saigner au palais, avec la lancette ( ce qui est la mesme chose ) en cette maniere ; on choisit le milieu du palais entre les deux crocs, ou bien si c’est une Jument au troisiéme ou quatriéme fillon, & l’on perce cét endroit avec une lancette ou avec une corne de Cerf bien pointue, l’un & l’autre ne sont pas bien difficiles, & c’est ce qu’on appelle un coup de corne, on donne incontinent au Cheval deux picotins de son mouillé, pour luy arrester le sang.

Si pourtant apres avoir mangé le son, le Cheval saignoit encore il faut luy lever la teste avec la corde, comme qui luy voudroit donner un breuvage, & d’abord le sang s’arrestera.

Et si l’ayant tenu levée long-temps, la baissant le Cheval saignoit toujours, on peut sans lever la teste au Cheval, luy arrester Page:Solleysel - Parfait mareschal - 5è éd., 1680 - tome 1.djvu/30 Page:Solleysel - Parfait mareschal - 5è éd., 1680 - tome 1.djvu/31 Chap.
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branche avec du miel rosat, ou du commun au deffaut, & la luy redonnez à mâcher la refrottant de miel, vous continuerez demie heure de la sorte, il mangera apres sans doute.

Une branche de figuier pourra faire presque le mesme effet.

Quand on a des Chevaux dégoutez, il faut chercher toutes les inventions possibles pour les faire manger sans contrainte, par de petits soins faciles, comme d’estre souvent prés d’eux, sur tout quand le dégoust vient par maladie, leur donner à manger avec la main un peu de foing: d’abord qu’ils le refusent leur mettre le mastigadour une demie heure, puis le leur oster, leur presentant ensuitte quelque morceaux de pain ; s’ils le refusent leur laver la bouche avec une éponge, leur donner ensuitte un peu d’avoine dans la main: enfin, il faut chercher tous les moyens possibles d’empescher un Cheval de perdre absolument le manger, & pour cet effet l’Armand qui suit fera merveille.

Le plus asseuré de tous les remedes est de mesler un once de foye d’antimoine parmy du son mouillé, que le foye soit bien pulverisé, & continuer à luy en donner deux fois tous les Jours, asseurement il le fera bien manger, & luy profitera beaucoup à la santé : La description & la maniere de composer le foye d’antimoine, se trouvera cy apres au Chapitre ⅭⅩⅩⅤ. On peut luy en faire manger aussi long-temps qu’on voudra sans rien apprehender de mauvais ; au contraire, il ne s’en ensuivra que de bons effets, hors qu’il voulust jetter sa gourme, car le foye d’antimoine rafraichit, & il faut échauffer.

Je donneray un avis en cet endroit à ceux qui voudront se servir de mes remedes, qu’ils sont tous dispensez avec le poids de marc, qui est le poids dont les Orfèvres se servent partout: car la pluspart des autres Livres dans leurs compositions parlent du poids de Medecine, ou du poids de la Ville où ils pratiquent ; mais dans ce Livre il n’est fait d’autre mention que du poids de marc, de seize onces à la livre, qui est le poids de Paris & de Bourgogne ; car quoyque dans quelques Villes de France il y aye seize onces à la livre, les seize ne valent que quatorze de Paris, puis que c’est le plus grand poids qui soit dans le Royaume.