Presses universitaires de France (p. 1-22).


L’amour est éternel. Il a précédé la pensée, car il faut un témoin aimé pour éveiller, pour attiser l’esprit en nous. Mais rien n’est éternel sans épouser le jour

« tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change »


et c’est pourquoi ce temps de convulsions, d’épreuves, voire de pénitence, exige un nouvel art d’aimer.

C’est aussi que l’amour devient aux heures sombres tout le soleil des mœurs : La vie intense de la race se tourne vers lui pour lui confier son courage et sa valeur que le malheur a mis à vif. C’est que la famille devient le nid de délices où abriter de nous tout ce qui vaut de vivre. C’est que la famille s’étend à la nation car chacun compatit à tous dans la difficulté mieux qu’en la commodité. Donc en somme l’amour s’est approché de nous. Il s’en est approché par la souffrance. Il s’agit de le retenir.

C’est là que la femme peut tout, elle qui a fait son honneur d’être dispensatrice de la joie : « Porte du ciel » comme dit Léon Bloy.

« Si j’avais su ! » disent tous les amants à la première déception et quand il est trop tard. Je viens pour éviter à mon lecteur le seul mot sans espoir : Si j’avais su.

Mais l’amour est de tous les âges. C’est donc à la première aventure qu’il faut un guide puisque Platon voulait qu’on déléguât une inspectrice du mariage près des jeunes époux ; et c’est jusqu’au tombeau, car on apprend à vivre — enfin — en regardant mourir.

Ce manuel de la vie commune fera donc gagner du temps aux gens doués pour l’amour ; il éveillera les autres à la création constante qu’est l’accord et il leur ouvrira cette voie de miracle, celle du cœur où plus on sait plus on voit à apprendre. C’est la seule route qui ne soit pas fermée et qui mène partout. Nous verrons luire sur ses bords les héroïsmes de la paix.

En route donc pour l’évolution infinie par l’amour.

Et quelle indication puissante
nous arrive à ce sujet par Platon :

« Les hommes qui veulent vivre une belle vie ne peuvent y arriver ni par la naissance, ni par les honneurs, ni par la richesse, ni par quoi que ce soit, mais uniquement par l’amour. »

Lequel de nous — quand il est assez organisé pour savoir que seules la limpidité de vie, la loyauté de diamant n’entravent pas les facultés qui peuvent nous mener loin et haut — lequel serait assez dément pour ne pas exiger de soi la belle vie ?

Comment y arriver ?

Que le lecteur me suive d’amitié. Il n’échappera pas à son plus haut destin.

Il y a mieux encore.

« La vie est un paradis[1] » malgré tout et plusieurs fois par jour ; mais nous ne voulons pas le savoir. Si nous consentions à le savoir au lieu de la blasphémer, nous chercherions ici les conditions qui feront fleurir en nous cet Éden, ou mieux, qui le laisseraient porter ses fleurs, ses fruits.

La vie ne peut être un Éden que par l’amour. Avec l’amour elle est un paradis envers et contre tout.

Seulement attention ! L’amour est un miracle. C’est un miracle naturel. É. Boutroux n’a-t-il pas dit : « La nature même est surnaturelle ? »

Et Stendhal renchérit :

« L’amour est le miracle de la civilisation. On ne trouve qu’un amour physique et des plus grossiers chez les peuples sauvages ou trop barbares. » « L’amour, voie làctée » dit-il, expression ravissante.

Il s’agit donc de mettre le miracle avec nous.

Qui n’admet pas le miracle
n’admet pas même la naissance de l’homme[2] — car elle échappe à toute loi possibiliste — et il s’opère de toute poésie c’est-à-dire de la raison sans frontières. Or l’amour c’est la chair, c’est le doux corps de toute poésie. C’est aussi la racine de l’immortalité même terrestre : Imaginez Pétrarque avec son œuvre de savant humaniste seulement, sans ses sonnets à Laure, nul de nous n’aurait su son nom.


Quant à Pascal,

sur ce sujet il va plus loin :

« Qu’est-ce qui sent du plaisir en nous ? Est-ce la main, est-ce le bras ? Est-ce la chair ? Est-ce le sang ? On verra bien qu’il faut que ce soit quelque chose d’immatériel. »

Voulons-nous sentir du plaisir et sans exclure le plus haut ? Cultivons en nous l’immatériel par la sensibilité de l’esprit et du cœur.

Entrons donc en amour, c’est-à-dire au pays du merveilleux.

L’homme qui n’invite pas le mystère dans la conduite de sa vie, c’est-à-dire les faces du connaissable qui restent prises dans la brume et ne se sont pas encore découvertes, tronque ses hautes facultés comme un boucher stupide qui tranche n’importe où.

Maeterlinck, pour exprimer l’amour, se sert presque uniquement du mystère : Monna Vanna, L’Oiseau bleu, etc.

Comment vivre sans un appel d’en haut ? Comment se soutenir même sans enthousiasme ?

Il est donc bien entendu pour la France, ainsi que pour tout peuple de civilisation haute — comme les Grecs qui mêlaient les dieux à leurs fêtes les plus profanes, qui mettaient en somme les dieux partout, dans les banquets comme dans le baiser — que toute foi, tout feu sacré que nous stimulerons en nous, foi en Dieu, en la patrie, en l’art, en la beauté, en l’homme et en la femme — exalteront notre génie pour faire un bel amour.

Bref il faut commencer par croire quelque chose pour se faire le muscle et l’élan qui nous donnera le courage d’apprendre, donc de savoir quelque chose.

Invention constante du réel.

Si j’ai dit quatre lignes plus haut qu’il s’agit de se faire un bel amour — et non de le trouver, ce qui serait la pire des paresses car on ne trouve rien qui soit tout fait et bien — je voulais dire simplement : il s’agit de faire beau l’amour qui nous sera donné après quelque recherche.

J’ai connu certains de ces fous de fatuité qui cherchent un phénix. Ils le cherchent jusqu’à leur âge flétri où nulle fille bien plantée, corps et cœur, ne consentira plus à s’approcher d’eux.

Une seule chose étant sûre : notre mort progressive — pour avoir le temps de tracer de nous le signe que nous voulons en laisser — hâtons-nous vers l’amour qui nous stimulera, nous aiguillonnera et nous réchauffera jusqu’à la dernière heure.

Et si je dis : Invente, c’est que rien de la vie n’éclôt sans ce que tu y mets. Elle apporte la trame, à toi de la broder. Quand tu cherches une beauté toute faite, manquerais-tu d’amour-propre d’auteur ? Voudrais-tu qu’elle ait été faite par un autre ? Ne préfères-tu pas te reconnaître en elle par les grâces que tu ajouteras à ses charmes natifs en satisfaisant corps et âme ce bel enfant de bonne volonté qu’est la jeune Française pourvu qu’on ne l’offense pas ?

Je t’aiderai ici à ne pas l’offenser, tu seras ainsi le sculpteur de sa beauté.

C’est pourquoi le mari achevant l’épousée — et réciproquement — le mariage jeune aura droit au respect des nations.

Du haut en bas de l’échelle d’action, il faut tout faire seul de ce qui nous concerne, mais en s’aidant du conseil des justes et des sages pourvu qu’ils soient sensibles.

— Mais comment, diras-tu, trouver la compagne ou le compagnon, et tomber juste et s’achever ensuite l’un par l’autre ?

L’amour, c’est-à-dire la famille religieuse, a fondé la cité : le totem première famille en date. Et plus tard la famille romaine a fondé la force de Rome.

Il faut savoir si les époux veulent bâtir leur foyer avec ferveur, c’est-à-dire avec l’espoir de sauver la race en sauvant leur bonheur, d’en fortifier la nation par des enfants nombreux en qui vivra et s’accroîtra la valeur de la race héroïque dont nous sommes sortis, d’étendre ainsi le génie de la France sur les autres patries avec son rêve d’entente universelle pour l’élévation de l’esprit humain et la consolation de l’homme.

Car s’il ne s’agissait que du mariage avare, égoïste, à courte vue d’antan, celui qui aboutissait au triste fils unique et ne visait que le confort de Monsieur, Madame et Bébé, il est bien entendu que pas une puissance humaine ne m’y ferait donner un instant d’attention.

C’est au mariage total que je consacre ce livre, à celui qui fait prendre à l’homme et à la femme la pleine conscience de leurs pouvoirs, de leurs responsabilités, par rapport à la race, à son salut, à son génie qui fut, de tradition, si fraternel aux peuples justes.

Et quel honneur pour le couple, je dirai même quelle gloire de porter sur ses épaules, après l’échec, la renaissance d’un grand peuple !

Donc on ne mène rien à bien sans l’enthousiasme. Sans lui notre échine ne se redresse pas. Sans lui le bel esquif qu’est l’homme n’a pas le vent dans sa voile.

Orienter les amants vers le sacré de l’union, c’est-à-dire vers le bonheur, celui qui fait l’élan vital, c’est donc simplement en faire tout un homme animal et psychologique.

Mais qu’on n’aille pas croire — le beau est toujours sévère[3] — que dans cette marche au bonheur, nous écartons la jouissance. Rien de grand ne l’écarte ; au contraire, nous lui rendons ses ailes au lieu de la laisser vautrée à terre. Nous la laissons à sa place au lieu de la faire empiéter sinistrement comme on l’a fait depuis trente ans par le livre et par la scène.

Disons donc tout de suite : Qui n’aime ici-bas que son conjoint sans aimer ce qu’il peut devenir par nous — et qui n’aime pas ceux qu’il pourra faire devenir — n’a jamais rien aimé. C’est l’égoïsme à deux qui ne peut que doubler en horreur l’égoïsme à un. Il ne rompt pas même la solitude de l’âme. On ne la rompt qu’en épousant avec l’élu le jour du mariage, le destin de sa race et de tous ceux qu’on pourra lui gagner par le courage et le génie.

On le peut mieux à deux qu’à un car, d’un couple inspiré, éclairé, il naît une force invincible.


Ne médisons pas de la passion.

Quant à nous, conseilleurs qui voulons être les payeurs tant nous sommes certains de nos méthodes pour les avoir vérifiées, nous ne nous méfierons pas de la passion, elle qui meut toutes les vigueurs du monde. Bien orientée la passion c’est la raison dardée, soutenue, disciplinée. Si Jésus vomit les tièdes, c’est qu’ils ne peuvent rien.

Pour mener loin l’étude, la passion n’est-elle pas le feu sacré ? Et qu’est le gai-savoir de Nietzsche sinon l’embrasement sagace par en haut ?

Quoi donc soutiendrait la raison sinon la passion dans sa lutte contre un monde d’inconscients, d’engourdis, de stupéfiés devant la marche précipitée des faits ? Ou disons, pour être moins durs, d’insouciants ou d’étourdis criminels — si l’on songe à l’inconséquence avec laquelle sont décidées le plus souvent les unions,

surtout les unions calculées.

Ce qu’il te faut, mon frère : Inspirer ton instinct.

Exemple : Sans réfléchir, croyant y voir son intérêt, un homme avait fait un mariage politique.

« Alors, me disait-il anéanti, huit jours après, toujours, à table, à l’heure où l’on reprend des forces avec l’amour, tous les jours de toute ma vie, je verrai cette face terne qui m’atterre ? »

C’était un honnête homme. Il ne l’a pas quittée. Elle est heureuse. Mais lui !

Tu n’as qu’un intérêt : Épouser ton amour, cèlui qui te délecte, rien qu’à le voir entrer et qui t’inspire une forme de vie supérieure à celle que tu menais avant de le connaître.

Afin d’aider le lecteur à faire un choix heureux quant à la compagne ou au compagnon, j’ai montré qu’il faut cultiver en soi l’enthousiasme, c’est-à-dire le dieu d’abord. Cela afin d’élire le compagnon pour des raisons d’en haut et non pour des raisons d’en bas. Je ferai du choix un chapitre suivant. Mais disons tout de suite : on peut choisir sa femme pour un beau regard de noblesse humaine, de chaleur généreuse, parce qu’il exprime des sentiments qui nous honorent. On ne peut pas la choisir pour le luisant animal de son œil, pour l’humidité de sa lèvre ou la finesse de son mollet.

On peut choisir son mari pour sa vie ardente au secours des belles causes, pour ses égards pour ses parents (excellente garantie pour l’épouse), pour sa large compréhension, pour son courage à foncer sur l’obstacle, à s’en faire un appui. On ne peut pas le choisir, à moins d’être une fille de trottoir, pour sa carrure, sa carnation, sa beauté ou sa force. Sans compter que je me suis laissé dire que les jouisseuses y peuvent être volées par un bellâtre plein de soi ou par le Samson à la manque. C’est la modestie qui se donne et s’empresse


Pour inspirer ton instinct.

Jetons un regard vers les origines de l’amour.

Il est trop évident de dire que tout ce qui relève la femme sert l’enfant, donc fortifie l’homme et c’est pourquoi j’en parle, la femme étant la mère de l’amour.

Entendons ces maximes cueillies dans les livres sacrés de l’Inde védique :

« Partout où les femmes vivent dans l’affliction la famille ne tarde pas à s’éteindre. »

Parole irréfutable en qui sonne le glas des peuples légers à tête dure qui sacrifient la mère.

Et l’Inde védique ajoute :

« Quand les femmes sont honorées, aimées, respectées et entourées de soins, les divinités sont satisfaites. Mais quand on ne les honore pas, tous les actes pieux sont stériles. »

La femme serait donc une antenne de Dieu ! On ne peut aller plus haut ni voir plus loin en civilisation. Ne laissons plus baisser le respect pour la femme. Chez nous la mère est en croix pour toute la famille.

France, ma belle et folle France, pourquoi n’as-tu pas entendu, depuis vingt ans que je le crie ?

Et prenons les vertus où elles sont. Chaque peuplade, je l’ai vu, peut nous en remontrer chacune sur un point :

Vertu communiante.

Dans la famille primitive, totémique, j’indiquerai des signes qui perdurent, à mon sens, à travers les races :

« La femme ayant hérité le dieu possède une vertu communiante qui lie à elle, puis lie entre eux ceux qui l’ont épousée[4]. »

Avec raffinement de civilisation, nous avons transposé cela dans l’esprit, et j’ai pu noter par des observations non courantes mais saisissantes, que la femme chez nous, ayant hérité le dieu c’est-à-dire l’enthousiasme — en préservant en elle la fraîcheur et la pureté de cœur — gardait de par sa vertu communiante l’instinct et le désir d’unir entre eux d’une amitié qui portât sa marque à elle, ses amis préférés. Je dis préférés d’elle en toute chasteté[5]. Elle perdait ce sens sublime sitôt qu’elle perdait sa pureté en trompant son mari et devenait alors jalouse, particulariste, invivable.

Il y a là, si l’on veut y songer, un pouvoir fascinant d’heureuse action sociale par la femme, un pouvoir unissant — et par l’amour heureux c’est-à-dire bien conduit.

Pour continuer l’idée de mettre dans l’union le miracle avec nous, j’évoque un instant l’antique famille romaine qui fonda la cité d’après Fustel de Coulanges (Cité antique) à force de respect pour ses morts.

Ce fut d’abord à Rome et à Athènes, le droit religieux. Avant la cité, dans la première Rome, ce furent les familles. On se souvient des trois premières. Chacune avait son foyer de dieux domestiques. L’autel était placé près de la porte pour que chaque membre de la famille pût adresser une invocation aux dieux de la maison : leurs morts.

Les familles s’unissaient. Le culte d’une ou deux familles à prestige fut emprunté par d’autres. On leur fit un temple. La cité était née. On ne fonde rien que par le respect.

Rome était née du culte du divin, des ancêtres, de la piété mise à fonder une famille. La religion était la loi puisque Athènes avait une purification tous les deux ans, et Rome tous les quatre ans. À cette fête (le cens et la lustration) ceux qui ne venaient pas au cens[6] étaient rayés du nombre des citoyens.

Je dis : Rome n’était impie qu’envers la femme.

L’épouse n’entrait dans la famille antique que pour transmettre la vie à un défenseur du culte des ancêtres de son mari et devait donc abjurer le culte de ses pères. Si le mari mourait sans qu’elle ait eu d’enfant, elle devait épouser son frère à elle pour avoir une progéniture mâle, plutôt que de rester sans procréer.

Elle n’était que la chose du culte.

Le culte était individuel. Le Pontife de Rome, l’archonte d’Athènes, avait le droit de s’assurer que le père accomplissait ses rites, mais il n’avait le droit d’y rien changer.

Je dis : quel merveilleux élément de culture d’esprit et d’amour que l’invention des rites ! Quelle littérature des profondeurs de l’humanité il y aurait là à recueillir, à compléter, dans ces prières personnelles des chefs de famille à leurs morts !

L’avenir des peuples y serait orienté moins follement que par les mixtures que tirent les chefs d’État — des écrivains les meilleurs et les pires.

Rome, Athènes avilissant la femme de foyer, ne l’éduquant pas à l’effet de sauvegarder la vie, elle qui la donne, en n’offrant pas sa part de l’influence à la créatrice, à la salvatrice, à la mère, commençait son suicide ; qui déprime la femme porte à la cité le premier coup de pioche pour l’enterrer :


Forte de la parole de Seignobos : « C’est à la femme et notamment à la dame qu’est due toute la civilisation », lorsque Montherlant, après ses livres virils : La Relève du matin, Les Onze de la Porte dorée, se fit une coutume d’humilier la jeunesse féminine dans ses livres odieux sur les vierges, je me fis un devoir de lui écrire qu’il donnait un coup de pied au ventre de la France. Et je le referais.


Mais Athènes et Rome ayant dégradé la femme de foyer au profit de la courtisane, semblent avoir manqué de la voix du Féminin candide et de la femme fraîche, du génie maternel enfin sur la Ville, puisqu’elles se dressèrent des prêtresses et des Vestales pour les guider. L’influence des prêtresses fut énorme.

On ne se passe pas du Féminin, du grand. La France-État n’a pas usé du sien, elle le paye.


Des peuplades avaient donné sa part d’influence à la femme, mais atténuée, timide, interceptée.

La famille utérine (matriarcale), deuxième en date, vit dans la Longue-Maison. Ce sont des compartiments sur un couloir où sont allumés des feux. Chaque feu est commun aux deux cases situées face à face.

J’amène ici l’attention du lecteur car nos mères de la IIIe République n’ont pas même eu ce qui suit :

« Les femmes ont le droit d’assister au conseil des hommes, massées derrière eux sans parler… Puis elles ont leurs conseils entre elles. Elles délibèrent et soumettent au chef de la tribu les conseils et les doléances féminines. Celui-ci convoque alors le conseil des anciens et désigne un orateur qui expose les plaintes et les propositions des femmes. »

Aujourd’hui où nous avons des orateurs féminins, nous ne serons de vrais modernes que lorsqu’elles pourront rapporter, devant le Pouvoir ce dont souffre la vie de la famille, et non, comme fit le féminisme d’hier — ce qui concerne la femme isolément.

Le vrai féminisme travaille pour le couple, pour l’enfant, donc pour l’homme[7].

« Dans la famille utérine, les matrones ont des droits dans la vie publique. » Eussions-nous été aussi maigrement représentées, nous eussions eu notre mot à dire pour sauver le pays. Ce qui n’est pas représenté doit mourir. Il entraîne la mort du reste comme un fœtus mort resté dans le corps de sa mère la tue.

Dans la famille utérine les matrones avaient ce droit sacré : elles étaient chargées de signifier la paix…

Qu’on songe au prestige que cela leur donnait sur l’esprit des hommes. Qui relève la femme sauve l’enfant. Qui écrase la femme détruit l’homme dans l’œuf.

Et que le juriste médite sur les fonctions des femmes, sur leur responsabilité dans la famille maternelle. Ces tribus avaient compris que seul dure le groupe dirigé par un couple.

« L’administrateur est le chef du Feu. Il dirige avec la matrone. Le chef du feu représente politiquement la famille. La matrone a la direction des provisions. La mère est la nourrice éternelle de l’homme. Un proscrit menacé passe-t-il ? Il se présente devant la matrone les bras croisés. Il a la vie sauve. »

On voit quelle dignité cette famille primitive octroyait à la mère pour le salut commun. Et l’auteur n’a pas été voir qu’elle orientait les unions, protégeait les naissances, soignait, guérissait les corps et les cœurs.

Il n’y a pas de salut sans organisation, sans surveillance pour et par la mère de famille vénérée.

Elle, la grande réaliste du couple, elle seule peut enchaîner, cohérer le salut parce qu’elle aime.

L’homme primitif le savait. À l’homme moderne plus constructeur que réaliste de le rapprendre en hâte. La créatrice, la mère doit être consultée, elle, seule providence de l’homme, son seul recours du berceau au linceul.

…Les hommes ayant rédigé l’histoire, après avoir détruit le matriarcat, ne se sont pas souciés de glorifier les grandes impératrices d’Orient. « Et qui, plus tard, dit Paul de Lauribar[8] parle de Nitocris ? Elle était reine de Babylone au XIIe siècle avant Jésus-Christ, épouse de Nabuchodonosor qui était un alcoolique et qui paya son intempérance par sept ans d’aliénation mentale pendant lesquels Nitocris gouverna magistralement l’État.

« Un jour on dut envisager la possibilité d’une invasion des Mèdes. Pendant que les ministres se prenaient la tête à deux mains pour chercher le moyen de parer à cette redoutable éventualité, la reine ordonna de détourner le cours de l’Euphrate, indiqua la direction nouvelle qu’on devait lui donner… Et Babylone fut tranquille. Une simple femme avait trouvé cela.

« Chez nous nos gouvernants en 1919 n’ont pas trouvé le moyen d’utiliser la navigation sur nos fleuves français pour suppléer aux manques de transports terrestres et nous apporter charbon et produits nécessaires à l’existence.

« …À l’époque d’Horace, il y avait encore chez les Germains des prêtresses dont les attributions étaient plus étendues que celles de leurs collègues masculins lesquels disposaient cependant du pouvoir suprême. Elles suivaient les armées, arrêtaient l’ordre des batailles et décidaient du moment de les engager. Elles jugeaient, votaient, dans les assemblées dirigeantes, négociaient la paix et en déterminaient les conditions.

« Par exemple le traité d’Annibal avec les Gaulois était particulièrement épineux à établir, le règlement fut confié aux matrones gauloises ; c’est un fait historique. »

Chez nous la mère jugulée par le mariage n’a pas encore la totalité de ses droits civils ni la puissance maternelle pour équilibrer la puissance paternelle quand, sous l’empire d’un vice, l’homme abuse.

Le mariage fait de la femme la mineure éternelle. Si le mari veut vendre, pour boire un coup de plus, les meubles du ménage, si l’ivrogne met, sans consulter la mère, son nourrisson à l’Assistance publique, ou à la maison de correction leur gamin qui a volé une orange, la mère n’a pas un mot à dire pour sauver son enfant. Si le mari lui prend son salaire gagné durement pour nourrir ses petits, aucune loi ne la défend. C’est le règne du bon plaisir de l’homme. Si le chef est généreux tout va bien. S’il a un vice la mère ne peut rien pour sauver la famille, faute de la puissance maternelle.

Que l’amour des nobles hommes nous sauve de cette loi d’iniquité.

Pourtant les défenseurs des Françaises les sénateurs Louis Martin, Larère, Andrieux, etc., ont fait aboutir certaines réformes, et la loi du 18 février 1938 a consacré ces principes :

1. — Suppression pour la femme du devoir d’obéissance. (Le mari n’a plus de contrôle sur lettres et relations.)

2. — Suppression de l’incapacité civile de l’épouse.

Malheureusement le deuxième principe est presque sans effet car la réforme projetée des régimes matrimoniaux, n’a pas encore été faite — elle est à l’étude à Vichy — et presque tous les régimes matrimoniaux donnent encore au mari la gestion des biens. Il peut encore refuser à sa femme l’exercice d’une profession, sauf celle de secrétaire d’État (en 1936), de conseillère municipale en 1941. Elle peut prendre passeport, carte d’identité, inscriptions universitaires. J’ai obtenu en outre par persuasion que la Française n’acquière plus ipso facto la nationalité du mari en se mariant, mais qu’il lui faudrait la demander. Ainsi elle reste française.

Quelques avantages ont donc été acquis, aidés par le livre de Paul de Lauribar. Achevons de tirer la plus faible de l’oppression de la loi misogyne sous laquelle des siècles elle a gémi.

Comme premier geste d’amour
donnons aux mères le pouvoir de sauver l’enfant c’est-à-dire l’homme.


LE FAMILISME


Bienfaits de la ruine.

Du plan de l’amour, tu t’élèves par l’épreuve et la pire. Tu apprends les bienfaits de la ruine.

Ta journée de naguère, bousculée de hâte par les chances et les attraits espacés, se simplifie.

Les affaires ont freiné.

Tu ne peux rien acheter ? Patience. Penser vaut mieux que dépenser.

Madame utilisant ses vieilles robes ne s’énervera pas à en faire de neuves. Son temps lui est rendu pour l’homme son seul bien, pour l’enfant, pour la culture. Monsieur ne croyait pas à l’amitié là-bas dans son hôtel de Neuilly. Les riches ont trop d’amis pour en avoir. Il découvre dans son quartier modeste deux bons camarades de lycée ou d’idées qui viennent se chauffer à son poêle.

Le quartier devient une petite ville moins méchante que la province ou un visage ami reprend son prix depuis qu’on ne peut plus sortir le soir.

Veux-tu que la conversation d’idées renaisse, elle seule féconde ? Dis à tes familiers : « Ici on ne geint pas. » Et : « Ici les gueules de vaincus n’entrent pas. La consigne est de parler d’autre chose. »

La vie de famille devient le seul oasis. À l’amour de le faire beau. L’amour peut s’engraisser de la ruine s’il sait en noter les acquêts.

J’en ai dit le déblai. Plus de distractions coûteuses qui t’attirent au dehors. Préserve bien la félicité qui te reste au fond de l’infortune. Respecte-la. Que nul caractère aigre ou cassant ne vienne ici contrister l’amour et l’effort de chacun pour tous, effort qui doit être total pour que ce feu subsiste.

S’il faut vous serrer tous
autour d’un feu unique comme au temps du totem, vous vous aimerez mieux car on aime toujours ce qu’on supporte. Que la femme, la chère passionnée, ne prenne pas ombrage de la mère admirée de son mari, hier une puissance et qui se dépense à cœur joie pour que nul ne manque de rien. Que
l’épouse s’en émeuve comme lui, même si elles diffèrent

sur les moyens, chacune hier ayant été chez soi le chef d’État. Qu’aujourd’hui les facultés, les succès de chacun s’éprouvent par les autres comme voluptés personnelles ou mieux, comme conquêtes pour le bien de la communauté.

Que les sœurs, les belles-sœurs s’entr’aident et la vie sera douce encore, sous la lampe, le soir.

Compatissons aussi aux bonheurs des aimés. Cela seul nous est difficile car hier nous étions jaloux des alliances. Il s’agit désormais de s’y allier moelleusement par la tendresse.

Il y a des sœurs abusives. On a ridiculement grossi Eugénie de Guérin, ayant grossi Maurice. La critique, pour ne pas lire ailleurs, pour ne pas travailler, ne révèle au public que les mêmes toujours, ce qui les enfle assez piteusement ! Cette critique oiseuse, au lieu de faire son devoir de révéler les méconnus « volait au secours de la victoire et des grands éditeurs » disait gaiement Alfred Mortier. Elle tenait ainsi la France des lettres sous le boisseau. Eugénie de Guérin folle de son frère était appelée « la gangrène » pour sa jalousie par la famille de la fiancée de Maurice. C’était si vrai que plus tard Eugénie empêcha sa belle-sœur, la femme légitime, d’approcher du lit de Maurice pendant son agonie. Que ces horreurs libidineuses ne se revoient jamais. Qu’autour du feu unique, on ne voie que des gens décidés à savoir qu’on n’en peut faire un paradis, comme de la tablée nombreuse, qu’en respectant les droits du cœur de chacun, même sa sauvagerie particulière, sa passion, ses reliques, son secret — et que sur le reste on discute hardiment.


Vous mari choyé,
écoutez en amoureux les déceptions de vos sœurs et belles-sœurs. L’amour seul soutient l’attention. Sans lui vous ne sauriez jamais assez leurs petits drames pour leur porter secours. Soyez leur tendre père à toutes. Vous aurez chaud en vous.

La voix de l’homme ému calme la conscience des femmes inquiètes.

Soyez chez vous l’indulgent justicier, mais sensible surtout à la plus disgraciée.

Ne sortez pas quand vous voyez un débat s’aigrir, un chagrin se creuser. Ne partez pas surtout pour fuir la scène. Toutes elles vivent pour vos yeux.

Répétez-vous : Je suis le bon dieu de la maison.

Ne claquez pas la porte sur une altercation cruelle. En les frappant de votre indifférence, en les laissant aller au bout de leur faiblesse, de leur égarement, vous pouvez les cabrer. Les douces femmes, vous le savez, sont folles quand elles ont de la peine. Elles ont tant besoin de vous, leur bon génie ! Vous pouvez tout sur elles. Remettez ces pauvres cœurs en ordre. Douceur.

Faites lever le bonheur sous ce toit.

Nous entrons dans l’âge du familisme.

Des ressources de la civilisation la plus fine et fière du monde, faisons la famille aussi belle toujours, aussi fervente de ses us et coutumes d’hier que de son jour le jour de joie et de labeur.

« Paris ville la plus sainte, Paris ville la plus folle[9] » fais-nous toujours dignes de toi.

Contons entre nous les exploits de nos morts et ceux de nos vivants car les enfants écoutent…

Soignons si bien notre honneur entre quatre murs, que nul n’ose plus le toucher. Et que chacun de nous soit l’un des purs extraits de la plus belle France, toute recomposée au cœur de la famille.

  1. Mot d’un frère Karamazoff.
  2. L’enfant qui n’a jamais connu son père reproduit des tics de la marche comme du caractère de son père. Cela, la science ne l’expliquera pas.
  3. de Bonald.
  4. Lahy : Du clan primitif au Couple moderne. La femme était fécondée par le dieu. Le mari ne venait que pour mouler et agiter le germe.
  5. Origine de la plus haute et belle sociabilité française, tournois, salons, familisme, apostolat féminin, etc.
  6. Dénombrement.
  7. Voir Une Politique de la maternité, par Aurel.
  8. Le Code de l’éternelle mineure.
  9. Péguy.