Paris : Louis-Michaud (p. 278-280).

IMPRIMERIES



Il n’y avait autrefois que trente-six imprimeurs dans Paris ; ils étaient privilégiés. La Révolution a renversé ces absurdes privilèges. Qu’est-ce qu’une imprimerie ? C’est mon écritoire, c’est celle de tout auteur bon ou mauvais. Elles sont multipliées à un point étonnant ; et l’imprimerie, après avoir fait tant de bien, menace d’être épouvantablement funeste. C’est la pourriture de l’œuf : corruptio optimi, pessima.

Mais, dira-t-on, comment faire une loi répressive ? Il n’y a pas de maison à Paris, pour ainsi dire, où il n’y ait aujourd’hui une presse, soit à la cave, soit au grenier ; et dans les mansardes, deux ou trois journalistes.

Vous pensez bien que tous les royalistes, tous les aristocrates, les encouragent à miner le gouvernement qui leur est odieux. Le gouvernement fait des miracles ; il faut nier les miracles.

Et quand ce régiment de folliculaires est introduit jusques dans la salle du corps législatif, et qu’il n’y a qu’une banquette qui le sépare des législateurs, comment ne se croirait-il pas une puissance ?

En s’attribuant la puissance de médire, de satiriser, et de proclamer ses satires soir et matin, n’est-ce point là une autorité dans laquelle on se complaît ? Comment la supposer illégitime ?

Le journaliste vous dira qu’elle est infaillible, et que, par là même, elle devient irréprochable. Il ajoutera que lorsqu’elle est avouée par la malignité publique, elle devient dès lors souveraine.

C’est avec cette logique que le journaliste s’est dit législateur ; le législateur des rues, dont les décrets se publient dans les carrefours, et se promènent le long des ruisseaux. Quoi de plus authentique ! Qu’est-ce que la voix grêle qui parle à la tribune auprès du Stentor qui éveillera tout un quartier ? il a la proclamation dans toute sa force et sa plénitude.

Les journalistes feront le désespoir éternel des gouvernements ; ils n’ont plus à craindre qu’eux-mêmes, c’est-à-dire, le mépris où ils tombent par leurs propres excès : ils y ont marché à grands pas.

Il y a des pays où telle femme déclare qu’elle veut être courtisane et fille publique : on lui en délivre une patente et elle jouit de la liberté illimitée de se prostituer. Eh bien ! il y a deux classes de journalistes : les uns qui cherchent la vérité, et veulent la dire, mais avec ménagement, et avec une sorte de respect pour le public et pour eux-mêmes. Pour que cette vérité devienne universelle, ils lui donnent une physionomie décente ; ils savent que c’est une certaine sagesse qui la fera adopter. Les autres, précipitent leur plume et leurs assertions, affectent un style satirique, même quand la nature ne leur en a pas donné le talent ; entassent la censure, le sarcasme, la raillerie, en confondant toutes ces nuances. Toute phrase leur est bonne, pourvu qu’elle soit caustique : la vérité, pour eux, est le gémissement de l’offensé. Envenimer les actions d’un homme public, c’est le faire marcher droit. Toute administration, toute autorité est tyrannique, dès qu’elle n’est pas parfaitement obéissante à leurs idées. Tout gouvernement est corrompu et assassinable, dès qu’il heurte leurs productions déréglées.

Il y aurait donc les journalistes sensés, et les journalistes séditieux ; ils se classeraient d’eux-mêmes ; et le public, averti par l’enseigne, apprendrait qu’il y a autant de distance entre deux hommes qui écrivent périodiquement, qu’entre le chirurgien qui fait une opération anatomique, et le boucher qui découpe un bœuf.

Les excès de la presse ont duré jusqu’au 18 Fructidor ; le scandale, sans avoir cessé, est diminué depuis cette époque, parce que le Directoire a le droit de mettre le scellé sur les presses antirépublicaines ; mais le journaliste sans pudeur recommence le lendemain avec une autre écritoire. Vite, à ces écrivassiers, des diplômes d’infamie !