Paris : Louis-Michaud (p. 281-283).


L’INDICATEUR DES MARIAGES


C’est le nom d’un bureau, et le titre d’un journal dont le frontispice offre, comme l’on voit, une image à demi agréable, et qui promet un peu plus que le Menteur, la Chauve-souris ou la Petite Poste. Il s’agit d’un truchement habile et discret qui fait sans honte et avec l’approbation des lois, le négoce des cœurs.

Avec son secours, l’homme muet par timidité, ou qui, après avoir consulté son miroir, ne se trouve plus ni jeune, ni beau, parle, sollicite sans être vu, ne se montre, pour ainsi dire, que par réverbération jusqu’au dénouement. Ce bureau a, à ses ordres, jusqu’à un poète qui fait des madrigaux et des acrostiches à prix fixe ; et l’on se saurait croire combien cela soulage quelquefois le demandeur.

Celui donc, ou celle qui se propose, ne manque pas d’annoncer le beau côté de son individu, c’est-à-dire, sa fortune, son revenu net en biens fonds, en immeubles territoriaux, le produit de son état actuel, et surtout ses prétentions pour l’avenir.

Afin d’imprimer à cette annonce un attrait inévitable, on glisse certains mots bien doux, certaines phrases toutes préparées, suaves, mielleuses, qui font l’office d’un miroir en miniature, et qui aident à deviner la figure, la taille, les proportions du corps, la complexion, le tempérament, le tout sous un jour favorable.

On ajoute à ces invitantes prémices la petite note des talents agréables, comme le chant, le forte-piano, la clarinette, la harpe : mais sur ce qui concerne l’économie, la modestie de la parure, le goût des devoirs domestiques, on n’en parle point, parce qu’apparemment cela se suppose.

Les entremetteurs sont des gens très polis ; on passe dans leurs bureaux comme l’on se trouverait chez un notaire ; on vérifie la carte en un clin d’œil ; quelquefois même, l’on ne s’est pas encore vu, qu’on en est aux préliminaires du contrat : car il est à remarquer que les demandeurs, chacun de leur côté, stipulent pour clause essentielle du contrat, l’égalité réciproque des fortunes : on compte aussi pour beaucoup l’espérance des héritages ; mais le numéraire effectif, voilà la raison prépondérante pour la conclusion.

Les demandes des veuves de 25 ans sans enfants, qui désirent convoler en secondes noces avec des hommes veufs de 36 à 40 ans, pareillement sans enfants, sont très nombreuses.

Tous nos faiseurs de petites comédies qui, comme on sait, n’en peuvent terminer une seule sans un mariage, sont invités à se rendre à ce bureau ; ils y trouveront des dénouements tout faits, et néanmoins tout aussi précipités que ceux qu’ils inventent. Dans ces sortes de négociations, ce n’est point l’amour, c’est le coffre-fort qui se met en troisième ; et le coffre-fort arrange quelquefois les choses beaucoup mieux que l’amour.

Voici donc pour le mariage, qui n’est plus un sacrement, mais un nœud presque aussi facile à rompre qu’à former, voici une espèce de souscription tout ouverte, dans laquelle bien des gens s’engagent sous la foi du prospectus. Il n’est pas dit qu’il y ait plus de plaintes sur cette manière de contracter que pour celle qui admet des épreuves, des flammes et des soupirs. On s’accoutume à croire ce qu’on répète depuis si longtemps : le mariage est une loterie.

Les anciennes Amazones du Thermodon se brûlaient autrefois le sein, pour tirer de l’arc avec plus de facilité ; pour les Parisiennes, elles se détruisent la gorge intérieurement à force de vin, le dirai-je, d’eau-de-vie et de liqueurs fortes, en sorte que presque toutes s’en trouvent débarrassées de bonne heure. Un incivil ayant fait à ce sujet une demande plus ample que le local ne le comporte, les commis n’osèrent enregistrer cette note critique ou déplacée.

L’on pense bien que l’esprit n’entre pour rien dans toutes ces demandes. Quel est le sot qui voudrait avoir une femme d’un grand esprit ? Quelle est la femme qui demande en son mari un autre esprit, que l’esprit amusant ? Que fait le génie pour le lit conjugal ? Les gens qui ont trop d’esprit, sont ordinairement critiques, et d’un commerce difficile ; comme ils voyent mieux que les autres les défauts de chaque chose, ils ne sont que rarement satisfaits ; et la vivacité qui les domine, les fait exprimer leur sentiment d’une manière prompte, et quelquefois ironique, dont l’orgueil des autres est désagréablement humilié. D’un autre côté, ceux qui n’ont qu’un esprit orné, mais qui s’aveuglent assez pour se croire un génie supérieur, sont encore plus insupportables : ils croient réparer leur insuffisance par un air caustique et imposant qui fait mourir d’impatience, parce qu’il n’est soutenu d’aucune justesse. Comment donc faire ? aller au bureau de l’Indicateur des mariages, et tirer à la loterie.

Ce bureau pourrait avoir son pendant, celui où l’on enseignerait à la femme à regagner le cœur de son mari… Mais ce n’est pas la peine d’en tracer le frontispice, ce bureau-là serait désert.


FIN