Paris : Louis-Michaud (p. 96-98).

NEUF MARS 1793



Comment les députés amis de l’ordre ont-ils toujours été outragés, tandis que Marat et ses adhérents étaient triomphants ? Marat fait sonner le tocsin sur les marchands ; le pillage commence à la pointe du jour ; on entre dans toutes les boutiques ; on enlève le sucre, les chandelles, l’huile, le savon et les autres denrées : puis il prend un remords à tous ces pillards ; ils taxent eux-mêmes les marchandises et les emportent sans obstacle, soit qu’on veuille de leur prix, soit qu’on n’en veuille pas.

Point de doute que la commune ne fût de connivence avec les chefs des agitateurs, car on voulait donner les plus grandes suites à cette émeute. Quand on vit que le désordre n’allait pas assez loin, et que l’on n’avait pas accroché les marchands à la porte de leurs magasins, les officiers municipaux, qui étaient instruits la veille de tout ce qui devait avoir lieu le lendemain, voulurent avoir l’air de faire quelque chose pour arrêter le brigandage.

Marat fut dénoncé à la Convention pour cette provocation à l’anarchie, qui assurément n’était pas douteuse : il se contenta de répliquer à ses accusateurs, qu’ils étaient des cochons, des imbéciles qu’il fallait envoyer aux petites maisons. Ce nouveau genre d’éloquence était familier au club des Cordeliers, au club des Jacobins, à la Commune et dans les Assemblées permanentes des sections : c’était ainsi qu’ils nous répondaient. L’organisation du tribunal révolutionnaire se fit au milieu des hurlements terribles que poussaient les sicaires armés. Ils marchèrent sur la Convention pour en exterminer tout le côté droit ; mais ils firent tant de bruit, poussèrent des cris si effroyables, et mirent si peu de mystère dans leurs démarches que nous fûmes informés de leurs desseins. Une pluie considérable qui tombait dans ce moment ne contribua pas peu à disperser les conjurés.

N’ayant pu massacrer les députés du côté droit, les Montagnards firent dévaster les imprimeries des journalistes ennemis de l’anarchie ; et ce fut à cette époque que Danton, qui deux jours auparavant et pour mieux parvenir à ses fins, avait fait prononcer l’élargissement de tous les prisonniers pour dettes et l’abolition de la contrainte par corps, proposa de nouveau de casser entièrement le pouvoir exécutif, et de choisir désormais des ministres dans le sein de la Convention.

Ne faut-il pas être dépourvu de toute pudeur et nous croire absolument étrangers à toute espèce de bon sens, pour vouloir nous persuader que ce Danton était un républicain ? Il ne le fut jamais. Directeur des fatales journées des 31 mai et 2 juin, faites et payées par les puissances étrangères, il se préparait à tirer le petit Capet de la prison du Temple, à le promener entre ses bras dans Paris, et à se faire nommer son tuteur. D’un autre côté Robespierre dans son orgueil délirant, et aveuglé par des succès qui avaient tourné sa tête étroite, n’ambitionnait pas moins que d’épouser la fille de Louis XVI, et de se faire déclarer protecteur.

Parmi ces scélérats, c’était à qui concentrerait l’autorité entre ses mains : montés de la misère la plus profonde à une sorte d’opulence, il n’y avait point de chimère dont ils n’alimentassent leur appétit dévorant. Ligués d’abord pour régner à l’ombre de la tutelle de l’enfant dont ils se seraient défaits quand leur puissance aurait été consolidée ; divisés ensuite, parce que chacun voulait avoir la gloire de remettre le Dauphin sur le trône. Ils ne pouvaient commettre ce forfait anti-républicain, qu’en abattant la Gironde qui avait fondé la république et qui la voulait.

Le parti d’Orléans était tombé, parce que la nullité de l’homme étant constatée, le plus déhonté n’osait plus bâtir sur lui. Que l’on se représente si l’on peut tous les hommes pervers entachés de vices, tous les intrigants avides de rapines, tous les êtres couverts d’opprobre, fuyant les lieux de leur naissance, enrôlés sur ce grand théâtre où ils ne sont pas connus, et fiers d’y jouer pour la première fois un rôle pour s’ouvrir un large chemin à la fortune ; n’ayant ni domicile, ni parents, ni amis ; d’autant plus entreprenants dans leur audace, qu’ils moissonnent dans un champ étranger. Voilà l’image de la capitale à cette époque.