Paris : Louis-Michaud (p. 94-96).

FUNÉRAILLES DE MICHEL LEPELLETIER



Il avait voté, d’après sa conscience, la mort du roi ; un ancien garde du corps cherchait le duc d’Orléans, dans le dessein de le poignarder, et de le faire servir de compagnon à la grande victime, ne le trouvant pas, il entra chez un restaurateur, et ayant appris qu’il y avait là un représentant du peuple qui avait aussi voté la mort du roi, il paya pour le duc d’Orléans. Le garde du corps tira de dessous son manteau un large coutelas dont il lui perça le côté ; après ce coup, il s’évada. On saura peut-être un jour ce qui prépara et détermina cet étrange assassinat. On fit tenir à l’homme expirant des paroles qui ne furent jamais prononcées[1].

On ordonna une pompe funèbre en l’honneur de Michel Lepelletier ; cette cérémonie avait un caractère excessivement remarquable ; on plaça le cadavre sur la base ruinée de la statue équestre de Louis XV au milieu de la place Vendôme. Là, fut prononcée son oraison funèbre par une voix qui se faisait entendre sur tous les toits. Il faisait très froid[2]. Le corps de Lepelletier, nu, livide, et sanglant, montrant la large blessure qui lui avait été faite, fut porté sur une espèce de lit de parade et promené lentement dans un très long trajet accompagné de la Convention ainsi que de la société des Jacobins. Celle-ci avait sa bannière, et, tout à côté, on en voyait une autre de son invention, elle avait pour flamme la chemise, la veste, et surtout la culotte de Lepelletier encore toute dégoûtante de sang. Chacun put voir le mort qui, juge de Louis XVI, l’avait précédé dans la tombe.

C’était un spectacle à produire des impressions profondes, elles le furent aussi. Le hideux de la cérémonie disparut devant les terribles images qu’elle offrait. Le frère de l’assassiné conduisait la marche, plusieurs Montagnards s’identifiant à celui que l’on menait au Panthéon disaient : voilà donc notre sort, voilà ce qu’on gagne à fonder une république. On parlait d’une malheureuse orpheline, qui héritait d’une fortune de quatre à cinq cent mille livres de rentes. Les éloges funèbres furent prodigués à Michel Lepelletier. Toutes les femmes eurent des rêves effroyables à la suite de cette cérémonie, et jamais mort ne fut salué de tant de regards, ni accompagné de tant de réflexions.

La fille de Michel Lepelletier devint la fille adoptive de la Nation ; et c’est par elle qu’une loi de la République romaine se trouve dans le code de la République française.

Sous prétexte de trouver le garde du corps Pâris, on fit, quelques jours après, cerner le palais royal par dix mille hommes. Personne de ceux qui s’y trouvaient ne put en sortir, sans avoir été passé en revue par la garde, et avoir montré une carte dite de sûreté à un officier de police. Cette persécution d’une espèce inconnue ayant parfaitement réussi, elle fut dans la suite répétée si souvent, que le Parisien ne la regarda plus que comme un jeu.

On regarde aujourd’hui comme un conte, tout ce qui a été dit sur l’arrestation et sur la mort prétendue de l’assassin de Lepelletier[3].


ASSASSINAT DE LEPELLETIER DE SAINT-FARGEAU
Dessiné et gravé par Couché fils, terminé par Le Jeune.

  1. D’après Félix Lepelletier, frère de Michel, celui-ci aurait dit en expirant : « Je meurs pour la liberté de mon pays. »
  2. 24 janvier 1793. Il avait été assassiné le 20, la veille de la mort de Louis XVI.
  3. Une version dit que Pâris se serait brûlé la cervelle au moment d’être arrêté, une autre qu’il aurait pu s’échapper, gagner la Suisse et serait mort en Angleterre en 1813.