Paris : Louis-Michaud (p. 75-76).

LE PETIT CATON


Lors de l’apparition du nouveau calendrier[1], et même auparavant, c’était à qui prendrait pour prénoms des noms romains. Pour Couthon, il dérogea en prenant un nom grec, et se fit appeler Aristide Couthon. Tout ce qui était au haut et au bas de la montagne, s’affubla des noms des grands hommes de l’antiquité ; et cela m’impatienta tellement un jour, qu’à raison de quelques nouvelles sottises de leur cru, je leur criai de toutes mes forces : Non, vous n’êtes pas des Romains ! La sonnette furieuse de Collot-d’Herbois s’agitait sur ma tête et étouffa quelques autres vérités qui les faisaient bondir comme des cabris. J’avoue que je m’amusai infiniment ce jour-là, lorsque j’eus le plaisir de dire à Robespierre écumant et pâlissant : « Tais-toi, et écoute-moi une seule fois, car tu es l’ignorance personnifiée ; avez-vous fait un pacte avec la victoire ? » — « Non ! nous l’avons fait avec la mort ! »[2] — « Il y paraît à tout ce que vous faites, etc. »

La grande renommée de ces Catons et de ces Brutus, ayant fini à peu près comme celle de Gracchus-Babœuf, on ne se souvient plus aujourd’hui de cette manie un peu folle que pour citer l’historiette suivante.

« Un enfant prénommé Caton, que le père lui avait fait ensuite connaître, en lui lisant quelques pages de l’histoire romaine, était entré furtivement dans le cabinet de sa mère, où, dans la joie de son cœur, il se hâtait de piller une corbeille de dragées. Son père entre, le surprend, et lui dit d’un ton froid : Caton n’eût pas fait cela. L’enfant, honteux, vide sa poche, restitue et se jette aux genoux de son père qui lui dit : Caton après avoir fait une friponnerie ne se serait pas mis dans le cas de la réparer par une posture humiliante ; levez-vous. »

La leçon était bonne, et je ne doute point que l’enfant, pour peu qu’il soit au-dessus du médiocre, ne se croie toujours environné de l’ombre de Caton.

  1. 1792.
  2. Plusieurs historiens attribuent cette réponse à Bazire.