Paris : Louis-Michaud (p. 74-75).

SALPÊTRE



Toutes les puissances coalisées voulaient la ruine, le partage ou le démembrement de la France. On avait des bras, du fer et du courage ; mais la poudre, pour le service des armées, manquait ; on n’avait pas même les matières premières : mais que de ressources n’offre point une ville populeuse dont le sol recelait depuis tant de siècles les débris de tous les éléments terrestres et putréfiables. Tout à coup chaque particulier descend dans sa cave, en fouille le terrain ; dans toutes les cuisines, on soulève les pavés, on enlève les cendres des foyers ; on cherche dans tous les décombres pour en extraire les terres imprégnées de salpêtre ; on lèche, pour ainsi dire, chaque mur ; et tout ce qui porte le goût de sel est enlevé pour la fabrication révolutionnaire ; elle fut prompte, elle fut universelle : l’opération se fit dans toutes les maisons ; elle se fit avec zèle ; toutes les terres furent remuées, et des milliers de pelles amenaient le sol humide aux rayons du soleil.

Cette opération qui ne pouvait être imaginée, ou du moins exécutée que dans les temps révolutionnaires où l’on se trouvait alors, a empêché la France de tomber au pouvoir de l’étranger.

Qui l’eût dit, que les caves de Paris recelaient dans leur sein de quoi repousser la ligue des rois ?

Chaque citoyen travailla avec un zèle infatigable ; c’est qu’il sentit la nécessité de la mesure : personne ne cria à la vexation, parce que lorsqu’on ne peut se sauver que par une opération hardie, elle est toujours adoptée et sentie. On vit sur les portes, dans plusieurs quartiers de Paris, des inscriptions qui subsistèrent plus d’un an, et qui étaient conçues en ces termes : « Pour donner la mort aux tyrans, les citoyens logés dans cette maison, ont fourni leur contingent de salpêtre[1]. »


  1. Ce fut Monge qui indiqua les murs et le sol des écuries, des caves, des lieux bas, comme contenant du salpêtre. « On nous donnera, dit-il, de la terre salpêtrée, et trois jours après nous en chargerons les canons ! » D’un bout de France à l’autre, on vit jour et nuit des vieillards, des femmes, des enfants, lessiver les terres de leurs habitations.

    Avant 1789, à peine réussissait-on à extraire annuellement du sol de la France un million de livres de salpêtre ; on en tira douze millions en neuf mois, par les soins de la commission dont Monge faisait partie. (Note de l’édition Poulet-Malassis.)