Paris : Louis-Michaud (p. 65-73).

MASSACRES DE SEPTEMBRE



Les générations futures se refuseront à croire que ces forfaits exécrables ont pu avoir lieu chez un peuple civilisé, en présence du corps législatif, sous les yeux et par la volonté des dépositaires des lois, dans une ville peuplée de huit cent mille habitants, restés immobiles et frappés de stupeur, à l’aspect d’une poignée de scélérats soudoyés pour commettre des crimes.

Le nombre des assassins n’excédait pas trois cents ; encore faut-il y comprendre les quidams, qui, dans l’intérieur du guichet, s’étaient constitués les juges des détenus.

En établissant une chaîne de faits, il ne faudra point une pénétration surnaturelle pour se convaincre que ces massacres sont l’ouvrage de cette faction dévorante, qui est parvenue à la domination par le vol et l’assassinat.

Quelle que soit l’horreur que m’inspirent ces journées de sang et d’opprobre[1], je les rappellerai sans cesse aux Parisiens jusqu’à ce qu’ils aient eu le courage d’en demander vengeance.

La situation de la ville paraissant exiger une surveillance plus active et plus étendue ; le conseil général de la commune créa un comité de douze commissaires.

Les partisans des massacres ne diront pas, sans doute, que les diamants et les bijoux, etc. des personnes arrêtées étaient suspects. Cependant, on s’emparait avec soin des personnes et des choses. Ce seul fait suffit, ce me semble, pour donner la clef des massacres. Quand on demande aux anarchistes pourquoi le comité de surveillance faisait enlever les propriétés avec les personnes, ils ne savent que répondre.

Les dépôts faits au comité de surveillance provenaient d’effets enlevés aux Tuileries et chez les personnes arrêtées, telles que Laporte[2], ainsi que beaucoup d’autres qui avaient abandonné leurs maisons et leurs richesses à l’époque des visites domiciliaires, qui ont précédé les massacres.

Les magasins des dépôts étaient les salles mêmes des bureaux du comité de surveillance, c’était notoirement dans ce bureau où étaient déposés les malles, boîtes, cartons, etc., etc. Il y avait en outre dans cette salle une ou deux grandes armoires qui étaient remplies d’objets peu dignes de l’attention des hommes de proie, tels que pistolets, sabres, fusils, cannes à sabres, etc.

Ce fut dans cette caverne que furent préparés les massacres de Septembre, ce fut dans cet abominable repaire que fut prononcé l’arrêt de mort de huit mille Français, détenus la plupart sans aucun motif légitime, sans dénonciation, sans aucune trace de délit, uniquement par la volonté et l’arbitraire des voleurs du comité de surveillance.

Quelques jours avant les massacres, des membres du comité, effrayés de cette violation des principes, touchés du spectacle affreux d’une multitude de citoyens enfermés à la Mairie, qui réclamaient contre leur arrestation, et demandaient à grands cris qu’on leur en fît connaître les motifs, ces commissaires, dis-je, voulurent consacrer le jour et la nuit à les interroger, pour remettre en liberté ceux qui étaient détenus sans grief, et envoyer en prison ceux qui étaient dans le cas d’être traduits devant les tribunaux.

Le 2 septembre, on apprend que la ville de Verdun est prise par les Prussiens qui, ajoutent les colporteurs de cette nouvelle, s’y sont introduits, par la trahison des Verdunois, après une résistance simulée de leur part ; aussitôt on tire le canon d’alarme, la générale bat et le tocsin sonne. Des municipaux à cheval courent sur les places publiques, confirment cette nouvelle, font des proclamations, pour exciter les citoyens à marcher contre l’ennemi.

Au premier coup du tocsin, chacun se demandait avec raison pourquoi au moindre danger on se complaisait à jeter ainsi l’alarme dans Paris, et à frapper de terreur tous ses habitants, loin d’entretenir dans leur âme cette mâle énergie, qui convient à des guerriers et assure le gain des batailles ; n’était-ce pas en effet un moyen puissant d’énerver leur courage ? Mais ceux qui ne connaissaient pas le secret des conjurés, furent bientôt instruits par leur propre expérience. Oh, jour de deuil et d’opprobre ! C’était à ce signal que devaient se réunir les assassins qui se portèrent aux prisons ; c’était le prélude du plus affreux carnage.

Les brigands, distribués par bandes, se portent aux prisons ; aux unes ils fracturent les portes, aux autres ils se font livrer les geôliers et s’emparent des victimes, que le comité de surveillance y avait amoncelées pendant quinze jours.

Ces assassins armés de sabres et d’instruments meurtriers, les bras retroussés jusqu’aux coudes, ayant à la main des listes de proscription dressées quelques jours auparavant, appelaient nominativement chaque prisonnier.

Des membres du conseil général, revêtus de l’écharpe tricolore, et d’autres particuliers s’établissaient au guichet dans l’intérieur de la prison ; là, était une table couverte de bouteilles et de verres ; autour, étaient groupés les prétendus juges et quelques-uns des exécuteurs de leurs sentences de mort. Au milieu de la table était déposé le registre d’écrou.

Les assassins allaient d’une chambre à l’autre, appelaient chaque prisonnier à tour de rôle, puis le conduisaient devant le tribunal de sang, qui lui faisait ordinairement cette question : qui êtes-vous ? aussitôt après que le prisonnier avait décliné son nom, les cannibales en écharpes inspectaient le registre, et après quelques interpellations aussi vagues qu’insignifiantes, ils le remettaient entre les mains des satellites de leurs cruautés, qui le conduisaient à la porte de la prison, où étaient d’autres assassins qui le massacraient avec une férocité dont on chercherait en vain des exemples chez les peuples les plus barbares.

À la prison de l’Abbaye, il était convenu entre eux, que toutes les fois que l’on conduirait un prisonnier hors du guichet en prononçant ce mot : à la Force, ce serait l’équivalent d’une sentence de mort. Ceux qui remplissaient à la Force le même emploi, c’est-à-dire le métier de bourreau étaient convenus de même qu’en prononçant ce mot : à l’Abbaye, cela voudrait dire qu’il fallait donner la mort au prisonnier qui était condamné. Ceux qui étaient absous par le sanglant tribunal étaient mis en liberté et conduits à quelque distance de la prison, au milieu des cris de : vive la nation !

L’Assemblée législative députa plusieurs de ses membres qu’elle chargea de rappeler à la loi les brigands, qui s’en écartaient d’une manière aussi atroce ; mais que pouvait le langage de la raison et de la morale sur des assassins altérés de sang, et la plupart plongés dans la plus crapuleuse ivresse, ? Cette mesure était insuffisante ; toute harangue devenait vaine, attendu que, pour dompter des tigres, il fallait de la force armée, il fallait que l’Assemblée sortît toute entière, et qu’elle vînt former autour de chaque prison un rempart inexpugnable. Ils repoussèrent par des menaces tous les avis et les conseils de paix qui leur étaient portés. L’abbé Fauchet, évêque du Calvados, membre de la députation, fut menacé, injurié, et peu s’en est fallu que de la menace on n’en vînt aux coups ; il vit l’instant où les assassins allaient le comprendre au nombre de leurs victimes. Il se retira, et vint rendre compte à l’Assemblée qui était elle-même dans la stupeur et l’avilissement, menacée d’une dissolution totale par l’infâme Robespierre qui exerçait une tyrannie sans bornes dans Paris.

Voyez l’accusation du député Louvet contre Robespierre, publiée dans les premiers temps de la Convention ; la conduite que ce faux patriote a tenue à l’égard de l’Assemblée législative, y est montrée au grand jour. On voit un conspirateur audacieux, qui voulait asseoir la dictature sur les débris de la représentation nationale ; cependant Robespierre ne cessait de parler de ses vertus civiques, de son désintéressement ; ce misérable quitta la place d’accusateur public au tribunal criminel de Paris, pour vivre, disait-il, dans la retraite ; il avait imprimé qu’il n’était point intrigant, qu’il ne voulait aucune place, qu’il n’en acceptait aucune, et, tout à coup, il fut se nicher dans le conseil général de la Commune et de là au Capitole.

Les prêtres, renfermés dans l’église des Carmes, furent tous massacrés à l’exception d’un seul ; on les faisait sortir les uns après les autres, et souvent deux ensemble ; d’abord les assassins les tuèrent à coups de fusils ; mais sur l’observation d’une multitude de femmes, qui étaient là présentes, que cette manière était trop bruyante, on se servit de sabres et de baïonnettes. Ces malheureuses victimes se prosternaient au milieu de la cour, et se recueillaient un instant, abandonnées de la nature entière, sans appui, sans autre consolation que le témoignage de leur conscience ; ils élevaient les yeux et les mains vers le ciel, et semblaient conjurer l’être suprême de pardonner à leurs assassins.

Vous, partisans de ces massacres, conjurés féroces, qui n’avez cessé de tromper la multitude crédule, direz-vous qu’il était impossible d’arrêter les bras des assassins ? Direz-vous qu’il n’était point en votre puissance de les réprimer ? Vous avez dit au département par l’organe imposteur de vos commissaires, que vous n’aviez pu arrêter la colère du peuple. Malheureux ! vous prostituez le nom du peuple ; vous ne l’invoquez que pour le déshonorer et couvrir vos turpitudes et vos crimes ! était-ce donc le peuple qui commettait ces forfaits exécrables ? Non, il gémissait en silence ; c’est vous, administrateurs féroces, qui, d’intelligence, avec le conseil général de la Commune et le ministre Danton avez tout fait préparer, tout fait exécuter. C’est vous qui avez fait commettre tous ces crimes par un petit nombre d’affidés, afin de vous enrichir des dépouilles sanglantes de vos nombreuses victimes ; c’est vous qui avez fait de Paris le coupe-gorge du riche, et préparé la misère du peuple en brisant tous les liens sociaux, en tarissant tous les canaux de la circulation, en détruisant la confiance publique si nécessaire, si indispensable à la prospérité commune et au bonheur de tous.

S’il n’était pas prouvé qu’à vous seuls appartient l’opprobre des premiers jours de septembre, je vous rappellerais deux faits que vous ne pouvez nier. Je vous rappellerais ce paiement de 850 livres fait par ordre du conseil général, au marchand de vin qui fournissait vos assassins à la Force pendant leur horrible exécution ; je vous rappellerais le comité de surveillance, louant, la veille du massacre, les voitures qu’il destinait et qui ont servi à conduire à la carrière de Charenton les cadavres de Septembre.

Si la garde nationale eût été requise, si on l’eût commandé au nom de la loi, que des chefs perfides et sanguinaires s’appliquaient à paralyser, combien elle eût été forte et courageuse ! elle se serait levée toute entière : mais, cette garde nationale dont la masse est restée pure au milieu de tous les genres de corruption et de brigandage, n’a-t-elle pas craint qu’on ne l’accusât d’avoir agi sans réquisition ? n’a-t-elle pas craint qu’en voulant punir le crime, on ne l’accusât elle-même de s’être rendue criminelle ? Retenue par ces motifs, elle est restée immobile.

J’ai vu la place du Théâtre-Français[3] couverte de soldats que le tocsin avait rassemblés ; je les ai vus prêts à marcher, et, tout à coup, se disperser, parce qu’on était venu traîtreusement leur annoncer que ce n’était qu’une fausse alerte, que ce n’était rien. Ce n’était rien, grands dieux ! Déjà la cour des Carmes et celle de l’Abbaye étaient inondées de sang, et se remplissaient de cadavres : ce n’était rien.

J’ai vu trois cents hommes armés, faisant l’exercice dans le jardin du Luxembourg, à 200 pas des prêtres que l’on massacrait dans la cour des Carmes : direz-vous qu’ils seraient restés immobiles, si on leur eût donné l’ordre de marcher contre les assassins ?

Aux portes de l’Abbaye et des autres prisons étaient des épouses éplorées redemandant à grands cris, leurs époux, qu’une fin tragique venait de séparer d’elles ; d’autres avaient la douleur de les voir massacrer à leurs pieds.

Le même carnage, les mêmes atrocités se répétaient en même temps dans les prisons et dans tous les endroits où gémissaient les victimes du pouvoir arbitraire : partout on exerçait des cruautés, toujours accompagnées de particularités plus ou moins douloureusement remarquables.

Au séminaire de Saint-Firmin, les prêtres, que l’on y retenait en chartre privée, attendaient paisiblement, comme les autres prêtres détenus aux Carmes, que la municipalité de Paris leur indiquât le jour de leur départ, et leur délivrât des passe-ports pour sortir de France, selon les termes d’un décret tout récent, qui leur faisait cette injonction, en leur accordant trois livres par jour pendant leur voyage. Il est incontestable qu’il n’a tenu qu’aux autorités du jour que ce décret eût son exécution avant les massacres ; mais les prêtres détenus étaient désignés et réservés pour ce jour. Ils furent mutilés et déchirés par lambeaux. À Saint-Firmin, ils trouvèrent plaisant d’en précipiter quelques-uns du dernier étage sur le pavé.

À l’hôpital général de la Salpêtrière, ces monstres ont égorgé treize femmes, après en avoir violé plusieurs.

À Bicêtre, le concierge, voyant arriver ce ramas d’assassins, voulut se mettre en devoir de les bien recevoir : il avait braqué deux pièces de canon, et, dans l’instant où il allait y mettre le feu, il reçut un coup mortel ; les assassins vainqueurs ne laissèrent la vie à aucun des prisonniers.

À la prison du Châtelet, même carnage, même férocité : rien n’échappait à la rage de ces cannibales ; tout ce qui était prisonnier leur parut digne du même traitement.

À la Force, ils y restèrent pendant cinq jours. Madame la ci-devant princesse de Lamballe y était détenue : son sincère attachement à l’épouse de Louis XVI était tout son crime aux yeux de la multitude. Au milieu de nos agitations elle n’avait joué aucun rôle ; rien ne pouvait la rendre suspecte aux yeux du peuple, dont elle n’était connue que par des actes multipliés de bienfaisance. Les écrivains les plus fougueux ne l’avaient jamais signalée dans leurs feuilles.

Le trois septembre, on l’appelle au greffe de la Force ; elle comparaît devant le sanglant tribunal composé de quelques particuliers. À l’aspect effrayant des bourreaux couverts de sang, il fallait un courage surnaturel pour ne pas succomber.

Plusieurs voix s’élèvent du milieu des spectateurs et demandent grâce pour madame de Lamballe. Un instant indécis, les assassins s’arrêtent ; mais, bientôt après elle est frappée de plusieurs coups, elle tombe baignée dans son sang, et expire.

Aussitôt on lui coupe la tête et les mamelles, son corps est ouvert, on lui arrache le cœur, sa tête est ensuite portée au bout d’une pique, et promenée dans Paris ; à quelque distance on traînait son corps.

Les tigres qui venaient de la déchirer ainsi, se sont donné le plaisir barbare d’aller au Temple, montrer sa tête et son cœur à Louis XVI et à sa famille.

Tout ce que la férocité peut produire de plus horrible et de plus froidement cruel, fut exercé sur madame de Lamballe.

Il est un fait tel que la pudeur laisse à peine d’expressions pour le décrire ; mais je dois dire la vérité tout entière et ne me permettre aucune omission. Lorsque madame de Lamballe fut mutilée de cent manières différentes, lorsque les assassins se furent partagé les morceaux sanglants de son corps, l’un de ces monstres lui coupa la partie virginale et s’en fit des moustaches, en présence des spectateurs saisis d’horreur et d’épouvante.


INTÉRIEUR D’UN COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE SOUS LE RÉGIME DE LA TERREUR
Composition de Fragonard fils, gravée à l’eau-forte par Malapeau.

  1. 2 et 3 septembre 1792.
  2. Ministre de Louis XVI. Fut guillotiné en 1792.
  3. Actuellement place de l’Odéon.