Paris : Louis-Michaud (p. 76-78).

BRÉVIAIRE


Que faisait Louis Capet, le dernier roi des Français, pendant sa détention dans la tour du Temple ? Il buvait, dormait, ou disait son bréviaire ; on l’aurait pris pour le plus stoïque des philosophes, si l’on ne savait pas qu’il était devenu très dévot ; il est sûr qu’il s’était nourri de plusieurs idées théologiques, et qu’il était peut-être le seul à sa cour qui eût ces idées-là. Plusieurs prêtres avaient exercé leur puissance mystique sur sa cervelle qui n’était pas déjà bien forte.

J’ai rencontré à la Force, dans une prison, Cléry, son valet de chambre, qui m’a conté plusieurs particularités. Il se vit enlever avec tranquillité toutes ses décorations, même son couteau ; mais il fut très sensible lorsqu’on lui enleva la pelle de son feu, et il en témoigna beaucoup de chagrin.

Pendant le retour de la salle de la Convention à la tour du Temple, lors de son second interrogatoire, il demanda à Chaumette de quel pays il était. — Du département de la Nièvre. — C’est un pays enchanté. — Est-ce que vous y avez été ? — Non, mais je me propose de faire mon tour de France en deux années, et d’en connaître toutes les beautés.Remarquant que le secrétaire-greffier avait son chapeau sur la tête, dans la voiture, il lui dit en plaisantant : La première fois que vous êtes venu me prendre, au Temple, vous aviez oublié votre chapeau : vous avez été plus soigneux aujourd’hui.

Trahi par la noblesse, par ses deux frères, par Lafayette, sachant que le but était de faire déclarer ses enfants bâtards après lui avoir ôté la couronne, il est bien étonnant qu’il eût accédé à un projet de fuite injustifiable sous tous les rapports. On répond qu’il était encore dans l’ignorance de toutes ces trames ; mais lorsqu’il fut éclairé, comment ne devint-il pas sincèrement et pleinement constitutionnel ?

C’est donc le Bréviaire qui le consolait de la perte de toutes ses grandeurs.

Il n’est pas étonnant qu’après sa mort des prêtres en aient voulu faire un martyr. On a longtemps distribué des reliquaires où étaient de ses cheveux, vrais ou supposés ; les fripons les ont vendus aux imbéciles ; et dans les confessionnaux ce fut un cas réservé que d’avoir assisté à son supplice. Au moment où j’écris, j’en crois à peine mes yeux, je viens de voir, à la porte d’une église de Paris, descendre douze à quinze confessionnaux rebâtis à neuf. J’ai reculé de surprise à la vue de cette artillerie papale ; chacune de ces boîtes à tartuffe, m’écriai-je, est une pièce de canon prête à tirer contre le gouvernement républicain. La prédication sacerdotale est déjà une guerre ouverte ; on peut en prévoir et en arrêter les effets ! mais la confession ! qui peut en calculer les suites clandestinement désastreuses ?

Plusieurs marchands de livres m’ont attesté qu’on recherchait les Bréviaires, et qu’on les achetait avec une sorte d’empressement. Délivrés des Capucins, des Picpus, des Minimes, des Chartreux, des Moines-déchaux, avec ou sans barbe, des Prieurs, des Chanoines, des Abbés, nous disions : Un petit nombre d’heures de travail suffira, si tout le monde travaille, pour faire désormais de la France une vraie Utopie ; et voici qu’on lit à Paris le Bréviaire comme par le passé, et mieux que par le passé, car ceux qui le lisent n’en font plus le semblant.

Les Bréviaires, les Missels vont dans les départements et en Allemagne : tandis que nos romans abominables, et dont l’Espagne n’avait jamais entendu parler, y passent : ainsi vingt années suffisent quelquefois pour changer entièrement la face d’un empire ; si les Espagnols lisent nos livres, tant bons que mauvais, ils seront nos imitateurs et nos émules.

Que d’événements se sont succédés depuis 1789, jusqu’en 1797, inconnus, inobservés, inouïs, malgré tant d’écrits ; quel spectacle dérobé à l’histoire ; que d’idées nouvelles sur l’extravagance et la perversité de l’homme !