Le mystère des Mille-Îles/Partie II, Chapitre 7

Éditions Édouard Garand (p. 25-26).

— VII —


Cherchant à reprendre pied dans la réalité, l’aviateur récapitula tous les éléments qui pouvaient le mettre sur la voie d’une explication plausible.

Un souvenir, d’abord très vague, se fit jour dans sa mémoire. Avec effort, il tenta de l’éclairer.

Cette île rocheuse et déserte ; ce château moyenâgeux et apparemment abandonné ; cet air de mystère ; cette femme à la beauté angélique, où, dans quel monde, à quelle époque les avaient-ils connus ? Car, il ne pouvait plus en douter, ils éveillaient en lui une lointaine ressouvenance. Ce n’était pas la première fois qu’ils sollicitaient l’attention de son esprit.

Mais il ne pouvait démêler comment ils avaient antérieurement passé dans sa vie. Est-ce que, comme le veut la doctrine de la métempsychose, il aurait vécu une autre existence avant celle-ci, au cours de laquelle se seraient produits les événements dont la mémoire lui restait ?

Cette pensée le fit sourire.

Peu à peu, il reconstitua ce qu’il savait de l’endroit où il était.

Et c’est alors qu’il se rappela l’histoire des amours de Renée Vivian et de John Kearns qu’on lui avait contée autrefois, comme nous l’a relatée, cet après-midi, M. Legault. Car vous pensez bien qu’elle est célèbre et connue de beaucoup de gens.

Il avait prêté une oreille distraite à ce qu’il qualifiait de « conte de fée pour grandes personnes » et c’est pourquoi il n’en avait pas gardé un souvenir bien net.

Maintenant il se la rappelait parfaitement et il en éprouva un plaisir sensible. Il lui était agréable, en premier lieu, de se retrouver en pays de connaissance, même lointaine. Surtout, il ne lui déplaisait pas de se trouver, pour ainsi dire, mêlé à un drame.

Mais sa joie fut de courte durée et il s’aperçut que son explication n’expliquait rien du tout. Au contraire, elle rendait le mystère plus profond, lui donnant même un aspect inquiétant.

N’est-il pas dit, en effet, dans la légende de John et Renée, que tous deux moururent ? Qu’ils se soient tués, comme le prétend une version du récit, ou qu’ils soient morts naturellement, comme le soutient M. Legault avec les tenants de la pureté irréprochable de Renée, peu importe. Le fait demeure qu’ils sont morts, au dire de tout le monde. Et peut-on croire que tout le monde se trompe sur un événement aussi essentiel ?

Voilà ce que se disait Hughes et ce n’était pas pour le rassurer.

Quelle était donc la femme qui chantait dans le crépuscule ? Hughes se rappela la description qu’on lui avait faite de Renée et il reconnut, avec un trouble compréhensible qu’elle correspondait parfaitement à celle de la chanteuse.

D’ailleurs, comment concevoir que d’autres personnes fussent venues habiter l’île tragique ?

Alors, que croire ? La belle Renée vivrait-elle encore ? Mais, non : tous ceux qui lui en avaient parlé étaient catégoriques sur ce point.

Faudrait-il penser que les âmes reviennent aux endroits où elles ont aimé ou souffert ? La forme blanche entrevue à la lueur du couchant serait-elle le fantôme de l’amoureuse légendaire, revenu hanter le château… son château ?

Infiniment perplexe, agité, l’aviateur frissonna, dans la nuit qui se faisait sombre.