Le jardin de l’instituteur
Revue pédagogique, premier semestre 18793 (p. 209-213).

VIII.
LES PORTE-GRAINES DE LÉGUMES.

Un instituteur qui a débuté dans le jardinage avec des graines achetées, doit être en mesure, au bout de deux ans, de faire la plupart de ses semences et de réaliser ainsi une économie importante. Mais pour cela, il a besoin de petites connaissances pratiques aussi faciles à donner qu’à comprendre.

Nous avons vu que l’arroche belle dame se ressemait d’elle-même. Donc, pas de soucis à avoir de ce côté ; l’instituteur se contentera d’en marquer un pied et de n’y point toucher, c’est-à-dire de n’y prendre aucune feuille pour le service de la cuisine. Le vent se chargera du semis.

Pour obtenir de bonnes graines d’asperges, on choisit des souches femelles de 4 ou 5 ans, n’ayant que peu de turions mais d’une remarquable grosseur. On fait des coupes d’asperges sur ces souches jusqu’au 15 juin environ, après quoi on laisse les tiges se développer, fleurir et porter graines. En novembre, on coupe les tiges, on cueille les fruits rouges qui contiennent de 2 à 4 graines chacun. On les broie avec la main dans une terrine, de façon qu’ils se mettent en pâte ; on verse de l’eau dessus, on décante ; la graine reste au fond de la terrine ; on la fait sécher à l’air sur une planche, puis on la conserve en sacs.

Les meilleurs porte-graines d’aubergine sont ceux qui mûrissent leurs fruits en pleine terre dans le Midi. Les aubergines, forcées sur couche dans le climat de Paris, ne les valent pas.

La graine de bettes à cardes se prend sur des pieds de l’année précédente qui ont passé l’hiver en terre. On en palisse les rameaux obliquement sur des baguettes et on supprime l’extrémité de ces rameaux. La graine reçoit plus de sève et se nourrit mieux. Celle qui mûrit la première et qui occupe la partie moyenne des principaux rameaux est préférable à toute autre.

La graine de betterave à salade se fait avec des racines de l’année précédente que l’on conserve le mieux qu’on peut et qu’on replante au printemps. Afin de retarder la végétation de ces racines, on les retire de la cave ou du cellier en février et on les met dans une chambre fraîche et éclairée. Les porte-graines de betteraves doivent être palissés et conduits comme ceux de la bette à cardes.

Le cardon est une plante vivace qui ne mûrit bien ses graines que dans le Midi. Il convient de ne récolter les graines en question que sur des souches de trois ou quatre ans.

À l’approche de l’hiver, quand le moment est venu d’arracher les carottes et de les mettre en cave, l’instituteur choisira une demi douzaine de racines bien formées, à peau lisse et claire. Il les placera l’une à côté de l’autre, sans qu’elles se touchent, dans une fosse d’une profondeur de 40 à 50 centimètres de profondeur sur autant de largeur, et marquera la place. Les carottes porte-graines ainsi enterrées, passeront très-bien l’hiver. En mars ou avril, l’instituteur les sortira de la fosse et les replantera en un coin du jardin à 50 centimètres de distance.

A la veille de l’hiver, quand on arrache les céleris, on en replante de suite quelques pieds pour faire la graine et l’on a soin de les protéger contre les grands froids avec de la paille ou des feuilles mortes. Au printemps on les découvre et on les arrose pendant la sécheresse. En août et en septembre, on récolte la graine mûre autant que possible sur les principaux rameaux.

L’instituteur ne prendra jamais de graine sur du cerfeuil semé au printemps. Il devra, à cet effet, en semer en septembre et le protéger avec des feuilles mortes contre les rigueurs de l’hiver. On comprend que le cerfeuil semé vers la fin de l’été s’enracine mieux et nourrit mieux sa graine que le cerfeuil de mars ou d’avril.

Pour ce qui est du cerfeuil tubéreux ou bulbeux, on laisse quelques bulbes en terre au moment de l’arrachage qui à lieu vers la fin de juillet, et au printemps suivant, dès que les feuilles des bulbes se montrent, on les transplante avec soin et on les arrose.

La graine de chicorée frisée n’est pas facile à faire. Les jardiniers qui ont des couches sèment cette chicorée en février, la repiquent en avril et ont de la graine mûre à la fin de septembre. Les jardiniers qui n’ont pas de couches, sèment la chicorée frisée vers la fin de l’été, l’abritent de leur mieux en hiver et la transplantent au printemps suivant.

Avec la chicorée sauvage qui passe facilement l’hiver en terre, il n’y a aucune précaution à prendre.

L’instituteur qui voudra faire de la graine de choux, marquera les plus beaux sujets, coupera les pommes le plus tardivement possible, couvrira les plaies de cire à greffer et laissera les pieds passer l’hiver en place. Il en pourrira mais il s’en conservera. Au printemps, il transplantera ces pieds de choux qui pousseront, fleuriront et graineront.

Pour avoir de la graine de chou de Bruxelles, il faut se servir des pieds qui ont donné en automne de petites pommes très-fermes, les transplanter et couper la partie supérieure de la tige.

L’instituteur prendra sa graine de concombre dans les plus beaux et les plus mûrs. Les jardiniers conseillent même de laisser pourrir les concombres, d’en laver la graine et de la faire sécher.

Les meilleures graines de courges seront prises dans des fruits tout à fait mûrs et du côté exposé au soleil.

Les épinards semés au printemps ne donnent pas de semence convenable. On ne doit la prendre que sur des épinards d’hiver, c’est-à-dire semés en août ou septembre.

Les meilleures graines de fèves sont celles qui tout en arrivant les premières à maturité, forment les plus longues cosses. Il faut rebuter les cosses courtes.

On peut en dire autant des haricots. Les cosses les plus hâtives et les mieux fournies doivent être préférées aux autres.

L’instituteur ne prendra ses graines de laitue que sur des laitues qui auront été repiquées. Dès que les aigrettes blanches se montreront, il les saisira du bout des doigts et les enlèvera avec la semence. C’est, j’en conviens, un travail de patience, mais c’est le moyen d’avoir de la graine de toute première qualité. Les jardiniers y mettent moins de précaution ; ils secouent plusieurs jours de suite les graines mûres dans leur tablier ; puis ils arrachent les pieds de laitue qu’ils exposent contre une haie ou contre un mur ; la dernière semence mûrit ainsi tant bien que mal. Celle-ci est pour le public.

La bonne graine de mâche est la première mûre. On la laisse tomber sur la terre ; on la ramasse avec un balai et on la jette dans un vase plein d’eau. La terre va au fond, la graine surnage ; on s’en empare, on la lave et on la fait sécher. On peut encore secouer les tiges de mâche sur du papier ou sur un linge. La graine de mâche de l’année lève mal ; celle de deux ou trois ans est préférable.

Les racines de navet destinées à servir de porte-graines ne se conservent pas toujours aisément. Les cultivateurs des Flandres les enterrent dans des rigoles de 50 centimètres de profondeur comme ils font pour les carottes. Le printemps venu, ils les déterrent et les transplantent.

La graine d’oignon se fait aisément. Aussitôt que les fortes gelées ne sont plus à redouter, on plante au jardin quelques beaux oignons et un tuteur à côté de chacun d’eux. En août ou septembre, les graines mûriront et s’ouvriront. L’instituteur les coupera, les liera en bottes et les mettra sécher à l’ombre.

Même culture pour les porte-graines de panais que pour les porte-graines de carottes.

La graine de poireau se fait comme celle d’oignon. À la sortie de l’hiver, on prend quelques pieds de poireaux qui ont passé les rigueurs de la saison en place ou en rigole ; on les transplante, on met un tuteur à chacun d’eux.

Pour la semence de pois, laissez une planche ou une demi-planche, à laquelle vous ne toucherez pas pour la consommation. Les cosses les plus précoces et les mieux développées seront réservées pour la semence : Vous vous trouverez bien de les écosser de suite pour le semis de l’année suivante, mais si l’on devait attendre deux ans, il vaudrait mieux ne pas écosser.

Le pourpier se ressème de lui-même ; cependant il arrive qu’il dégénère vite. Il se maintient mieux, lorsqu’on réserve de beaux pieds dont on récolte la graine sur des feuilles de papier au fur et à mesure de la maturité.

Rien n’empêche l’instituteur de faire sa graine de gros radis ou raiforts et de petits radis. Pour avoir des porte-graines de gros radis, on en sème quelques-uns dans le courant de juin qu’on arrache en octobre, pour les garder en cave dans du sable frais jusqu’à l’approche des gelées. En ce moment on les replante au jardin et on les abrite avec des feuilles sèches contre les grands froids. En juin ou en juillet, la graine mürit. Avec les petits radis, la graine se fait autrement. On sème des petits radis de bonne heure, à chaude exposition, et dès que les racines sont bien formées et prêtes à entrer dans la consommation, on en transplante un certain nombre à 40 centimètres environ l’une de l’autre. Lorsque la majeure partie des graines sont mûres, on arrache les pieds qu’on expose au soleil contre un mur.

Veut-on de bonnes graines de salsifis et de scorsonères, arrachez en mars des racines semées au printemps de l’année précédente ; choisissez-en qui soient d’une belle venue et replantez-les dans un bon terrain à une vingtaine de centimètres l’une de l’autre. Les aigrettes blanches vous indiqueront la maturité de la semence, que vous récolterez avec la certitude de l’avoir de bonne qualité.

L’instituteur ne prendra sa graine de tomates que dans des fruits très-mûrs et provenant de pieds repiqués. En broyant ces tomates dans de l’eau, la graine se séparera de la pulpe et il n’y aura plus qu’à la faire sécher.