Le jardin de l’instituteur
Revue pédagogique, premier semestre 18793 (p. 318-324).

IX.
ARBORICULTURE FRUITIÈRE.

Dans un jardin bien ordonné, il n’est pas d’usage de mêler les arbres fruitiers aux légumes, attendu qu’ils se font tort. Mais au village on n’y regarde pas de si près et nous mettons presque toujours ensemble les légumes, les arbres et les fleurs.

Il n’est pas nécessaire que l’instituteur ait beaucoup d’arbres fruitiers. S’il y prenait goût plus que de raison et s’il s’attachait à les conduire selon les règles de l’art, afin d’étonner les curieux, la meilleure partie de son temps pourrait y passer et l’école en souffrir. Nous en avons vu des exemples. Un petit nombre de pieds lui suffiront. Ce qu’on lui demande, après tout, ce n’est pas de former des arboriculteurs accomplis, c’est uniquement d’enseigner en quelques leçons, aux enfants de nos campagnes, les notions élémentaires les plus essentielles à connaître.

Qu’il apprenne à ces enfants comment circule la sève, comment il faut planter, tailler, bouturer, marcotter et greffer ; qu’il leur apprenne avec cela à choisie les meilleures variétés dans chaque espèce, à bien conserver les fruits tardifs, nous serons à peu près satisfaits.

Il y a de ces choses-là qu’on peut parfaitement démontrer en parlant ou en écrivant ; mais aussi il en est autres tout à fait simples pourtant, que la pratique seule peut enseigner. Le mieux donc, en pareil cas, est de charger un conférencier de faire quelques leçons au jardin en présence des instituteurs qui, de cette façon, en apprendront plus en une heure qu’un livre en un mois.

Le conférencier praticien montrera l’habillage d’un arbre, la manière de le conduire en cordon, en palmette, en éventail, en pyramide, et aussi les divers moyens de multiplier cet arbre.

Pour ce qui est du rôle de l’écrivain, il se bornera à de rapides et faciles instructions dans le genre de celles qui vont suivre :

Variétés à cultiver. — Il n’en coûte pas plus de cultiver et de répandre les bonnes variétés de poires que les médiocres et les mauvaises. Les instituteurs sauront donc que les plus recherchées sont les plus précoces et les plus tardives. Parmi les précoces, nous citerons le beurré Giffard, le doyenné de juillet, le comte Lelieur, l’épargne, le William et le beurré d’Amanlis. Parmi les tardives, nous citerons le beurré Millet, la nouvelle Fulvie, la Passe-Crassane, la Joséphine de Malines, le doyenné d’hiver, Olivier de Serres et la bergamote Espéren. Ce n’est pas une raison, bien entendu, pour négliger les excellentes poires qu’on nomme Louise bonne d’Avranches, duchesse, doyenné roux, beurré gris, doyenné du Comice, beurré Clairgeau, beurré Diel, etc.

Les instituteurs sauront que les meilleures pommes sont le calville blanc, la reinette de Bourgogne, la reinette de Caux, le postophe d’hiver, la pomme de Benaus, la bonne de mai, la reinette à la longue queue, la court-pendu, le petit api, le fenouillet anisé et la reinette grise d’hiver.

Les meilleurs abricots sont le gros saint-Jean, l’abricot commun, l’abricot royal, l’abricot Luiset, et l’abricot Jacques.

Les meilleures pêches de plein-vent sont : la pêche d’Oullins, la pêche rouge vineuse de la Côte-d’Or, la pêche Willermoz, la pêche mélacoton Crawford et la pêche Marcadet, très-tardive.

Les meilleures prunes sont la reine-claude dorée, la reine-claude verte, la prune d’Agen, la favorite de Rivers, le perdrigon rouge, la quetsche d’Italie, la tardive musquée, la petite mirabelle, la prune de Montfort et la Sainte-Catherine pour pruneaux.

Les meilleures cerises sont la guigne très-précoce pour bouquets, le bigarreau gros cœuret, la cerise anglaise hâtive, la cerise de Palluau, la reine-Hortense, la Montmorency courte-queue et la griotte du nord très-tardive.

Plantation des arbres. — Les arbres qu’on achète au pépiniériste doivent avoir été déplantés avec soin et n’avoir par conséquent pas de racines trop mutilées. Les plus jeunes sont à préférer ; un simple scion d’un an vaut mieux qu’un sujet de trois ou quatre ans qui d’ordinaire est un rebut de pépinière. Quoi qu’il en soit, le rebut aura plus d’acheteurs que le scion, parce qu’il v a plus d’ignorants que de connaisseurs.

Vous saurez qu’un arbre bien portant, de même qu’un individu en bonne santé, aura la peau claire. Dans les terres légères et suffisamment= meubles, vous planterez en novembre ; dans les terres fraîches plus ou moins compactes, vous attendrez le mois de février ou au plus tard celui de mars.

Trois mois avant de planter, vous ouvrirez les trous qui devront avoir un mètre cube. Vous jetterez la bonne terre du dessus sur un des côtés et la terre du sous-sol à part. Au moment de planter, vous ramènerez la bonne terre au fond du trou de façon à former un monticule sur lequel vous appuierez les racines du jeune arbre que vous recouvrirez de bonne terre. Puis vous achèverez de remplir les trous avec la terre du sous-sol et vous fixerez un tuteur près de l’arbre du côté des vents dominants.

Circulation de la sève. — C’est la sève qui fait l’arbre. Conduire un arbre, c’est gouverner sa sève. Comment la gouvernerez-vous si vous ne savez pas de quelle manière elle circule ?

L’instituteur saura donc que la sève est de l’engrais dissous dans l’eau de la terre. Et le sachant, voici l’explication qu’il pourra donner à ses élèves : — une tige d’arbre, ou une branche, ou un rameau, dira-t-il, se compose de plusieurs parties. C’est d’abord l’écorce, que nous voyons et connaissons parfaitement. Sous cette écorce, se trouve une seconde peau qu’on nomme liber, parce que vue à la loupe elle est formée de feuillets comme un livre. Sous le liber est le bois blanc ou aubier. Sous le bois blanc est le bois plus ou moins dur, c’est-à-dire plus où moins vieux.

Eh bien, les racines de l’arbre prennent la sève dans le sol par leurs extrémités et l’amènent dans le bois blanc, dont les conduits ou vaisseaux sont ouverts, tandis que dans le bois dur ils sont fermés. La sève passe donc et monte ; et de là le nom de sève montante qu’on lui à donné. À mesure qu’elle s’élève dans la tige, qu’elle arrive près d’un bourgeon, près d’une branche, près d’un rameau, elle y est attirée, elle y entre, va tout en haut et les allonge. Une fois montée aux extrémités, la sève sent l’air, lui prend quelque chose, se modifie et descend après cela jusqu’au bout des racines de l’arbre. C’est pourquoi on la nomme sève descendante. Vous comprenez que pour descendre elle ne prend pas la route qu’elle a prise pour monter.

Elle prend une seconde voie entre le bois blanc et l’écorce par les feuillets du liber. Et, chemin faisant, il se dépose de cette sève sur le bois blanc de l’année précédente. Elle s’y épaissit, s’y solidifie peu à peu et forme une couche nouvelle de bois blanc. C’est donc la sève descendante qui grossit de dedans en dehors les tiges, les branches, les rameaux, les bourgeons.

Vous voyez d’après cela, qu’il devient aussi commode de gouverner la circulation de la sève dans un arbre que de gouverner la circulation de l’eau dans les rigoles d’une prairie. Seulement, au lieu de faire nos barrages avec de la terre ou des gazons, nous les faisons en entaillant le bois blanc avec notre serpette, tantôt au-dessus d’une branche, tantôt au-dessous, selon que nous voulons jeter de la sève dans cette branche ou l’empêcher d’y arriver.

Il se voit assez souvent que de jeunes arbres poussent péniblement et que leurs tiges ne grossissent pas d’une manière sensible. Cela peut tenir à la dureté et au défaut d’élasticité de l’écorce extérieure. La sève descendante a de la peine à se frayer un passage et moins il en descend moins naturellement il s’élève de sève montante. Que faisons-nous dans ce cas-là ? Nous incisons l’écorce de la tige en deux endroits, de haut en bas, depuis la naissance d’une mère branche jusqu’aux racines ou jusqu’au collet, et la circulation de la sève se rétablit.

Il arrive d’autre part que des arbres vigoureux ne donnent pas de fruits et font perdre patience. Comment s'y prendre pour les dompter ? Nous nous disons qu’ils ont trop de vie, qu’ils se portent trop bien. Et alors nous les tourmentons un peu pour ralentir la circulation de la sève. Vers le mois d’août, nous arquons deux ou trois petites branches. L’arbre souffre, la sève se ralentit et la fructification se prépare.

Toute la théorie de la conduite des arbres, de la taille, du greffage, etc., repose sur la connaissance de la circulation de la sève.

Si les arbres qui se dépouillent de leurs feuilles par le sommet sont justement suspects, c’est que la sève est gênée dans son parcours. On en peut dire autant de ceux dont les rameaux se terminent par des bourgeons à fleurs. Si les poiriers à branches écartées, obliques ou horizontales, donnent promptement des fruits et en quantité, c’est parce que la sève y est moins fougueuse que dans les poiriers à branches verticales. Si les chancres sont communs sur les arbres dans le nord et les terrains frais, c’est parce que la sève n’a pas de débouchés suffisants ; n’ayant pas d’écoulement, elle croupit et fermente sous l’écorce. Si des arbres se couvrent de fleurs hors de saison, c’est que la longue sécheresse a détruit ou rétréci les vaisseaux. Une forte pluie arrive ensuite ; il se forme une sève abondante, mais il en passe si peu, que n’ayant plus la force de faire du bois, elle fait de la fleur.

Insectes utiles et nuisibles. — Quiconque cultive des arbres, des légumes ou des fleurs, est tenu de connaître les insectes utiles et nuisibles de sa localité. Tout instituteur devrait avoir dans son école une collection de ces insectes épinglés dans une boîte vitrée, classés et numérotés. Il lui suffirait d’en exprimer le désir à ses élèves pour que ceux-ci se missent à la recherche et lui apportassent de nombreux échantillons.

Au village, nous sommes tous intéressés à connaître les divers papillons qui font les maudites chenilles dont nous avons tant à souffrir, tous intéressés à connaître les divers charançons qui attaquent nos arbres fruitiers. Il importe que nous soyons initiés à la manière de vivre de l’eumolpe, de la pyrale de la vigne, du puceron lanigère de nos pommiers, du hanneton, etc. ; il est essentiel que nous fassions pleine connaissance avec des insectes amis qui nous rendent journellement des services, comme par exemple la coccinelle ou bête à bon Dieu, le carabe doré ou jardinière, le nécrophore ou enterreur d’animaux, le staphylin, les ichneumons, les abeilles, les vers-à-soie.

Mais alors même que nous n’aurions aucun intérêt à étudier les mœurs des insectes, la curiosité seule nous y pousserait. On ne saurait voir une magnifique cétoine dans le cœur d’une rose sans demander son nom et des renseignements sur son compte. Le nom du cerf-volant ? Et celui du rhinocéros ? Et celui de tant d’autres insectes qui se font remarquer d’une manière quelconque ? Et leur façon de vivre à tous ? On a besoin de savoir tout cela.

La cueillette des fruits et leur conservation. — Il n’y a pas d’époque précise pour la cueillette des fruits ; elle est subordonnée au climat, à l’exposition et à la température. Les premiers fruits mûrs tombent et donnent l’éveil. Un fruit qui ne grossit plus, c’est-à-dire qui a pris tout son développement, n’a plus qu’à mûrir. S’il est précoce et si le soleil est chaud, la maturation se fait rapidement. C’est le cas des fruits de l’été. Mais quand nous avons affaire à des variétés tardives qui n’arrivent à leur complet développement qu’au mois de septembre, il ne faut pas trop se hâter d’en faire la cueillette. Les dernières bonnes journées leur sont nécessaires. Quand on se hâte trop de les prendre, on retarde leur maturation ; on leur assure une très-longue durée, mais ils manquent de qualité.

Il reste donc entendu que vous ne vous presserez pas de récolter les fruits tardifs. Vous choisirez une belle journée pour en commencer la cueillette et vous attendrez que la rosée ait disparu. Vous les détacherez de l’arbre avec précaution et les déposerez un à un dans une corbeille ou un panier, en ayant soin de ne pas les meurtrir. À mesure que les corbeilles se rempliront, vous mettrez les fruits d’abord dans une pièce bien éclairée et bien aérée, où ils sueront un peu et se ressuieront.

Au bout de cinq ou six jours, les fruits cueillis, poires ou pommes, seront en état d’être placés au fruitier.

Dans nos campagnes, chez la plupart des personnes, le fruitier est tout bonnement la cave ou le grenier, à moins que ce ne soit une chambre inoccupée. En hiver, le grenier n’est point à l’abri de la gelée ; la cave est trop chaude et trop humide ; la chambre inoccupée peut être sujette à de fréquents renouvellements de l’air. Le meilleur fruitier pour un instituteur qui n’a pas de grosses provisions à conserver, c’est un petit cabinet au premier étage, un cabinet sans fenêtres, bien sec, bien sombre, où la gelée ne soit pas à craindre. On le garnit de rayons sur toutes ses faces et on y place les fruits de façon qu’ils ne se touchent point. Une fois par semaine, deux fois au plus, on entre dans le fruitier, on tire la porte sur soi et on le visite rapidement avec une lanterne sourde, afin d’enlever les fruits gâtés. En somme, pas de changement d’air, pas de lumière du jour, pas de température élevée, pas de température basse. Dans ces conditions, vos fruits se conserveront bien.

Les cultivateurs de raisins de treille qui veulent conserver du chasselas où du Frankenthal ont souvent recours à ces cabinets sombres. Les planchettes du rayonnage ont alors des encoches qui retiennent par le goulot de longues fioles dans lesquelles on met de l’eau ordinaire et une cuillerée à café de charbon de bois en poudre. Le raisin à conserver est cueilli avec un bout de sarment que l’on dépouille de ses feuilles, et on tient ce sarment plongé dans la fiole. C’est ainsi que l’on a des raisins frais à la sortie de l'hiver, mais ils ont perdu un peu de leur saveur sucrée. Ceci devient un défaut pour le chasselas de Thomery et de Fontainebleau ; pour d’autres, plus sucrés au moment de la récolte, ce serait une qualité.