Texte établi par Éditions Albert Lévesque (p. 207-248).

AU PAYS DE LA DÉCOUVERTE



I

AVEC LES « ALOUETTES »




À QUOI s’alimentent la chronique et la petite histoire ? Aux journaux, sans doute ; aussi aux almanachs. Or, j’ai parcouru ceux-ci avec curiosité : nulle trace de notre beau voyage. On dirait que rien ne s’est passé en France et que Jacques Cartier n’a été célébré qu’à partir de l’arrivée du Champlain dans les eaux canadiennes.

Sur l’invitation du Gouvernement de la République française, de la Ville de Paris, du Comité France-Amérique et de la Compagnie générale transatlantique, une délégation alla en France, en juin 1934, participer au quatrième centenaire de la découverte du Canada. Elle fut quelques jours à Paris, puis se rendit à Saint-Malo, le pays de Jacques Cartier, à Dinard, à Rouen et au Havre. Partout, elle reçut un accueil fraternel.

Avec elle s’étaient embarqués sur le Champlain huit chanteurs canadiens dont on disait du bien, et qui avaient accepté avec joie de porter au cœur de la France un écho de nos vieilles chansons. Ils avaient revêtu le costume de nos bûcherons, qui devint vite un costume national dont il fallut expliquer l’origine : longues bottes souples, culotte beige, chemise à carreaux rouges et noirs, mouchoir au cou. Une évocation avant la lettre du film de Julien Duvivier, Maria Chapdelaine.

L’impression qu’ils ont créée, ainsi transformés en draveurs ? — Excellente. Ils ont conquis leurs auditoires. « Ils sont très sympathiques, écrivait un journaliste, ces grands gaillards à la voix admirable, à la mise pittoresque, bottés, sanglés, bien balancés. » Si les dettes sont autre chose que des impondérables dans l’atmosphère mouvante des amitiés françaises, nous devons à ces grands gaillards, pour emprunter la langue de leurs chansons, « une fière chandelle ».




La traversée fut charmante d’entrain et de cordialité. Elle eût été parfaite sans la sourde préoccupation du rôle que nous allions remplir dès notre arrivée en France. Il faudrait prendre la parole après d’autres, beaucoup d’autres, et de très impressionnants ; trouver quelque chose de nouveau sur un sujet vite retourné sous les coups de l’éloquence ; faire figure et porter les responsabilités de cette figure ; s’engoncer dans un personnage officiel. A-t-on suffisamment lu, compulsé, compilé, médité ? La vie de Jacques Cartier, qu’est-ce au juste ? Cartier, passe encore ; mais les circonstances de temps, de milieu, où sa vie s’est accomplie ! L’Europe de son époque, l’Amérique d’avant lui, les connaissons-nous assez pour éviter les embûches dont elles sont criblées. Si nous avions su qu’on liquiderait Cartier en trois paragraphes pour s’occuper de tout autre chose le reste des discours !

Nos chanteurs pensent au concert qu’ils vont donner aux passagers. Les pauvres, ils travaillent déjà dans la salle de jeu des enfants que l’on a réservée pour leurs répétitions. C’est là que de graves personnages les écoutent et les critiquent, parmi des dessins modernes et des teddy bears à l’usage des petits. Ils chantent pour nous qui mettons en eux nos espoirs. En prêtant l’oreille, nos propres soucis se réveillent, que rapproche chaque tour d’hélice. Et c’est d’une âme unanimement inquiète que nous choisissons avec eux les chants qui nous paraissent exprimer le mieux, sans trop d’exotisme, nos traditions naïves : Gai lon la, gai le rosier ; Notre Paris et Saint-Denis ; Le laboureur ; Au bois du rossignol ; Vive la Canadienne ; À Saint-Malo, beau port de mer ; Là-bas sur ces montagnes, Du rossignol qui chante ; Les Raftmen et un Ô Canada étrange, transformé par Gautier, où passe le souffle de la Marseillaise, et qui nous enchante comme si la musique harmonisait tout à coup les émotions qui nous tourmentent.

Les concerts à bord ! Ils sont, tout le monde le sait, obligato. La recette va aux familles des marins péris en mer. Il y flotte toujours un souvenir triste qui monte de l’océan tout proche et se dilue en pitié admirative. L’exécution est pleine d’imprévu, comme les copies d’un examen auquel le hasard aurait convoqué les candidats, depuis la grande vedette que tout le monde attend pour la juger de près, jusqu’à l’amateur qui brûle de produire un talent que personne ne soupçonne. Si les candidats manquent, la marine, qui n’est jamais embarrassée, trouve dans ses équipages un joyeux conteur ou un virtuose. Mais quand une troupe voyage et qu’on sait qu’elle voyage en chantant et pour chanter, le commissaire du bord à vite fait de l’embrigader.

Le soir du concert, notre attention était à vif, redoutant la moindre anicroche, tendue vers une satisfaction d’ordre national. Ce fut un succès. La partie était gagnée, car nous savions que les foules françaises, prises par ces chants de France, ajouteraient, par leur intelligence des tonalités et des nuances, à l’accueil déjà enthousiaste que la chorale recevait des Américains. Car l’auditoire, sur le Champlain, était composé surtout de yankees, connaissant les lumberjacks, si peu habitués qu’ils fussent à les entendre parler français. Les voix étaient fondues, la tenue discrète. La chanson des bois, dont on ne saisissait pas toujours le sens, fut accueillie avec chaleur à cause de ses joies, de ses tendresses, de sa blague innocente.




À Paris, c’est d’abord Notre-Dame. Le cardinal-archevêque officie à l’autel qui s’élève au milieu du transept. De chaque côté, des notabilités. Au chœur la maîtrise et le séminaire des colonies. La nef, remplie d’invités. Soudain, une voix s’élève, toute seule dans l’immense vaisseau, sans accompagnement, lointaine et sûre, celle de René Filiatrault qui chante l’Ave Maria, de Théodore Dubois. Puis le quatuor, pressé dans le chœur, épaule à épaule, le regard un peu intimidé, les voix unies comme en un faisceau, donne le Panis Angelicus d’un auteur inconnu. Les mots portés par les sons montent vers la voûte et retombent sur nous pour nous pénétrer jusqu’au cœur qui se fait reconnaissant. Ainsi, l’entrée à Paris des Alouettes fut une prière.

Au Jardin des Tuileries, le triomphe populaire. Un « orchestre symphonique — je cite le programme — composé d’artistes musiciens victimes de la musique mécanique » intercale Lalo, Massenet, Bizet, Delibes, Saint-Saëns, dans nos modestes chansons canadiennes : Gai lon la, D’où viens-tu bergère ? Vive la Canadienne, Ô Canada. C’est la nuit, au Théâtre de verdure, en plein air sous les quinquets. La foule écoute, étonnée, ces mots revenus vivants du fond des siècles et qui font écho à sa langue, un écho affaibli, dévié parfois, mais si troublant. Elle crie « Bravo ! Encore » ! comme sait faire la foule française, si largement hospitalière à l’émotion. Nos bûcherons-chanteurs, un peu pâles sous la lumière artificielle, sourient et recommencent. Quelle franchise dans notre orgueil !

À Bagatelle, c’est autre chose. Le théâtre est dressé en plein soleil. Dans le parc, une foule élégante, divisée, volontiers critique, aux antipodes de nos raftmen. Ceux-ci ont à vaincre ces civilisés par une rude simplicité. Je crois qu’ils y ont réussi. Autour de moi, on est ravi. J’entends bien quelques ronchonnements, mais ils viennent de Canadiens désobligés par le costume de nos chanteurs, et qui voudraient les voir en jaquette sombre et gilet perle, gantés de beurre. Paris, dès lors, y eût moins pris garde, et je n’aurais pas recueilli pour les Alouettes ce propos d’une jolie femme : « C’est tout à fait harmonieux, un peu triste peut-être ; mais quels beaux gars. »

Paris, c’est encore l’Hôtel de Ville, où le cœur s’exprime librement, dans une conversation plus intime, sans témoins, que le maire et quelques officiels ; où les chansons éclatent pour rien, pour éclater, dans la vaste salle que seul le souvenir occupe. Un geste infime, une lueur dans la capitale de lumière. J’évoque Montréal, la seconde ville française du monde. Je lui cherche un titre qui traduise ce privilège. Si j’osais l’appeler : la fille aînée de Paris. Mais le nombre n’est pas un droit d’aînesse. Et puis la réflexion saugrenue d’un compatriote me traverse l’esprit : « Plus je vois Sorel, plus je pense à New-York ; c’est si peu pareil ! »

Des chansons, je sens monter notre histoire le long des murs, comme une fresque. Après la conquête par l’Angleterre, le paysan reste fidèle au sol qu’il a défriché. Il vient de la Normandie, du Poitou, du Perche, de la Saintonge, de la France de l’ouest, que l’on reconnaît encore à plus d’un trait vivant, en sorte que le Canada, loin de la France, exprime, comme Paris, « tous les terroirs français ». Exemple concluant, ainsi qu’une victoire, de la vitalité que nous portons en nous. Exemple aussi de ténacité triomphante. Notre destinée s’accomplit dangereusement. L’îlot français d’Amérique subit de tous côtés l’assaut de marées montantes : l’immigration que déverse sur lui l’Europe menace son influence ; l’action politique de ceux qui, pour un temps, sont les vainqueurs, sape sa religion et sa langue, les mouvements d’expansion économique risquent d’emporter ses vertus françaises. Ces vertus, il s’efforce de les garder par ses traditions. Or, nul n’ignore que les traditions ne durent que si elles sont cultivées. Et voici qu’en chantant elles pénètrent dans Paris, foyer des peuples qui, comme le nôtre, partagent l’inquiétude du génie français.

Paris, nous y sommes si souvent revenus comme vers un point de départ. « Paris a mon cœur dès mon enfance », disait Montaigne. Ainsi des Canadiens français. Ici, Jacques Cartier retrouvait le Roi de France, et Champlain, notre plus grande figure, ramenait ses espoirs. La délégation qui est là est composée d’avocats de la province de Québec : le Code Napoléon nous régit, règle nos familles et nos biens et, au fond de ce Code, il y a la Coutume de Paris. Je me rappelle la part prise par Paris à la formation de plusieurs des nôtres qui sont revenus chez nous s’associer à l’élite. On a risqué ce mot : Être aimé par Paris, c’est embrasser la France sur la bouche. Il me semble qu’être bercé par Paris, c’est garder toute sa vie la douce chanson de France. Chez nous, comme en France, se poursuit la tâche du paysan têtu ; on retrouve l’effort attentif de l’artisan et, en regardant bien, la prudence bourgeoise qui nous sert d’assise. Nous tentons de traverser notre époque de matérialisme en respectant, pour nous orienter dans le progrès, les principes qui nous ont été confiés. Puissions-nous, loin de France, mais engagés dans la même voie glorieuse, appliquer la devise de Paris : Fluctuat, nec mergitur, et rester, dans le monde contemporain, un témoignage de la pérennité française.




Au milieu de Paris, la province déjà nous appelait. Nous savions qu’elle nous réservait une fusion plus complète. Paris est si grand, si occupé, si remuant, que sa mémoire n’a qu’un jour et son cœur qu’un battement. Nous avions hâte d’entendre résonner en Bretagne : À Saint-Malo beau port de mer, chanté par des voix à nous, rapporté comme un refrain d’histoire.

Saint-Malo ! J’y suis venu autrefois, pèlerin ignoré. Je me suis agenouillé dans la cathédrale, près du nom de Jacques Cartier, et j’ai promené longuement dans la ville la vision de la découverte. Minutes intenses, qui m’ont laissé plus riche et mieux armé. Aujourd’hui, je sens dans tous les cœurs le souvenir de mon pays.

Baiser simple et splendide que nous donna la Bretagne, si plein d’élan et de sympathie retrouvée. Sur la Hollande, au monument de Jacques Cartier, de toutes petites voix d’enfants nous avaient précédés en chantant le beau port de mer, heureuses de nous montrer qu’elles non plus ne l’avaient pas oublié ; nos chanteurs ont répondu par la Marseillaise qui tombait sur les flots et prenait avec eux le chemin du Canada. À Paramé, à Limœlou, aux Portes-Cartier, à Rothéneuf, partout, des enfants, des cloches, des paroles et des chansons, le brouhaha d’un retour où se reconnaissait l’indéfinissable apaisement de la fidélité.

Aux Portes-Cartier, la gentilhommière où vécut le découvreur, abri de ses amours et de son rêve, est le lieu le plus émouvant de notre pèlerinage. On y touche la présence de Cartier comme si son souvenir, disséminé dans le pays, prenait corps à ce rendez-vous. Étrange poursuite d’une image que nous ne reconstituerons jamais, dont nous ne savons pas au juste comment elle s’est évanouie et qui se reforme en nous par la fallacieuse immortalité d’un bronze. Une plaque rappelle aux passants ce qui fut un grand nom ; mais des noms obscurs, dans un registre, expriment ce qu’il en reste dans la mémoire des hommes. Il y a tant de héros en France qu’ils sont confondus dans une gloire commune : celui-ci détache, par son geste, un mouvement de peuple sur un horizon lointain. Il est, tout seul, notre origine. Ses yeux ont contemplé le Saint-Laurent feuillu que nous avons dépouillé pour refaire la terre de France. Nous sommes l’avenir que sans doute il a porté dans son cœur, la fleur de lys détachée de sa croix. Nous aimons qu’il soit grand ; il nous plaît qu’il ait pris bonne place dans les anciennes cérémonies de Saint-Malo, qu’on l’appelle « noble homme » sur le livre des baptêmes, que le roi de France ait rendu hommage à son savoir et à son honnêteté, qu’il ait habité cette « malouinière » qui le sort du commun, et qu’il ait épousé un beau nom de la région… Petits morceaux d’histoire, infiniment précieux, dont jaillit la statue vivante de l’ancêtre.

Le groupe venu célébrer Cartier le long des hameaux de Paramé, écoute, dans cette cour intérieure, entre la maison et l’étable, des paroles affectueuses. Pendant qu’un chanoine évoque avec délicatesse Catherine des Granges, qui fut la confiance et la force de Cartier, une tourterelle applaudit d’un coup d’aile. Singulière résistance de l’amour ; dans des maisons comme celle-ci, faites aussi d’un dur granit, les mères canadiennes ont conquis et gardé un pays au souvenir français.

La délégation s’arrête à Rothéneuf, devant la Chapelle des Sablons : un minuscule oratoire que remplit l’autel, un prie-Dieu dans les champs. La pierre blanche que l’on dévoile porte simplement : Ici Cartier a prié, 1534-1934. Dans le couvent des Ursulines, à Québec, « reliquaire du Canada », une lampe perpétue la prière de France. Les Sablons, n’est-ce pas le nom que Cartier a placé près de la terre aride « que Dieu a donnée à Caïn », et qui est resté quand d’autres ont disparu ? Il nous ramène au grand fleuve de lumière où le navire du découvreur avance, dans un vol d’oiseaux, jusqu’au « Cap d’espoir ».

Les Alouettes se blottissent dans le petit sanctuaire, s’appuient au granit où miroitent des siècles, et chantent le Panis Angelicus.

Avant de quitter Saint-Malo, les Canadiens reviennent à la statue du découvreur, dressée face à la mer. Ils sont seuls, sous l’admirable symphonie des toits de la ville-corsaire. Aux fenêtres, deux ou trois femmes et, sur la place, quelques enfants qui s’arrêtent de jouer pour regarder, avec la curiosité sérieuse des gosses, ce qui va se passer. De leur randonnée au pays de Jacques Cartier, sur la côte d’Émeraude, les Canadiens ont rapporté le monceau de fleurs des champs qu’on leur a offertes. Ces fleurs, ils en font hommage au Malouin, sans parler, pieusement, comme des pèlerins au terme de leur voyage. Nul discours ne vaudra jamais ce geste ni cette minute, que rien n’avait prévue sinon le mouvement du cœur. Comment définir la prière humaine qui montait vers le bronze comme l’offrande muette d’un peuple ?

Le repos nous attendait à Dinard, confortablement allongée sur les bords de la Rance. Une « prolonge » de Saint-Malo, d’où la ville ancienne semble une châsse. Même habitude exquise de l’hospitalité. Nous y voyons flotter des couleurs que nous avons coutume d’unir, celles de la France et celles de l’Angleterre, les mêmes somme toute, disposées autrement. Le souvenir charmant ! On nous a vanté les plages de France, on nous a dit leur évolution : elles naissent, grandissent, rayonnent un moment, et s’éclipsent lorsque d’autres ont, à leur tour, retenu l’engouement. Dinard demeure, dans sa sobriété, sa tradition correcte. Son sourire est le secret de sa durée.

N’eût été notre mission, comme nous nous serions attardés sur les sables que le vent de la mer assouplit ! Nos artistes ont repris leurs chansons. À l’Hôtel de Ville, après les toasts et le champagne, quelle Marseillaise, hardie, martelée, d’un irrésistible mouvement ! La plus juste que j’aie entendue de ma vie. On croira que j’exagère comme quelqu’un qui vient de loin et qui, de surcroît, étant Canadien, a cette facilité dans l’éloge qui fait de nous les méridionaux du mord ? Voici quelques lignes d’un journal de Dinard, et auxquelles je ne veux rien retrancher de son allure galante :

« Le champagne coule à flots. Chacun se congratule ! Et le Chœur des Alouettes nous réjouit alors de quatre ou cinq chansons que tout le monde se souvient d’avoir entendues, enfant, sur les genoux des mères ou des nourrices. Chacun alors fredonne les refrains et l’on entend des lèvres pâlies de vieux Dinardais comme des lèvres plus roses de jeunes femmes, délicieux parterre fleuri dans cette pelouse d’habits noirs, le dernier vers répété de la Chanson de la Belle :

Et ses jolis yeux doux
Si doux.

« À toutes ces émotions charmantes succède, brusquement, le chœur sévère et enthousiaste à la fois de la Marseillaise comme peu souvent nous l’entendîmes en France, d’un accent si mâle, si entrainant et qui dans ces gorges viriles nous semble et vieux et nouveau. »

Le soir, dans un parc, le spectacle de Paris se renouvelle, le spectacle des Tuileries ; mais le peuple est plus proche encore de nous que dans la grande ville, oublieuse et coquette, plus proche jusqu’à la fraternité des larmes.




Rouen, c’est une forteresse à prendre, près de Paris pour qui il éprouve des sentiments — le fait est commun en France — assez semblables à ceux que nourrissent réciproquement Québec et Montréal,


… dont le total
Ne fait pas un remords mais une gêne obscure.

L’accueil est sobre et bourgeois, peut-être un peu distant, mettons d’une cordialité condescendante, où l’on sent la réserve de la puissance. Il y a tant de façons de recevoir sa famille !

Car nous sommes bien de la famille. Rouen est à l’origine de notre spiritualité, de nos lois, de notre enseignement, de notre commerce. Rouen, c’est donc notre premier archevêché, notre premier parlement, presque notre premier collège, sûrement notre première mise en œuvre. Rouen garde avec piété le souvenir de Cavelier de la Salle qui donna à la France l’empire dont Talon et Frontenac avaient rêvé. Dirais-je aussi combien la langue nous apparente, et l’accent ? Et les figures, et la démarche ? On me cite le mot d’un Normand : « Pour dire qu’y a des pommes, y a pas d’pommes ; mais pour dire qu’y a pas de pommes, y a des pommes ». Rapprochez de cela la phrase que mon collègue, Léon Lorrain, a cueillie chez nous, et sur laquelle il suffit de mettre l’intonation : « Ma femme n’est pas mal mal, mais elle est pas mal mal ». Pas plus que le paysan normand le nôtre ne dit oui ou non, il dit : oué, avec le même mouvement de tête, le même clignement des yeux.

Pendant le déjeuner, qui nous réunit autour du maire, des propos s’échangent. Cette table, dans une vieille hostellerie de Rouen, me rappelle le premier dîner d’une association que nous avions fondée à Montréal, il y a, hélas ! plusieurs années, sous ce nom : « Le tour de France d’un estomac canadien ». Nous avions commencé par la Normandie. On soupçonne le menu, depuis la sole normande jusqu’au pont-l’évêque, en passant par les tripes à la mode de Caen. Un calvados, apporté de France par un camarade, donna la profondeur voulue au « trou normand ». Nous avions déniché au fond d’un couvent un cidre agréable, pas trop sucré ni trop aigre. La fête, commencée dans la joie, s’acheva dans une émotion inattendue, surgie du passé. Une boîte mécanique, faute de mieux, jouait : J’irai revoir ma Normandie ; et, à ce moment même, le président eut l’idée de faire l’appel des origines : « Toi, d’où viens-tu ? Et toi ? » J’entends des noms traverser la fumée des cigarettes : « Rouen, Caen, Honfleur ». Quelqu’un dit simplement : « Mon aïeul accompagnait Champlain en 1633 ». Les voix se turent, pendant que la musique modulait un dernier vers :

C’est le pays qui m’a donné le jour.

En regardant les figures qui m’entourent, je me souviens aussi de l’étonnement d’Eugène Brieux à retrouver dans un cercle bourgeois de Montréal des avocats et des notaires, des médecins et des négociants ressemblant comme des frères à leurs collègues de Rouen.

Un concert a lieu dans la salle de réception de l’Hôtel de Ville, auquel prennent part Mademoiselle Vilquain de l’Opéra de Rouen, et nos gars normands. Auditoire nombreux, et tout de suite saisi : mais, si nos chanteurs ont gagné le cœur des Rouennais, René Filiatrault les a touchés profondément, « les a eus », comme on dit en France, en chantant avec une mélancolie prenante la chanson de Bérat, en faisant résonner le vieil écho : J’irai revoir ma Normandie. Sa voix, presque blanche à force d’être émue, déchaîne l’enthousiasme. La glace est rompue.




Le Havre, m’a-t-on dit, est mal partagé : les voyageurs n’y font que passer, et notre délégation elle-même n’y comptera que quelques heures à l’ombre du départ. Est-ce bien juste ? Le Havre, c’est sans doute la dernière attache qu’on va rompre, le dernier nœud qui se détache sans qu’on puisse en arrêter le glissement ; mais c’est le matin d’un rêve que l’on va reconstituer sur les flots. Et comment n’aimerions-nous pas aussi le Havre d’être la France avant Paris, la présence des côtes de France sous le regard apaisé, le chemin où il n’y a plus qu’à s’engager pour que l’attente devienne réalité dans chaque mouvement et demeure quand même pleine de promesse ?

Je ne le revois pas sans revivre mon arrivée, il y a plus de vingt-cinq ans, jeune étudiant en quête de formation. Mais je n’ai plus retrouvé le soleil de ce jour-là sur les maisons hautes, sur les cheminées courtes et jumelées. Un gabelou passa dans le hublot, le pas traînard, les deux mains dans son ceinturon d’où pendait un coupe-choux qui me parut énorme ; je le jugeai aimable et conçus pour lui du respect. Il n’était pas sept heures du matin quand je me mêlai à la vie du Havre, saisi physiquement par un spectacle qui m’a laissé depuis l’enivrante curiosité d’une ville au réveil. Au-dessus des croissants dorés que je commandai dans une crèmerie, mes yeux restaient rivés aux mouvements et aux couleurs de la rue qui chantait : « À l’anguille de Seine à l’anguille ! » — « J’ai de la carpe encore vivante ! » Une noce passa, où je sus plus tard qu’il y a toujours un militaire ; effectivement, il y en avait un, mais j’ignorais qu’il devait y être. Puis, dans le silence que les femmes animaient du signe de la croix, un corbillard lamé d’argent. J’ouvrais mon cœur à la France. Le Havre, c’est une ineffable rencontre.

On y revient d’ailleurs, et l’on tâche, par un obscur sentiment d’équité, de le connaître mieux. Dans les heures tragiques ou dans les circonstances solennelles, il a le même accueil. Un monument y rappelle la reconnaissance du peuple belge. Au cimetière, le buste de Crémazie reçoit notre hommage. On ne sait plus où dort le poète, si dormir c’est épouser le sommeil de la terre. Il n’y a plus que son image qui vive, les yeux tournés vers l’océan, des yeux de bronze, fermes et vides. Il reste grand par l’élan généreux de ses vers tournés, eux, du côté de la France. Il a chanté l’épopée brisée. Pourvu que sa chanson ne s’efface pas de l’âme populaire :

Dis-moi, mon fils, ne reviennent-ils pas ?




Dans la salle de spectacle de l’Hôtel Frascati, le chœur des Alouettes fraternise avec la Lyre havraise : Berlioz et la chanson des bois. Le lendemain, un vin d’honneur nous réunit dans le cabinet du député-maire, Léon Meyer, qui remet aux Alouettes la médaille de la ville du Havre. Les artistes disent adieu à la France dans une chanson qui, comme de raison, finit le beau voyage : La rose blanche. Je me rappelle le mot de Flers et Caillavet : « Un bouquet, c’est un cadeau, une fleur c’est un souvenir ».

C’était, selon les journaux, la première fois que l’on chantait dans le cabinet du maire : un vieux Noël, D’où viens-tu bergère, où transparaît le Gloria in Excelsis. Et les journaux dirent encore : « Léon Meyer fut le premier à applaudir la glorieuse phalange ».




Du retour, je ne sais rien. Je suis resté en France, les Alouettes l’ont quittée. J’ai appris que les artistes avaient, sur le Paris, chanté avec le même entrain que précipitaient la joie de revoir les leurs et la certitude de leurs succès. De ceux-ci, j’ai été le témoin. Les Alouettes ont pris tous les cœurs. On pensera peut-être que le voyage fut leur récompense ; n’oublions pas du moins qu’ils ont eu le cran de combattre, parfois jusqu’à l’épuisement, pour la gloire et pour des prunes, quelques-uns — dois-je ajouter cela — sans un sou vaillant dans leurs poches. Le voyage une récompense ? Oui quand il suffit de plastronner dans un fauteuil ; non, s’il faut tenir. Je me redis un mot de Louis Barthou à Arthur Meyer, au lendemain de la Conférence de Gênes : « C’est en revenir grandi que de n’en pas revenir diminué. »

Et quand vous êtes arrivés au Canada, leur ai-je demandé plus tard ? — C’était la nuit. Nous avons pris un taxi pour rentrer chez nous. Un mois après, la mission Jacques Cartier s’étonnait, en touchant Montréal, qu’on eût veillé si tard pour lui dire non pas merci, mais bonjour.


II

« LES MÉDAILLONS »



LE LONG DU SAINT-LAURENT



E N France, tout est à hauteur d’homme ; au Canada, tout est immense. La France y tiendrait dix-huit fois ; on la noierait presque dans un de ses lacs.

Le vestibule — le golfe Saint-Laurent — est une mer intérieure encerclée de sommets. L’océan, si bon marin qu’on soit, c’était tout de même une longue inquiétude : on goûte ici le repos de la terre qui paraît et disparaît, rigide et bleue comme la falaise d’Angleterre aperçue de Dieppe. On la voit assez pour la peupler, en imagination. Elle nous ramène à l’homme.

Aujourd’hui, c’est Jacques Cartier.

Tout d’abord, nous ne l’accompagnons pas dans sa découverte ; nous entrons par où il est sorti. Dans un « hâble » de la côte océanique de Terre-Neuve, au nord-est de Saint-Pierre-et-Miquelon, il prit « eauts et boys », pour retourner en France. C’est là qu’il fit voir à Roberval « les faux diamants du Canada ».

Depuis l’Île Saint-Jean, devenue l’Île du Prince-Édouard, nous participons à la grande aventure, dans le sillage du découvreur ; et jusqu’à Québec, jusqu’à Montréal, nous ne l’abandonnerons plus.

Jacques Cartier a contourné l’extrémité nord de l’Île Saint-Jean. Il en dit beaucoup de bien n’ayant guère contemplé, avant d’y atteindre, que les caps dénudés de la « terre que Dieu réserva à Caïn », ou des rochers peuplés d’oiseaux.

« Toutes ycelle terre, écrit-il, est basse et unye, la plus belle qu’i soict possible de voir, et plaine de beaulx arbres et prairies ». Magie des vastes horizons ! Cartier a déjà le complexe américain : le fleuve est le plus grand que l’on ait vu ; les oiseaux sont si nombreux qu’un navire en chargerait sans qu’il y parût ; la terre surtout est toujours « la plus belle qui soit » — expression qui marque une admiration naïve ou voulue, et dont l’orthographe seule varie au cours du « Brief récit et narration ».

L’Indien, dans sa langue imagée, appelait l’Île Saint-Jean « le berceau sur les flots ». Un rebord de grès rouge ; une généreuse végétation. Nous n’y pénétrons pas. Quelques heures seulement dans une petite capitale au nom de femme : Charlottetown. Le temps de jeter un coup d’œil sur la table autour de laquelle fut discutée, en 1864, l’idée de la Confédération des provinces canadiennes.

L’éloquence officielle nous dira sans doute les richesses de l’Île : agriculture, pêcheries, renardières ; et ne manquera pas d’ajouter que treize mille Acadiens, treize mille Français, y habitent. Consentira-t-elle à reconnaître que, parmi la régression générale, ce nombre augmente et qu’il est comme agrippé au nord, là même où toucha Jacques Cartier ? Peut-être. L’invitation transmise au Comité national de France ne contient-elle pas ces mots : « Vos compatriotes seraient ravis de vous voir ! »

Le terre se dérobe de nouveau ; nous naviguons dans une mer truquée. On comprend, devant la porte large ouverte de la Baie des Chaleurs, que Cartier s’y soit engagé pour chercher le fameux « passaige » vers les Indes. Il a jeté un nom sur une pointe de l’Île Miscou : le cap Espérance. Il a fallu des années à cette espérance pour se réaliser, mais elle s’est réalisée. Des hommes parlant la langue de Cartier ont atteint le Pacifique.

Longera-t-on l’Île Bonaventure pour, d’un coup de sirène, agiter des milliers d’oiseaux — spectacle qui faisait la joie du découvreur ? Verrons-nous les falaises gothiques de Percé, son décor wagnérien ? — À coup sûr, nous toucherons Gaspé.

Retour de la destinée ; pour nous, le pèlerinage Cartier, c’est Saint-Malo, Paramé, Limoëlou ; pour un Français, c’est Gaspé. Là, en juillet 1534, le malouin éleva une croix portant un « escripteau en boys, engravé en grosse lettre de forme où il y avait : vive le roy de france ». Le bois est tombé depuis longtemps ; le manuscrit porte encore ces majuscules.

Gaspé repose au fond d’un petit fjord agréable, au confluent de deux rivières. Méfiez-vous de vos yeux d’Européens, encore emplis du départ, des falaises du Havre et du délicieux Honfleur. Ils doivent se résoudre à voir neuf. Ici, tout est de colonisation récente. Une vie dure, entre le sol, la forêt et la mer. Et pourtant, un évêché, un collège, des écoles, des hôpitaux. Comme les choses changent peu pour ceux qui gardent l’inquiétude du génie français : Québec à ses débuts, de 1608 à 1635, n’était pas autre que ce coin de pays où persiste sa tradition.

Je souhaite qu’il y ait du soleil, un « grand » soleil, sur la journée de fleuve qui va suivre.

Quel repos, cette côte gaspésienne, striée de vallées profondes, au bout desquelles se blottissent des hameaux aux noms français : Rivière Madeleine, Sainte-Anne des Monts, Cap Chat, Matane, et, marquant la fin de la navigation océanique, la Pointe au Père. Puis, la litanie des baptêmes que fit Cartier. Les îles surtout qui redisent l’amusante impression d’un moment : l’Île aux Lièvres, l’Île aux Coudres, l’Île de Bacchus, dont on a fait, plus respectueusement, l’Île d’Orléans — et qui est pour nous un joyau, au type resté pur depuis la première empreinte.

Québec enfin, que Gabriel Hanotaux appelait hier « le reliquaire du Canada français », enchâssé dans un cirque de montagnes : la ligne haute des Laurentides qui s’achève dans le fleuve, au Cap Tourmente, dernier pan de la scène où prit place la bataille finale ; le rocher tourmenté qui soutient la ville ; le fond fuyant des Apalaches. Des toits — ils disparaissent en Amérique — et des clochers. La Cathédrale, au portail simple ; le Palais de Justice, qui protège nos lois françaises ; le Parlement, où commande notre langue, plus haut, sur une colline ; et, sur l’Université, cette lanterne que l’on dirait détachée du Louvre.

Le chemin de fer ou l’auto nous conduiront plus au cœur de l’Amérique. Nous suivrons la vallée laurentienne aux mille traits français : les clochers surmontés du coq gaulois ; la maison bretonne au toit incliné ; la terre morcelée de clôtures, comme on en voit en Normandie ; le bosquet, qui persiste ici et là, comme une ressemblance ; et la longue suite des villages ou des « rangs » où les Canadiens français se sont groupés pour durer.

Montréal marque le terme du pèlerinage. Là, Cartier aussi s’arrêta pour lire aux tribus étonnées les premières lignes de l’Évangile selon saint Jean.

J’éprouve une sorte de regret à la pensée que, avant de se livrer à l’étrange vision des audaces américaines, la Mission va connaître le Canada français. Elle vient tellement de France ! Ces maisons hautes, qui bordent le rocher de Québec, lui apparaîtront-elles, comme à nous, détachées de la côte normande ? Ces rues étroites lui rappelleront-elles Angoulême, Poitiers ou Honfleur ? Ces figures, les a-t-elle rencontrées quelque part dans un coin de province ? Ces noms, les a-t-elle entendus au cours d’un voyage dans la France de l’ouest ?

Ce que l’itinéraire d’une croisière ne peut pas faire, le temps et la perspective — nécessaires à toute vérité — le feront. Quand la Mission sera terminée, elle sentira d’abord sa joie de retrouver la France, le patelin — fût-ce Paris ! —, le foyer, avec son irremplaçable intimité ; puis elle refera son voyage, pour le décanter. Elle effacera le gratte-ciel, avec lequel seule une longue pratique familiarise, la profusion des ampoules, les divagations du métal, la promiscuité du bitume, le nivellement de la standardisation, pour retrouver, avec quelque douceur, au fond de son souvenir, la fidélité touchante de mon pays.


LA MER ET LES MORTS




J E revois le départ de la Délégation française aux fêtes de Cartier. Une gare sans larmes. Sur les malles, deux mots entremêlés : mission, croisière. Lequel l’emporte ? — La France déplace ses sommets vers le Canada.

Le soir, le Champlain s’avance droit vers l’occident. Une Parisienne, debout sur la passerelle, le mouvement du large dans ses cheveux, exulte : « La marche au soleil ! » Ce mot éveille dans mon cœur de Canadien le fol espoir que ce retour — car c’en est un — s’accomplisse sans ombre, vers les rivages où je sais que la fidélité d’un peuple attend.

Hélas ! c’était compter sans la mer, continent plastique, tour à tour plaine ou montagne, au gré des vents. Au sud de l’Irlande, le « Puits de Saint-Patrice » nous réserve son accueil bourru. Un premier faux pas, des craquements plus prononcés, nous avertissent que la vague creuse, comme disent les marins. Deux jours de chevauchée. Par bonheur, la dépression vient vers nous, et nos courses qui se croisent nous détachent plus vite vers le calme.

L’âme de la Mission se raffermit. On peut lui offrir le programme des traversées : aujourd’hui un air de valse ou une conférence, demain l’absoute en mer.

Ne racontez pas cette cérémonie, m’a-t-on dit ; elle est trop connue. Nulle croisière, surtout si elle est officielle par quelque côté, qui ne la porte au compte de ses distractions graves. Pourtant, elle nous a remués. Nous y assistons, silencieux ; et nul ne s’est douté, parmi les Français que nous accompagnions, que, par cet hommage aux morts, le voyage prenait déjà pour nous, bien avant l’arrivée à Gaspé, sa signification.

Sur un transatlantique, le grand salon est le lieu de toutes les réunions : danse, concert, cinéma, prière. On y marierait, au besoin. Un accessoire suffit à transfigurer l’auditoire, préparé par la fascination de l’affichage. La messe se dit sur un petit autel, enveloppé du tricolore. Un missionnaire se tient debout sous des ornements noirs. Des cierges minuscules clignotent sur l’étendue. Les scouts, sous leur écharpe bleue et rouge, chantent sans apprêts le dernier cantique du Titanic : Nearer my God to Thee, Plus près de toi, mon Dieu. L’orchestre joue l’Ave Maria de Schubert, puis celui de Gounod. Un prêtre canadien, après l’Évangile, lamente, dans notre indéfinissable accent, un accent total où se résout la France de l’ouest, l’oubli de l’éternité.

Qui donc se plaignait de n’arriver pas à prier sans mélange ? Malgré l’émotion, le décor m’emporte. Le marbre blanc, les colonnes tronquées, badigeonnées d’or, qui ressemblent aux poêles d’Alsace ; le plafond, où des sanguines racontent, d’un trait de schéma, la vie sauvage de nos forêts ; surtout la tapisserie de fond, que j’aime pour sa fantaisie très dix-huitième : des bêtes respectueuses comme si quelque saint François de Sales leur eût commandé d’être attendries ; des Indiens de parade vêtus de couleurs pâles ; des poissons jetés sur une peau d’ours que l’on dirait préparée pour le boudoir d’une marquise ; un fleuve qui n’est plus qu’un ruisseau, où une nef, voiles gonflées, reste immobile ; aux versants de la colline toutes les abbayes de Caen ; et, au premier plan, un Champlain botté de gris, coiffé de rose, très en dentelles. Dans un cartouche plus sévère, orné de bouches de canons camouflées de fleurs et de drapeaux, cette légende en lettres fortes : « Il a apporté au Canada la pensée française et la civilisation. »

Il n’en faut pas davantage pour me ramener à la réalité, Cette pensée, elle repart aujourd’hui de France vers le Canada, elle y revient en nous qui l’avons gardée. Double présence, que nous sommes seuls à connaître, dont le souvenir ravive la douceur et l’intime regret, et qui ne nous quittera plus pendant que nos compagnons accompliront un dernier rite qu’ils croient uniquement français.

Sur le pont arrière, devant l’insatiable affût des photographes, M. Flandin, d’une parole simple, salue les victimes de la mer : toute une flotte passe dans le temps, des corsaires aux palaces. L’officiant récite les dernières prières, d’une voix qui veut être haute et se perd, blanche, dans l’espace. À l’aide d’un rameau il recueille dans le bénitier d’argent des gouttelettes qu’il projette avec force, et qui retombent à ses pieds après avoir béni la mer en la reflétant. Le pavillon s’abaisse ; la sirène salue d’un seul cri rauque. Mlle Flandin, avec une grâce émue, abandonne au sillage une corbeille de fleurs où s’ordonnent les trois couleurs. Le blanc et le bleu s’évanouissent vite ; le rouge persiste comme une flamme.

L’océan se referme sur ses morts. Nos yeux, désormais sans attache, retournent à l’horizon et retiennent l’impression d’une immense chose froide où ceux que l’on vient d’évoquer sont ensevelis.

Je me rappelle Saint-Malo où nous avons consacré des heures splendides à la mémoire de Jacques Cartier. Au déjeuner de la Chambre de commerce, je m’étonnais que le président saluât d’abord les naufragés de la Cité malouine, quand je m’enchantais à poursuivre sur la mer des caravelles. Comme il avait raison ! Les morts sont notre destin. Ignorés pour la plupart, nous les partageons. Durant deux cents ans, et plus encore puisqu’on recule sans cesse l’obscure découverte de l’Amérique, les morts de France ont été nos morts. Disparus, réduits à on ne sait plus quoi, au point qu’on a peine à imaginer la traînée de leurs ossements, ils demeurent quand même puisqu’on les a fait revivre tout à l’heure. Ils nous apparentent. Notre histoire remonte plus loin que les fondateurs de notre pays ; elle se ramifie par ses racines dans le terreau français.

« Si nous n’avons guère appris, assurément nous n’avons rien oublié », chantent les cloches de Québec à l’oreille de Maria Chapdelaine, insensible à d’autre appel qu’à la tradition. La condition de notre survivance est dans les vertus que nous avons reçues et conservées. Nous avons grandi, nous avons plus appris que ne laisse entendre Louis Hémon, nos responsabilités se sont précisées ; mais rien ne saurait suppléer, si nous voulons tenir, les forces dont la France nous a munis.

Désormais installés dans notre cadre historique, nous portons l’héritage français parmi cent millions d’hommes de sang étranger. Nous nous en sommes inquiétés. La jeunesse à son tour reprend le fertile débat. Impatiente ou fidèle, elle se rallie heureusement à l’esprit et, par l’esprit, à la culture, aux qualités d’élan, de mesure et de durée hors desquelles nous ne serions plus qu’un peuple hybride, confondu dans le creuset d’un monde dont la nouveauté est d’être informe.

L’orchestre, il y a quelques instants, jouait du Schubert. Sans y songer, il avait choisi dans la collection du bord un chant pieux, toujours à sa place dans l’atmosphère cosmopolite d’un transatlantique. La musique ni la prière n’ont, ici-bas, de patrie. Comment aurait-il soupçonné la consolation qu’il apportait à nos cœurs troublés, en les entraînant vers l’expression la plus juste de notre vie : une « symphonie inachevée ».


LA FRANCE À GASPÉ




L ES envoyés des journaux parisiens ont déjà raconté l’arrivée à Gaspé. J’exprime les réactions du Canada français devant un spectacle qui fut, pour lui, une consécration.

La Baie de Gaspé semble un Jura aux vallées submergées de bleu. L’apaisement des machines marque l’arrêt prudent du navire. Les sirènes exultent. Des aéroplanes laissent tomber des fleurs. Du fond de la baie, détachées de la verdure par un mouvement d’ensemble, des barques de pêcheurs, aux couleurs raclées par le flot, s’avancent en plein soleil. Chacune porte, relié à des fanions, le blason d’une des provinces de France dont le Canada est issu : les lions lampassés d’azur, de Normandie, ou le lion léopardé, du Maine ; l’hermine rangée sur fond d’argent, de Bretagne ; les cinq tours, plaquées en triangle, du Poitou ; les trois lys sur fond bleu, de l’Île de France ; la levrette d’argent marchant sur une herse d’or, de Saint-Malo, dont la devise, Semper fidelis, boucle la nôtre : Je me souviens. « Ils connaissent mieux que nous nos provinces », dit-on autour de moi. Mais non : ils les étalent, ainsi que des titres de noblesse, à la rencontre de Jacques Cartier, renouvelant, sur un rythme français, une scène de la découverte. L’écho multiplie l’applaudissement rauque des moteurs. Des clameurs se mêlent : « Vive la France », « Vive le Canada » ; l’une monte du peuple, l’autre descend du navire. Des Français nous embrassent, comme s’ils voulaient étreindre en nous notre pays.

Nous attendions cette minute, épreuve de la fidélité ; notre longue méditation lui avait prêté d’avance l’anxiété d’un retour. Il nous est infiniment doux qu’elle soit réussie à la française : par un geste. Le souvenir, en mous, est une force muette : qu’elle éclate ainsi, au grand jour, nous gonfle le cœur jusqu’aux larmes. D’autres manifestations auront lieu, des fêtes aux caractères innombrables : l’accueil de Québec, une foule de trois cent mille figures à Montréal ; mais l’arrivée à Gaspé restera une inoubliable communion.

Sur la place publique, on inaugure la croix qui perpétuera le souvenir de la prise de possession du 24 juillet 1534. La croisière se dilue dans la foule. Des conversations s’engagent, les premières ! dans la langue qui garde chez nous des reflets d’aïeule :

— Vous aimez la France ? — Oui, mais j’aime aussi les Françaises !

— Vous êtes un Français… de France ? — Mais oui. — Je voudrais vous offrir une pièce ancienne que j’ai trouvée dans mon champ. — Que puis-je faire en retour ? — Écrivez-moi de France, « de temps en temps ».

Les « officiels » prennent place sur l’estrade flanquée d’oriflammes fleurdelisées, et d’où la ligne modérée des montagnes rayonne dans l’air que filtre un rideau de peupliers. L’uniforme marin et la jaquette noire touchent la pourpre cardinalice et l’amarante épiscopale. Des détachements alignent leurs armes disparates : sailors sanglés de jaune, pompons rouges que le peuple acclame, soldats canadiens vêtus de kaki. Gaspé s’étonne d’un pareil déploiement.

Une voix canadienne, celle du lieutenant-gouverneur de la province de Québec, M. Patenaude, — un nom prédestiné — apporte à la France « l’expression de la plus affectueuse bienvenue » sur cette fin des terres où revit, comme sur l’estuaire de la Gironde, « la moisson que rien ne déracine plus ».

Quand le voile tombe, des pièces pyrotechniques lancent vers le ciel des drapeaux qui se déploient avec des mouvements de poussins sortant de leur coquille, et battent quelques instants sous des parachutes. Une bourre tombe aux pieds d’un journaliste : cette manifestation, d’ailleurs captivante, nous vient du Japon !

La croix est de trente pieds comme Cartier avait voulu que fût celle qu’il planta ; mais cette fois elle est de granit, d’un granit encore rugueux, et d’une seule pièce. Elle entre dans le temps, précédée des granits bretons que je viens de toucher aux Portes-Cartier et à Sablons, où ils patinent de froid les maisons et les maîtres-autels.

La parole reprend. Le premier ministre du Canada lit un message du Roi d’Angleterre qui met d’accord les nuances de notre patriotisme. L’Empire sera de toutes les cérémonies, dans une attitude que je dirai quelque jour. L’amiral anglais trouve une formule élégante : il salue Cartier, découvreur d’un Dominion. Le délégué américain, en parlant français, provoque un crépitement. L’Église et l’État unissent leur sagesse. Enseignements connus, qui offrent l’intérêt de leur renouvellement devant quatre siècles d’histoire ; mais nous attendions surtout les mots venus tout exprès de France.

M. Flandin a parlé comme un prince de la République. Sa stature, la netteté de son accent, sa vision, son détachement, ont conquis le Canada français.

Il renoue notre tradition à Jacques Cartier par « l’instinct de la découverte et le goût des forces de la nature ». Heureuse trouvaille : pendant près de cent ans la scène où parut le Malouin est restée vide, et il est difficile de chercher ailleurs que dans l’inspiration de la découverte le lien qui nous rattache à la France, à moins que ce ne soit le Saint-Laurent même, « cette artère par où le Canada a reçu le sang de la race blanche ».

M. Flandin exalte, devant les représentants de la Grande-Bretagne et des États-Unis, « le réconfort de la conciliation humaine » résultat de notre attachement à nos origines et de notre loyauté, française aussi, à la Couronne britannique. Surtout, il reconnaît notre effort ; et il le sanctionne de son autorité. Cela vaut mieux que les attestations de fraternité où se complaît la rhétorique, oublieuse des seules réalités qui apparentent, la souffrance et la volonté : « Une terre, un climat, une histoire, qui vous sont propres, ont créé une nation canadienne, que vous servez avec passion, que vous revendiquez avec orgueil… Vous êtes devenus les associés de vos ennemis d’hier… Votre peuple s’épanouit sur deux troncs, qui puisent leur sève dans le même sol mais progressent également libres et bientôt sans doute également forts. »

Sur le carnet où, en écoutant l’écho des haut-parleurs, je griffonne des impressions, j’écris fébrilement : « Merci pour ces paroles ! » M. Flandin a compris, aux acclamations qui les ont accueillies, à quel point elles nous ont touchés. Qu’avons-nous enseigné à la France, de notre côté ? Je ne sais pas. Sa vitalité, peut-être, et sa durée. Elle nous a donné, en venant vers nous, une confirmation — je reprends le mot. Elle était là toute : religion, politique, pensée, travail. Elle nous a sentis Canadiens de résolution, Français de culture et d’expression, avec les qualités qui nous restent et les défauts que nous lui avons pris. Neuf cents personnes, qui donc aurait pu les « chambrer » pour leur servir, sur notre compte, les propos dont la France elle-même, dans le monde, est la victime ; ou ressasser les légendes dont nous abreuvent certains anglo-saxons. Nous sommes apparus dans notre simple vérité, faite d’écueils et de reprises et dont, jusqu’ici peut-être, on avait ignoré le tourment.

Je reviens, vers le soir, sur le Champlain. Spectacle familier, dont j’ai si souvent cherché le repos : les montagnes de Gaspé, pour dormir, s’incrustent peu à peu dans le crépuscule. Sur le cratère où le soleil vient de descendre, des parcelles de feu, immobiles dans un ciel d’or. Là-bas, du fuseau déjà violacé d’une colline, la nuit se déroule.

La lune court sur une mer joyeuse et réveille pour la première fois la blancheur de la croix. Tout près, le monument aux Morts : un soldat, casque au dos, les deux mains sur son arme, regarde l’Europe. Sur le socle, qui défend des noms contre l’oubli, je relève celui du lieutenant Roddy Lemieux. Pourquoi la parole de jeunesse et de souvenir qu’il prononça, avant de mourir sur le champ de bataille, me revient-elle avec insistance, comme pour traduire le sens de cette journée : « Dites à ma mère que j’ai fait mon devoir ».


« MESSIEURS, — LE ROI ! »




D ES banquets innombrables ont marqué les étapes de la Mission française. À la fin de chacun d’eux, avant le premier cigare, cinq cents Français, debout, la coupe à la hauteur de l’épaule, ont bu imperturbablement au Roi d’Angleterre : « Messieurs, — le Roi ! » Le mot courait le long des tables comme une frange protocolaire : le Roi, the King ; the King, le Roi ; — God bless him. C’était délicieux de grâce et de bonne humeur.

Le temps, plus encore que la mer à laquelle songeait le poète grec, « purifie les maux de l’homme ». Même si nous n’y croyons qu’à moitié, nous subissons sa trêve. Les Canadiens français, ballottés entre leurs origines et leur destinée, se rendent mal aux exigences de l’oubli. Aussi attendaient-ils avec curiosité la rencontre pacifiée de la France et de l’Angleterre aux rives du Saint-Laurent, sous l’auréole de Cartier.

Un Fontenoy de fleurs. Anglais et Français s’éprenaient d’une gloire commune sans se demander trop comment elle était devenue commune. L’événement s’y prêtait : quel ombrage prendrait-on d’une découverte, victoire morale, geste de civilisation que l’on se partage sans qu’il en coûte à celui qui l’a posé. Mais même d’une défaite, nous le verrons, l’esprit enrichi ou calmé par les siècles eût triomphé en souriant.

Le spectacle était pour nous plus profond. Il passe dans notre esprit tant de choses auxquelles nous rêvons sans toujours y croire : la valeur de notre survivance ; notre fidélité française acceptée comme une richesse pour notre pays et une sauvegarde pour l’Angleterre ; l’espoir que notre attitude, où se poursuit l’expérience encore douloureuse de l’entente cordiale, serve de lien entre la France et la Grande-Bretagne. Les paroles que nous adressait le recteur d’Oxford, l’honorable H.-A.-L. Fisher, qui assumait avec l’amiral sir Roger Keyes la périlleuse mission de représenter l’Angleterre dans un Dominion au tiers français, apportaient à nos pensées la sanction d’un témoignage.

De belle allure, souriant, très intellectuel pour un Anglais, avec une nuance de galanterie qui achève de l’apparenter, M. Fisher s’est exprimé en français, comme naguère le Prince de Galles. Il a bien, à titre d’aîné, glissé jusqu’aux conseils ; mais qui lui en voudrait de s’être montré humain ? Surtout si l’on considère qu’il a formulé, dans sa plénitude, la seule théorie impériale qui tienne à nos yeux : celle de la diversité.

— Vous êtes les héritiers d’une civilisation « qui a sauvé le monde » ; vous avez reçu, dès le berceau, une langue merveilleuse qui s’épanouit dans une littérature de choix. Gardez tout cela. Soyez sans doute Canadiens, Canadiens d’abord, même dans votre commerce qui fait la vigueur de votre jeune pays ; mais défendez vos traditions, vos coutumes, votre droit, vos libertés parlementaires.

L’Angleterre n’en conçoit pas d’ennui. Comment s’opposerait-elle à votre résolution quand elle a surgi des mêmes résistances ? Elle fut, à ses débuts, une colonie — elle, la mère aujourd’hui des Dominions. Elle fut conquise par les Normands, qui lui trouvèrent du courage et de la ténacité. Ils lui ont laissé sa langue « pourvu de n’être pas contraints de l’apprendre eux-mêmes », et jusqu’à sa détestable boisson, la bière, sans lui imposer leur cidre qu’ils jugeaient bien supérieur. L’expérience a porté, au point que la Grande-Bretagne y est restée sensible tout le long de sa carrière de métropole. Son empire est fondé sur l’expansion des forces qui le composent. Ainsi votre nation sera puissante si elle jaillit de nos deux « civilisations créatrices et complémentaires ».

Les Français qui vous rencontrent pour la première fois font gloire à l’Angleterre des libertés dont vous avez profité. Je sais que, selon le mot de Gladstone, nous ne vous les avons pas concédées parce que nous vous craignions ; mais parce que, devant la justesse de vos revendications, nous n’avons pas pu faire autrement. Vous luttez encore dans les provinces où vous êtes en minorité, autour du Golfe Saint-Laurent et dans les régions de l’Ouest. Vous y recommencez l’inépuisable argument de votre chair. Continuez. Les Anglo-Canadiens, vos compatriotes, et qui par vous se rattachent à Jacques Cartier, cèderont quelque jour à votre persévérance ; cherchant les « voies d’accord », ils dépouilleront le vieil esprit « racial » dont la France et l’Angleterre se sont débarrassées ; ils cesseront de vous comprimer — car le mot persécuter manquerait d’élégance en une occasion comme celle-ci — quand ils comprendront que leur avantage est de respecter en vous les franchises dont ils éprouvent tant d’orgueil pour eux-mêmes.

Nous y trouverons notre compte. Carleton, un de vos gouverneurs, eût meublé votre frontière de maisons françaises pour en faire un vivant rempart à l’envahissement américain. Votre loyalisme protège notre domination, ce qui nous reste de domination en Amérique. Si Champlain n’avait pas existé, le Canada serait yankee et Paul Morand aurait raison. Si Cartier n’avait pas franchi les mers, Théodore Roosevelt l’eût porté quand même à son programme de restauration, afin de se donner un Canada prospère et « bon voisin ». Vous nous aidez à façonner votre pays sur le modèle européen, et à le distinguer du peuple amorphe qui vous touche. Nous venons même apprendre de vous les chances de collaboration que la France nous offre en Europe où nous retient d’abord notre destin. Votre exemple est contagieux. — « Quoique tel ou tel État soit menacé par la confusion et la violence, les deux grandes démocraties anglo-saxonne et française resteront stables parmi l’écroulement des choses. »

À son tour, l’amiral Keyes ranime la flamme. Très britannique, nerveux, haut en couleurs, on sent qu’il a voué sa vie à l’action et que son éloquence est dans le commandement. Au tableau de la paix qui s’esquisse, il ajoute le détail de quelques souvenirs où perce, sous l’humour, une sensibilité vraie, en pointe sèche. L’auditoire, habitué à la réserve, à la surface anglo-saxonne, ne s’y trompe pas : ce tour anecdotique, malheureusement galvaudé en Amérique ou les dîners s’abandonnent à qui racontera la pire facétie, prend chez l’orateur l’allure d’un apologue où s’exprime un sentiment long à se déterminer, mais solide.

Chargé pendant la guerre d’assurer la patrouille de la Manche, il a rapporté de ses rencontres avec la marine française l’image d’une chevalerie qui ne s’est plus détachée de son esprit. Il se souvient encore : son Roi lui avait confié d’aller, en son nom, remettre une décoration à la ville de Dunkerque. La cérémonie eut lieu sur la place publique, au pied de la statue de Jean Bart, « un illustre marin de France, qui porta quelques coups aux Anglais ». Il prit place sur l’estrade, entouré d’une garde d’honneur où se mêlaient les armes des deux pays alliés. Et lorsqu’il épingla la croix sur le coussin pourpre, il lui sembla que Jean Bart souriait.

Jacques Cartier, au faîte du pont de Montréal, qui a fini par porter son nom comme une victoire, sourit aussi dans le bronze que l’on vient d’apporter de France.