Texte établi par Éditions Albert Lévesque (p. 161-186).

LE GRAND SILENCE BLANC




F ONDÉE en 1816 par Charles-Joseph-Eugène de Mazenod, la Congrégation des Oblats de Marie Immaculée s’est répandue dans le monde, touchant de son zèle les cinq continents. Le personnel abrégé, une modeste plaquette, publiée à Paris et datée de Rome, indique les centres où s’accomplit l’œuvre de prédication et établit la répartition géographique des énergies que la foi soutient. En dernière page, le raccourci saisissant d’une sorte de feuille de service dresse les cadres et les effectifs de l’armée de prière en route vers sa devise, Evangelizare pauperibus misit me : deux cardinaux, trente-six évêques, au delà de deux mille cinq cents soldats, plus de quinze cents conscrits. Un siècle a suffi à lui livrer la terre : pauperes evangelizantur. Mais, pour nous, c’est ici surtout que s’exerce ce ministère : il y renouvelle les épopées d’autrefois, unit dans une même ferveur les fils de France aux enfants du Canada, et dessine sur les neiges du nord la silhouette noire du missionnaire décoré d’un crucifix.

Quel admirable retour ! L’émotion nous saisit sitôt que nous rapprochons les deux pages de notre histoire où sont relatés, à des siècles de distance, des actes que le même idéal inspire, qui s’apparentent jusque dans le détail. Les Oblats reprennent, en plein XIXe siècle, la tâche que poursuivirent, sous toutes les latitudes de la Nouvelle-France, parmi les nations sauvages et auprès des fidèles clairsemés, les Franciscains de la première heure, les Jésuites inlassablement offerts au martyre, les Sulpiciens fondateurs de paroisses, les prêtres colonisateurs.

« L’histoire du Canada, écrit Gabriel Hanotaux dans sa France Vivante, c’est, en trois mots, l’exploration, la lutte, l’évangélisation. » Trois mots auxquels les missionnaires ont donné un sens en prêchant la doctrine de Dieu dans un décor sans cesse agrandi par leur intrépidité ; en conseillant le travail de la terre qui retient le peuple et fonde la nation ; en bâtissant l’école dans l’aurore d’une civilisation. Évangélisateurs, prédicateurs, éducateurs, c’est ainsi que nous apparaissent, dans un monde plus vieux où ils ont recommencé les mêmes sacrifices aux mêmes misères, les Oblats de Marie Immaculée.




Notre missionnaire, devant qui s’incline la pensée protestante elle-même, s’engage vers l’inconnu, avec quelques coureurs des bois et quelques indigènes. Sur la croix, qui marque la possession, il attache une fleur de lys et grave le nom du Roy. Il porte deux paroles : celle de la foi, celle de la civilisation. Rien ne l’arrête qui ne fortifie son courage, ne grandisse son effort. Il franchit des lieues sans craindre la brutalité des passages ; il sillonne les rivières et les lacs en canot d’écorce dont il se fait une carapace ; il se recueille dans le silence de la forêt vierge où son imagination pieuse construit d’inimitables cathédrales ; il se rit des privations et bénit la souffrance ; il est malgré tout brave et gai, puisqu’il est Français ; il est poète à l’heure où son âme oublie ; son grand désir, celui qui l’emporte, c’est de réaliser le rêve qui l’habite ; mourant, il exhorte encore et le martyre est sa plus magnifique prière.

Sitôt que l’on cherche un trait plus caractéristique, on s’arrête devant les mille signes d’un même héroïsme, impuissant à distinguer ce qui est partout. De respect, nous irions vers les Jésuites aujourd’hui canonisés, peut-être vers le Père Jogues, glorieux récidiviste de la mort. Mais d’autres aussi nous retiennent au moment qu’ils s’acheminent, et l’on demeure curieux de leur pensée alors que, errant sous les grands bois, auprès des barbares, ils tournent les yeux vers les étoiles. On veut surprendre leur volonté, toucher le vif de leur résistance : chez tous, c’est le même écho des ordres divins. S’ils consentent à raconter leurs peines, les dangers qu’ils courent, les tourments qu’ils endurent de la faim, de la soif, du froid, de la saleté, de la solitude, des contacts de la sauvagerie, c’est sur un ton de détachement qui s’achève par les mêmes mots de sacrifice et d’acceptation.

Elles sont partout ces paroles de résignation presque joyeuse : « Je ne sais pas si vous reconnaîtrez la lettre d’un pauvre estropié qui, jadis, lorsqu’il était en bonne santé, était bien connu de vous. Elle est mal écrite et toute souillée parce que, entre autres inconvénients, celui qui l’écrit n’a qu’un doigt entier à la main droite et qu’il lui est difficile d’éviter de tacher le papier du sang qui coule de ses blessures, non encore cicatrisées. Il se sert de poudre d’arquebuse en guise d’encre et du sol en guise de table. » Elles s’élèvent de partout ces saintes exaltations : « Je m’estimerais trop heureux si Dieu avait permis que je tombasse entre les mains des Iroquois. Leur cruauté est grande, et de mourir à petit feu, c’est un tourment horrible ; mais la grâce surmonte tout, et un acte d’amour de Dieu est plus pur au milieu des flammes que ne le sont toutes nos dévotions séparées des souffrances. » Ils sont partout les faits divers sublimes qui racontent la mort : « Trois jours après, le deux février, un soldat et deux Hurons envoyés à sa recherche trouvèrent le corps gelé du missionnaire à quatre lieues au-dessus du fort. Il était à genoux, la tête découverte, les bras croisés sur la poitrine et les yeux ouverts regardant le ciel. » Ces luttes, ces espoirs, ces douleurs, comme nous les connaissons mal ; et jusqu’à l’ingratitude.

On se tromperait à ne chercher en ces hommes que des idéalistes : hardis comme des conquérants, ils ont été des constructeurs. À la suite de Champlain, ils prêchent comme un devoir la culture qui attache au sol. Ils font mieux : ils donnent l’exemple du travail « en gens vigilants et laborieux » qui veulent « se passer des commodités de France ». Ils lient dans ce geste les deux idées qui ont rendu possible la colonisation de ce pays : l’idée de mission et l’idée de moisson. Les marchands ne se souciaient que du commerce, ils s’opposaient à la mise en valeur des terres, à l’évangélisation qui leur eût ravi les indigènes, voire à l’enseignement des langues sauvages. Le progrès eût suscité d’inutiles concurrences dont ils n’avaient cure. À l’exemple des prêtres, les colons venus du Perche et de la Normandie se mettront à l’œuvre, ils formeront autour de Québec le foyer d’où ils essaimeront vers l’ouest et le sud, peuplant de villages le Saint-Laurent qui les unira de ses flots. L’avenir est assuré.

Au-delà des limites où se blottit la société primitive, les missionnaires poursuivent la stabilisation des forces productrices. Un moment ils pensent fixer les nomades, Algonquins et Montagnais, et peupler l’Amérique de ceux qui n’ont fait jusque-là que la parcourir dans l’élan de toutes les libertés. Au cœur des missions qu’ils fondent, ils placent leur résidence, centre de rayonnement qui grandira plus tard, longtemps après qu’ils l’auront quitté, jusqu’à devenir peut-être une de nos orgueilleuses cités.




Quelle race a produit de tels hommes ? La nôtre ; et elle n’en a pas perdu le secret. Après les missionnaires du passé, les Oblats sont partis à leur tour. Appelés par Mgr Bourget, sollicités par Mgr Provencher, ils se sont enfoncés dans le steppe, à la suite de La Vérendrye, puis plus loin jusque dans le nord inconnu, n’étaient les traces des compagnons de Mackenzie, gens de notre sang, et la longue présence de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Là, dans un décor de pierre et de glace où quelques Jésuites avaient jadis pénétré, ils ont, en plein dix-neuvième siècle, recommencé l’histoire religieuse et les travaux de civilisation.

Les coureurs des bois les avaient aussi précédés, comme ceux d’autrefois, ouvrant les routes au négoce, annonçant la venue de la Robe noire et le règne « d’un plus grand qu’eux-mêmes », apprenant aux indigènes la prière des blancs. Où le coureur s’était arrêté, la conversion devenait plus facile ; elle fut presque impossible où il n’avait pas passé.

Les Oblats allaient vers l’Athabaska, puis vers le Mackenzie, s’offrir aux mêmes souffrances, avec la même résignation et le même sourire : « On mangeait du chien, du corbeau, du foutreau, des fois rien du tout : mais pas un de nous, je vous le promets, n’aurait changé de place avec le Schah de Perse ». Ils marchaient, subissant la fatigue des raquettes qui tenaille les hanches et tord le jarret, poussant la traîne de l’estomac ou précédant les traîneaux pour ouvrir la voie aux chiens. Comme les précurseurs, ils ne redoutent rien : ni la soif, la plus cruelle des tortures au milieu des neiges que l’on n’ose pas toucher, ni l’ophtalmie qui brûle les yeux, de toute l’étendue blanche ; ni les nuages de moustiques, « multitude de chanteurs et de suceurs » ; ni la vermine, à laquelle Mgr Clut, le glorieux « évêque pouilleux » de Louis Veuillot, ne s’habitua jamais, ni la famine surtout, qui fait ramasser les miettes de viande comme dans les Monnaies la poussière d’or, qui guette dans les bois le missionnaire attardé, réduit à manger ses vêtements, à se nourrir d’une vessie de sang que la superstition a suspendue à un arbre, ou à demander quelques heures de vie à « une once d’onguent d’arnica » ; ni l’immensité où l’on s’engage, guidé par le vent ou par l’instinct des bêtes ; ni le dénuement dont on a l’habitude, qui laisse seulement à Mgr Provencher une paire de sabots de bois et à Mgr Grandin, le jour de son sacre, une crosse taillée la veille dans une épinette et badigeonnée de jaune ; ni la solitude éternelle. La solitude, leur âme s’y adapte peu à peu, comme si elle communiait à son silence infini. Pas une plainte d’être seul. Oui peut-être, celle-ci, vaillante encore, d’une sœur grise : « Il faut aimer les âmes pour s’expatrier ainsi ».

Frédéric Rouquette, évoque dans l’Épopée blanche le rêve de cette solitude, un rêve qui n’est qu’une tentation :

« La Robe noire est seule dans cette solitude. Depuis trois ans elle vit dans cette pauvreté. Depuis trois ans l’homme de la prière n’a rien reçu. Le steamboat qui portait à York le ravitaillement a fait naufrage. Il faut compter sur soi si l’on veut vivre.

« Être tout seul, tout seul, sans espoir, sans ami. Une angoisse l’étreint ! S’il allait mourir là !

« N’a-t-il pas accepté le long et lent martyre ? N’a-t-il pas lui-même choisi cette vie pénitente, cette vie humiliante ?

« Oui, mais là-bas, par-delà l’Océan, c’est le séminaire ensoleillé, les bons maîtres, les condisciples. Une route s’offre à lui : la vie paisible dans la campagne, le village assoupi dans la ceinture verte de ses vignes, la garrigue odorante où les troupeaux s’en vont, tintillants de clochettes, la ligne bleue de la mer et les voiles blanches à l’horizon.

« Des ouailles paisibles, une église coquette, une cure ombreuse, le bréviaire est là, à l’abri de la treille, des abeilles font une ronde autour des grappes, un grillon chante dans l’herbe drue, la bonne herbe parfumée où les bêtes à bon Dieu processionnent. Le vin est frais, la chère savoureuse, les cuivres mettent des lueurs dans la cuisine voûtée où la servante s’active.

— « Pourquoi me tentez-vous Seigneur ?

« La porte s’ouvre sous un coup plus violent, la bourrasque entre qui chasse la vision. La réalité est là qui s’impose… »

Le missionnaire renie jusqu’à cette tentation. Il aime, il chante le Nord. Le Père Laity, rendu en France pour assister à une réunion de son Ordre, s’ennuie d’attendre et obtient de retourner vers sa solitude d’amour et de foi. Mgr Joussard, de passage à Québec vers l’Europe, renonce au départ et rentre au Fort Vermillon « bûcher le bois de chauffage de l’hiver ». Le Père Séguin, passé en France à la fin de sa vie, est « en exil loin de son chez nous ». Son chez nous, regardez la carte, c’est là-bas à Good-Hope, sur le Mackenzie, là où il n’y a plus rien, que des âmes.

C’est qu’ils portent en eux le même viatique que les pionniers. Leur force, c’est le service de Dieu. L’hymne de renonciation que nous avons recueilli sur les lèvres des premiers Jésuites, ils le reprennent, identique : s’il se trouve des commerçants qui consentent à peiner, pourquoi les prêtres y manqueraient-ils ; — la richesse importe peu, si on a le sacrifice ; — mon Dieu, que votre volonté soit faite ! Partout, la litanie de l’offrande de soi-même, qui implore la souffrance comme une absolution.

Et pour marquer encore plus profondément les similitudes, le geste ne s’arrête pas à la bénédiction. Le missionnaire travaille, construit, colonise. Il demande sa nourriture au sol, aussi pauvre que lui. Il organise le transport sur des étendues qui dépassent celles des grands pays d’Europe. Les économistes qui raconteront la pénétration du territoire reprendront ce combat : il est épique. Ils diront les efforts de Mgr Taché, de Mgr Faraud, pour passer outre à l’abandon de la Compagnie de la Baie d’Hudson et s’engager à travers des rapides dont s’effrayait l’audace des indigènes ; pour dessiner une nouvelle route que la Compagnie empruntera à son tour pour y imposer plus tard des taux qui forceront les missionnaires à chercher encore ailleurs. Ils diront les prédications de Mgr Grouard, au Canada, aux États-Unis, en Europe, pour solliciter de l’aide, afin d’établir une scierie près du Lac Athabaska, et de construire des bateaux, le Saint-Joseph, le Saint-Alphonse, le Saint-Charles, qui transporteront les missionnaires, enfin libérés, jusqu’au fort Smith et, au-delà, jusqu’à l’Océan glacial ! Ils diront les routes ouvertes par les Oblats, par le Père Maisonneuve, par le Père Lacombe, sur des centaines de milles, de Saint-Boniface au Lac Labiche, du Lac Sainte-Anne à Saint-Boniface ; ils diront comment l’exploration et le négoce, la science et l’intérêt, s’y sont engagés à la suite de la croix. Il y a des choses qu’il siérait de mieux savoir, pour les opposer, à l’occasion, à ceux qui n’ont eu qu’à paraître pour se croire les maîtres.

En superposant la carte des postes de la Baie d’Hudson — quelques points de repère dans une immensité — et la carte des Vicariats apostoliques du Keewatin, de l’Athabaska, du Mackenzie et du Yukon, on mesure l’effort accompli vers la stabilité, le long de rivières qui relient des lacs portant des noms de missionnaires. Aux forts qui gardent leur destination, s’ajoutent les missions, les résidences comme on disait jadis, depuis Notre-Dame des Victoires, au nord de la Saskatchewan, jusqu’au Saint-Nom de Marie, près du delta du Mackenzie. Les missionnaires y travaillent de leurs mains, sous la conduite des évêques ; ils se font tour à tour agriculteurs, entrepreneurs, peintres-décorateurs, typographes. Il faut vivre : ils assèchent des marais, installent des fermes, fécondent « les sables et les roches ». Il faut s’abriter : des maisons s’élèvent, des chapelles, des couvents, des moulins ; des villages se forment, presque des villes. Aujourd’hui, « les plaines de la Rivière de la Paix sont colonisées » et dans tous les sanctuaires du Mackenzie de petites lampes veillent devant Dieu.

C’est en 1845 que, les premiers, le Père Aubert et le Frère Alexandre Taché, arrière-neveu de Varennes de La Vérendrye, arrivèrent aux confins de la Prairie : quelques décades ont donc suffi pour que la civilisation pénètre au fond des bois, parmi les glaces. Mais ce n’est pas tout. Dans l’Ouest proche, celui qui fut longtemps insoupçonné et qu’enrichit plus tard l’or des blés, celui qui va jusqu’aux limites des « Territoires » et où les cités rectangulaires se sont multipliées avec une extraordinaire vitalité, ils ont poursuivi la même prédication, semant les clochers comme les spéculateurs avaient fait des villes, s’emparant de l’immigration, groupant nos compatriotes. La Province du Manitoba, ainsi qu’ils la désignent, couvre six diocèses et trois vicariats apostoliques. Les Oblats y ont « vingt-six maisons et résidences et plus de cent dix religieux, employés à la desserte des paroisses, des postes de colonisation, des missions sauvages ». Le Vicariat de l’Alberta-Saskatchewan, compte trois diocèses et des œuvres auxquelles se dévouent au-delà de cent cinquante religieux.

Je ne me lasse pas d’admirer un pareil apostolat et, tournant les yeux vers le passé de notre race et vers ce qu’elle a fait pour ce pays où ceux qui sont venus plus tard continuent à l’ignorer, je me rends au jugement que mon guide, le Père Duchaussois, prononce dans ses Glaces polaires : « Nombre de touristes d’un été dans les régions arctiques ont proclamé la Compagnie de la Baie d’Hudson la mère unique des progrès dans le Nord-Ouest. La vérité est que, tout en s’avançant à la faveur des coureurs des bois, dans les solitudes profondes, elle les fermait aussitôt, le plus qu’il lui était possible, au reste du monde… Si le Nord-Ouest porte aujourd’hui, sur ses champs fertilisés, d’opulentes colonies, si les richesses des montagnes et des forêts se dévoilent, si les pêcheries des grands lacs sont exploitées, c’est aux missionnaires qu’on le doit. Ils ont révélé le nord et l’ouest du Canada au Canada lui-même qui les ignora jusqu’en 1867. Les premiers défricheurs, les pionniers véritables furent Mgr Provencher, Mgr Taché, Mgr Grandin, Mgr Faraud, Mgr Clut, Mgr Grouard, M. Thibault, M. Bourassa, les Pères Vègreville, Tissot, Maisonneuve, Leduc, Husson, Mérer, Lacombe surtout, dont un orateur canadien qualifia si justement la carrière en disant « qu’il avait ouvert des chemins pour aller plus loin, élevé des autels pour monter plus haut ».

Les voilà, et d’autres encore : Mgr Langevin, Mgr Legal, Mgr Pascal, Mgr Charlebois, Mgr Joussard, Mgr Breynat. Plusieurs de ces figures se sont gravées dans mes souvenirs d’enfance, alors que, au Petit Séminaire de Montréal, nous regardions la tête blanche, si finement énergique, du Père Lacombe, et les évêques colonisateurs aux longues barbes, aux traits marqués, à la parole légèrement saccadée, mais d’une singulière persuasion, tous « évêques de peine ». Mais nous savions mal ce qu’ils avaient fait. Le savons-nous, même aujourd’hui ? Nul n’est prophète en son pays et, au risque de m’alourdir encore de citations, je veux interroger la pensée des voyageurs français sur ce qui s’est passé ici même, au milieu de nous, et que nous ignorons parce que nous laissons cela avec un indifférent dédain aux lecteurs des Annales de la propagation de la foi.

En 1922, Gabriel-Louis Jaray et Louis Hourticq voyageant dans l’ouest du Canada, eurent la joie, à Edmonton, « porte du Nord », de rencontrer Mgr Joussard, Mgr Grouard, le glorieux oublié à qui la France devait enfin remettre, en 1925, la Légion d’honneur, et l’« évêque du vent », Mgr Breynat, qui rêve d’un avenir prodigieux et qui voit déjà les forces hydrauliques du Mackenzie broyer les minerais. Ils ont consacré à ces évêques l’une des plus jolies pages de leur livre, De Québec à Vancouver. Et voici ce qu’ils écrivent, à la suite du portrait de ces « trois Français, robustes, d’une belle gaieté, et leur gravité épiscopale animée d’une joviale bonhomie » :

« La civilisation moderne est dédaigneuse, même un peu brutale. Elle laisse à l’écart les sauvages, frères inférieurs, cette race enlaidie par la souffrance et arrêtée dans son développement par un climat inhumain. C’est le dévouement des missionnaires qui paie la dette de l’humanité à ces déshérités du globe. Ils acceptent la terrible existence boréale, pour apporter aux malheureux les espérances du christianisme et leur enseigner quelques vertus. Nous sentons bien que c’est là chose plus haute et plus rare que tout ce que le génie humain peut inventer ou faire dans l’ordre de la connaissance ou de la beauté. »

Peu de temps après, Rouquette, envoyé du Consulat de France, porte la Croix de la Légion d’honneur à Mgr Grouard, là-bas, dans les blizzards, sur la colline qui domine le Petit Lac des Esclaves, à la Mission Saint-Bernard. À son retour, il lance en plein Paris l’Épopée blanche, qu’il ajoute à son Grand silence blanc. Il a salué l’évêque « casqué de castor », il descend vers la cité de Grouard « qui sommeille », il touche la dernière auberge, le voilà parti. Et devant les « boqueteaux de sapins et les maigres saules », son esprit encore chaud du souvenir, revoit les hommes qu’il laisse dans l’immensité pâle, loin du monde et près de Dieu :

« Courage ! Ceux que je viens de quitter sont des porteurs d’espérance, les magnifiques serviteurs, les Oblats d’une cause sainte, sublimée par le renoncement, l’abnégation et la souffrance.

« Ils ont des paroles pour apaiser, pour instruire, pour consoler. Ils ont des mots pour toutes les défaillances ; ils endorment la douleur, fille de la solitude et mère des orages de la passion.

« Tout ce qui souffre, tout ce qui chancelle, tout ce qui est irrésolu, vient vers eux et la guérison, l’apaisement, la volonté se lèvent à l’appel de leur voix.

« À quel prix achètent-ils la conversion des âmes ? Depuis des mois, des années, ils se consacrent « à l’œuvre manque-de-tout », usant leur vie dans une lutte quotidienne contre le froid, la solitude, la faim, hydre tricéphale de cette terre nordique où ils ont fixé volontairement leur destin.

« Je ne raconte pas leur histoire, mais devant le mirage de la nuit polaire qui se déroule à mes yeux, j’évoque l’épopée blanche dont ils ont écrit tous les chants, des bords du Saint-Laurent jusqu’aux extrêmes limites du monde.

« D’autres diront la gloire de ces hommes.

« Je ne suis qu’un pèlerin qui vint s’asseoir, un jour, à leur foyer, mais mon âme a gardé l’empreinte de leur âme et mon cœur les vibrations de leur cœur… »




L’école est une autre évangélisation, celle des intelligences et des cœurs, une autre civilisation. À peine installés au Canada, les missionnaires instruisent en même temps qu’ils catéchisent. Les Récollets et les Jésuites enseignent les indigènes à Québec, à Tadoussac, là-bas, chez les Hurons, partout où ils rencontrent l’esprit : qu’ils n’y aient guère réussi, eux ni leurs successeurs, n’amoindrit pas leur geste. Le Français humanise, où qu’il passe. Le soin des missionnaires s’étend naturellement aux enfants de leur race qu’ils initient à la grammaire, aux mathématiques, aux rudiments du latin. Depuis Québec, l’école accompagnera le prêtre vers les points de colonisation ; malgré le peu d’empressement du gouvernement, occupé ailleurs, l’enseignement des premières lettres, œuvre du peuple surtout et des communautés, se disséminera dans la colonie : à Montréal, aux Trois-Rivières, dans les hameaux, dans les missions. Le curé, ou quelque jeune gentilhomme, se fera maître d’école. Nos pères ont accueilli l’instituteur ambulant.

Le collège des Jésuites, subventionné par René de Gamaches, « pour le secours et l’institution spirituelle des Canadiens » — ces mots valent qu’on les retienne — n’eut qu’à grandir avec la population : encore peu d’années et on inscrira au programme, déjà chargé de lettres, la philosophie avec la théologie, voire les sciences positives, dont l’hydrographie, pour donner à Talon « une pépinière de navigateurs ». Plus tard, les collèges se multiplieront sur ce type, et par toute la province, depuis la vallée de l’Outaouais jusqu’aux confins du Golfe : il s’en lèvera des défenseurs.

Enfin l’Université nous donne, au XIXe siècle, la certitude d’une avance désormais assurée. L’enseignement supérieur est un couronnement. Il nous libère et nous renforce. On a dit souvent, on ne répétera jamais trop, que l’Université est le cœur où bat la vie de la nation. Elle commence seulement sa tâche qui est de donner au peuple, en les renouvelant, une jeunesse, puis des hommes. Indépendante des mille combinaisons que l’ambition suscite, elle forme l’homme de profession, le spécialiste, et, par eux, des compétences ; enfin, de plus en plus, l’opinion : on le reconnaîtra quelque jour, lorsque des engouements particuliers aux pays jeunes auront passé. L’Université, intimement liée aux collèges, est la grande civilisatrice, la gardienne de nos pensées, de nos plus nobles qualités, le plus sûr instrument de notre supériorité. Qu’elle ne fasse encore qu’aspirer à sa pleine fonction, il n’importe : elle y atteindra. École primaire, collège classique, université, ont été trois merveilleux secrets de durée. Aux moments difficiles où nous avions à choisir entre le souvenir et l’intérêt, nous les avons dressés du côté de la fidélité. Ils nous ont gardé notre caractère, au prix de bien des sacrifices, et nous leur devons, pour une large part, notre survivance, s’ils ont préservé, au milieu des attaques et des embûches, la tradition qui nous apparente, la civilisation qui nous pare.

Les Oblats sont de trop merveilleux missionnaires pour ne l’avoir pas compris et pour n’avoir pas réalisé une œuvre qui achève de les assimiler à leurs illustres devanciers.

Dans le Nord même, où ils n’ont avancé qu’avec le courage surhumain de la foi, ils ont, au sein des missions, bâti l’école. Ils ont recommencé — comme ils sont bien de la lignée ! — à instruire les sauvages, ils ont tenté de fixer, ne fût-ce qu’un moment, l’esprit des enfants des bois sur les lois de contrainte et de respect que la liberté n’enseigne pas. Il y a maintenant, dans l’Athabaska et le Mackenzie, des orphelinats, des écoles, des pensionnats que dirigent les Sœurs grises et les Sœurs de la Providence, des religieuses de chez nous. L’histoire recommence, les mêmes forces revivent, le même progrès s’accomplit dans une admirable ténacité.

Mais quittons les étendues de l’Ouest où nous aurions tort de confiner la débordante activité des Oblats de Marie Immaculée. Leur costume, leur apostolat, nous sont trop familiers pour ne pas nous rappeler que ces hommes sont là, près de nous, dans nos paroisses de l’Est, dans nos chaires, dans nos institutions ; et qu’ils ont découvert, même en nos pays plus anciens, des âmes à évangéliser, qui vivent encore au milieu des forêts. Ils viennent d’abord à Saint-Hilaire, en 1841, puis à Longueuil, puis à Montréal où ils transforment la paroisse de Saint-Pierre dont ils font le siège de la Province du Canada. De là, ils rayonnent vers le Saguenay, jusqu’au Labrador, vers le Cap de la Madeleine où ils créent un pieux pèlerinage, Ville La-Salle, Ville-Marie et Nord-Témiscamingue, vers Maniwaki et Mattawa où des ouvriers se pressent, vers l’Ontario, vers Hull et la capitale fédérale, où ils fondent trois paroisses, un juniorat, un scolasticat, un séminaire, une université.

C’est là que je veux chercher une seconde preuve de leur volonté de civilisation, abandonnant, sans en négliger le mérite, leur prédication super turbas, leurs appels à la conscience populaire, la complaisance que, fidèles toujours à leur devise, ils ont mise dans les humbles et les déshérités. En 1848, un Oblat, Mgr Guigues, premier évêque d’Ottawa, organisait le Collège de Bytown, qui devint université dix-huit ans plus tard et eut l’honneur, en 1889, d’une consécration de Léon XIII. Dans l’Ontario, parmi une population bilingue, c’est maintenant le haut enseignement qui retient les religieux. Ils y font toujours figure d’animateurs.

« La création de l’Université catholique d’Ottawa, a écrit quelqu’un qui s’y connaît, n’a été que le terme naturel d’un mouvement migratoire irrésistible. » C’est bien ainsi qu’il sied de poser la question. Dès le régime français, les nôtres s’étaient portés vers l’Outaouais. Notre vigoureuse fécondité précipita le mouvement de conquête pacifique, de paisible colonisation qui fit trembler nos voisins d’origine saxonne. Rome attendait. Lorsque les paroisses furent nombreuses suffisamment, le Saint-Siège tailla dans le Canada central un diocèse qui devait devenir une province ecclésiastique. Des Français ont depuis occupé le trône épiscopal. C’est pour nous une aventure connue, traditionnelle. L’église établie, le moment vint, comme autrefois dans le Québec, d’organiser la vie intellectuelle, de créer une institution propre à former une élite. Elle fut copiée sur le collège de l’Assomption, et reçut les caractères qui avaient marqué, dès longtemps, l’enseignement des humanités dans notre vieille province. L’établissement du collège Saint-Joseph — supprimons l’affreux Bytown —, la reconnaissance officielle de l’Université d’Ottawa, sont des actes qui résultent nécessairement de l’expression du peuple canadien-français.

Ceci posé, il reste que le nouveau collège jetait ses fondations en terre divisée. Mais il fallait établir un centre. Les enfants des Canadiens français de l’Outaouais n’avaient de choix qu’entre Montréal et Kingston : ils étaient trop pauvres pour se décider. Attachés au territoire ontarien, les Oblats ne pouvaient pas ignorer leurs compatriotes d’autre origine mais de même religion qui s’étaient aussi installés dans la région. Le collège fut bilingue. Était-ce une exception ? N’avons-nous pas plutôt l’habitude de ces rencontres justes dont nous tâchons de tirer le meilleur parti ? Dans la pensée des fondateurs, les nôtres seraient sauvés par un enseignement de discipline française et, munis d’une autre langue, se sentiraient plus forts et mieux armés.

Plus haut que cela encore, Mgr Guigues et le Père Tabaret placent leur ambition. Ils désirent « établir une maison d’éducation qui, offrant absolument les mêmes avantages aux deux populations, attirera nécessairement les enfants que la Providence appelle à jouer plus tard les rôles les plus importants dans cette partie du pays. Ces jeunes gens, vivant et grandissant ensemble, apprendront dès l’enfance à se connaître et à s’estimer, et ainsi, ils pourront, en conservant chacun tout ce qu’il y a de noble dans le sentiment national, se préparer à combattre de concert et avec intelligence les nobles combats de la religion et de la patrie ». Ceux qui se préparent, à la même époque, à bâtir la Confédération trouveront-ils mieux ? — Aujourd’hui, demandons-nous autre chose ?

La vie suivit, un peu troublée parfois, mais fidèle, en définitive, à l’idée première. L’Université d’Ottawa est bilingue, au sens où nous l’avons toujours entendu dans la province de Québec : elle respecte les droits, et du français et de l’anglais, ardente également à défendre les uns et les autres. Tâche délicate et difficile ; tâche nécessaire et légitime, fondée sur la nature, appuyée sur les traités, sur des titres de noblesse, sur l’esprit de la loi. Dans l’Ontario, l’Université d’Ottawa est à l’avant-garde de la civilisation catholique et française, comme, dans l’Ouest, le Collège de Saint-Boniface, que fonda Mgr Taché, comme, dans le Nord extrême, les couvents et les missions. Merveilleuse unité de doctrine et d’attitude !

Cependant, un des motifs qui déterminèrent Mgr Guigues me retient. Il est renfermé dans une phrase qu’il traçait au début de son épiscopat, au moment où il exprimait les raisons d’établir un collège sur l’Outaouais : « la nécessité de recevoir une éducation plus proportionnée aux besoins de l’époque ». C’est une idée de progrès qui va s’épanouir à l’Université d’Ottawa. Par elle, l’institution répondra à ce que l’heure réclame de l’enseignement, et c’est éclairer mieux l’action civilisatrice des Oblats que de le démontrer.

Sans entrer dans une nouvelle querelle des humanités, je me bornerai aux conclusions que nous offrit le R. P. Simard à l’instant même où, de mon côté, et par l’expérience, j’en éprouvais avec d’autres la vérité.

L’enseignement classique, dans la province de Québec, est trop longtemps lourd de lettres, de littérature et de rhétorique ; il reporte trop loin, si l’on excepte les mathématiques, la formation scientifique ; il repousse dans un coin de programme, hâtivement parcouru, les « petites sciences », qui ne laissent pas d’avoir une importance de premier plan ; d’autre part, ayant en rhétorique abandonné le français, il n’y revient plus. C’est du moins ce que blâment plusieurs maîtres de l’enseignement secondaire. Dans l’intérêt de la nation, leur opinion vaut qu’on la pèse.

Non qu’il s’agisse de renoncer aux lettres non plus qu’au latin, ni, sous sa forme actuelle, au grec. Ces disciplines, conformes à notre génie, demeurent nécessaires. Je n’insiste que pour rappeler ces mots du Père Simard : « À notre siècle, où le nationalisme ramène les peuples au berceau de leur vie, serait-il assez illogique de briser avec les racines de notre parler et avec le foyer de notre civilisation ? »

Il ne s’agit pas davantage qu’une étendue excessive soit réservée au domaine scientifique : on lui ferait même une part plus modeste que celle qui revient, de tradition, aux pures humanités : au français, en particulier, qui paraît sacrifié. Mais on verrait avec satisfaction que les sciences d’observation fussent étudiées de plus près, et, d’une façon générale, que l’enseignement scientifique fût distribué tout le long du cours dont il suffirait, somme toute, de modifier l’ordonnance. Cela permettrait de laisser pénétrer, jusque dans les classes de philosophie, le souci de l’élégance et de la forme, mais singulièrement mesurées toutes deux. Et si l’on tient encore absolument à demander aux élèves de faire l’éloge de Christophe Colomb, d’écrire au nom du Pape au général de la Moricière pour l’engager à se mettre à la tête des armées pontificales, ou de prendre la défense de Thomas Morus devant ses juges, ce sera, du moins on se plaît à le penser, en plus ferme connaissance de cause.

La formation scientifique, reçue à petites doses dès le bas âge, offrirait des avantages qui paraissent incontestables. Être livré, six années durant, à la littérature que tempère vaguement la monotonie des chiffres, cela fait contracter des habitudes ou naître des préférences. On ne voit plus la science que sous un aspect rébarbatif et l’on s’engoue pour les beautés de l’éloquence à laquelle nous avons naturellement de la propension. On en oublie la vie. S’il arrive que les circonstances contraignent le jeune homme à laisser le collège, il part vers l’existence avec son histoire ancienne, quelques décalques de cartes géographiques, des éléments de mathématiques, et du latin en puissance. Est-il sage d’abandonner ainsi ceux qui, comme Jean Rivard, ne peuvent pas aller plus loin ? Quelle concurrence feront-ils aux autres qui, formés tout autrement, ont du moins, si leurs études sont arrêtées, des chances de réussite parce qu’ils ont acquis des connaissances précises ? Qui dira combien rude est le chemin que les nôtres doivent parcourir !

L’enseignement des sciences, disséminé le long des années d’études, comme en France, aurait aussi pour conséquence appréciable de former, dès la jeunesse, le sens de l’observation ; car, ces sciences on les expliquerait en se fondant sur la vie qu’elles expriment, et non sur des manuels qui sont choses excellentes, mais mortes. Et l’enfant apprendrait petit à petit, et non pas tout à coup, dans la hâte d’une fin de cours, ce qu’il est, où il vit, dans quel milieu, dans quel pays. Le sachant, il verrait son utilité propre, la fonction que l’on attend de lui, il jugerait chaque chose à son mérite, il agirait sans se perdre dans la surprise ou l’hésitation. Il livrerait, pour reprendre les mots de Mgr Guigues, « les combats de la religion et de la patrie », car la religion ne peut que se fortifier par l’appui de la science, de la vraie science ; et la patrie ne peut que gagner à abriter des enfants qui, l’ayant aimée dans toutes ses manifestations, ne rêvent que de la servir. Sortons les « petites sciences » du coin où elles somnolent : elles contiennent tous les secrets de notre territoire. Elles expliqueront le sol, la flore, la faune, tout ce qui nous entoure et que nous ignorons ; vivifions l’histoire par la sociologie, l’économie politique ; humanisons la géographie ; aiguisons par la chimie, la physique et les mathématiques, le sens du réel chez les nôtres : la prochaine génération ne sera plus la même et nous serons plus sûrs de vaincre par elle. Cela mérite, à tout le moins, que l’on y réfléchisse.

Les Oblats — d’autres aussi — ont tenté l’expérience. Le Père Simard, que je ne me lasserais pas de citer tant ses conférences sur la Tradition, sur saint Thomas et saint Augustin révèlent d’exaltation saine et respectueuse, écrit : « Un idéalisme éveillé par un réalisme qui le nourrit et le soutient sans relâche, telle est la substance et tel est le mode de notre savoir ». Précieuse formule ! On croira peut-être qu’elle fut inspirée par les conditions où l’enseignement devait se donner pour répondre aux exigences d’une population en partie anglaise. Il se peut ; mais ce qu’elle a d’heureux, et ce qu’on ne redira jamais trop, c’est qu’elle est française. On ne procède pas autrement dans les lycées de France où, dès la sixième, on s’applique au latin, à la langue maternelle, aux chiffres et aux sciences d’observation. Que, en appliquant ce mode, on veille à sauvegarder la part du latin et du grec, c’est une autre question ; nous posons ici une méthode, simplement, et quelle satisfaction qu’elle ne nous soit pas étrangère si, en l’empruntant, nous restons fidèles à nous-mêmes.

La fidélité à soi-même, je ne sache pas que les Oblats aient eu d’autre souci. Il n’y a pas de race supérieure en ce pays ; mais chaque race, en obéissant à ses traditions, en perfectionnant ses qualités natives, peut atteindre à une supériorité dont la nation s’enrichira. Nous n’avons rien à céder de nous-mêmes : c’est par la soumission à nos disciplines profondes que nous servirons le mieux, et notre idéal et l’idéal commun. Le respect de cette liberté est la condition du véritable progrès, poursuivi dans la concorde, la résolution et la paix. L’Université d’Ottawa ne peut pas servir de plus juste cause.




Le 21 décembre 1811, Eugène de Mazenod est ordonné prêtre. Il refuse le titre de vicaire général que lui offrait l’évêque d’Amiens, pour « se consacrer tout entier au soin de la jeunesse et des pauvres ». Le 25 février 1816, il entraîne l’abbé Tempier, vicaire à Arles, et les deux compagnons s’installent à Aix, dans le monastère des Carmélites, « avec quelques ouvriers évangéliques ». La Congrégation des Oblats de Marie Immaculée est fondée. Le 17 février 1826, Eugène de Mazenod a la joie d’apprendre que Léon XII approuve son Institut. En 1841, devenu évêque de Marseille, il reçoit Mgr Bourget en route vers Rome. Celui-ci cherchait des apôtres et il les demanda au fondateur des Oblats. Tous les missionnaires répondirent : ecce ego mitte me. Au mois de novembre les Pères Honorat, Lagier, Telmon, Baudrand et les frères convers Louis et Bazile quittent Le Havre. Ils sont à Montréal le 2 décembre. Nous savons le reste.

Les Oblats ont été les consolateurs des pauvres et des miséreux, les guides des populations accumulées dans les villes par l’industrialisme, les prédicateurs d’une doctrine de paix et d’amour, les évangélisateurs des nomades perdus dans les neiges et les brumes du Nord, les éducateurs de la jeunesse. Est-il plus belle et plus rapide carrière, et qui ait été plus dévouée aux intérêts des âmes et du peuple ?