Le féminisme sous le règne de Louis-Philippe et en 1848/III/7

CHAPITRE VII

INFLUENCE DES JOURNAUX FÉMINISTES EN 1848


I. Le travail féminin. — II. Le divorce. — III. Projet de constitution féministe.
I

Les idées émises par les journaux féministes reçurent parfois, bien que l’opinion générale leur fût plutôt défavorable, assez bon accueil de la part du gouvernement.

Parmi ces idées, le gouvernement fut surtout favorable à celles que nous avons classées sous le nom de « revendications féminines », parce que le bien-fondé de ces revendications était évident et que l’on pouvait y faire droit sans apporter de trop grands changements à l’état actuel de la société.

Comme il était à prévoir, le gouvernement, qui avait à ce moment les mêmes préoccupations au sujet des hommes, commença par améliorer le sort des ouvrières.

La première mesure fut prise par la commission du Luxembourg sur l’initiative de Louis Blanc. Celui-ci, considérant que le travail des couvents et des prisons faisait une concurrence mortelle aux ouvrières travaillant chez elles ou en atelier, proposa de l’abolir. Après plusieurs tentatives infructueuses, il réussit, le 25 mars, à faire voter sa proposition, et, le 26, paraissait le décret suivant :

Le gouvernement provisoire,… considérant que le travail dans les prisons ou dans les établissements dits de charité a tellement avili la main-d’œuvre que les femmes… ne peuvent plus, malgré un travail acharné, faire face aux premières nécessités…, qu’on ne peut maintenir un état de choses qui engendre la misère et provoque l’immoralité secrète.

Article premier. — Le travail dans les prisons est aboli.

Nous avons vu, dans un chapitre précédent, que les ouvrières blanchisseuses s’étaient plaintes au gouvernement provisoire de la trop grande modicité des salaires et du trop grand nombre des heures de travail. Le gouvernement provisoire fit droit à leur demande. Il leur accorda la journée de douze heures.

Nous avons vu les femmes réclamer le droit de discuter leurs intérêts, c’est-à-dire d’envoyer des déléguées ouvrières qui auraient voix consultative au sein de la commission du travail, qui, connaissant mieux que Louis Blanc et ses collaborateurs la situation de l’ouvrière, seraient en mesure de proposer les réformes utiles. Le 4 avril 1848, les femmes du deuxième arrondissement furent convoquées pour nommer cinq déléguées qui devaient représenter les ouvrières auprès du gouvernement provisoire. La plupart des arrondissements suivirent bientôt leur exemple, et sous la direction de ces déléguées (l’une d’entre elles était Désirée Gay, une des collaboratrices de la Voix des Femmes), s’organisèrent les ateliers nationaux de femmes.

Toutes ces réformes peuvent sembler d’assez mince importance, toutes ces améliorations du sort des ouvrières assez peu efficaces. Mais il faut bien se souvenir qu’il était difficile au gouvernement provisoire de faire beaucoup plus et que (c’est là la meilleure preuve) le sort des ouvriers ne fut pas beaucoup amélioré.

II

Le gouvernement essaya également de faire droit à la seconde des grandes revendications féminines, et, le 26 mai 1848, Crémieux, alors ministre de la Justice, présenta à la Chambre des députés le projet de loi suivant sur le rétablissement du divorce :

Article premier. — La loi du 8 mai 1816[1] est abrogée. En conséquence, les dispositions du Titre IV, livre I du Code civil, reprennent leur force à compter de la promulgation de la présente loi.

Art. 2 — L’article 310 du Code civil est modifié comme il suit : Tout jugement de séparation de corps devenu définitif depuis trois ans au moins sera converti en jugement de divorce sur la demande formée par l’un des deux époux sur requête et assignation à bref délai.

Après une très courte discussion, le projet fut renvoyé aux bureaux. Le 31 mai on nomma une commission de dix-huit membres, « commission chargée du décret relatif au rétablissement du divorce » et dont faisaient partie, entre autres, Baroche et Dupin.

Mais les travaux de cette commission n’aboutirent pas et, au mois de septembre, le ministère dut retirer le projet.

III

Quant aux véritables théories féministes, c’est-à-dire à l’égalité civile et politique des deux sexes, le gouvernement n’y prêta absolument aucune attention. Leur influence se fit seulement sentir chez quelques hommes politiques, en particulier chez des socialistes saint-simoniens. C’est ainsi que Cabet, dans la neuvième séance de la Société Fraternelle Centrale, proclame ce principe qu’ « il faut demander à chaque candidat l’engagement formel de faire rendre justice aux femmes ». C’est là une formule assez vague : Cabet la prend bientôt dans un sens plus nettement féministe. Le 30 mars 1848, dans la réunion icarienne, il se prononça « loyalement et franchement » en faveur des droits de la femme. « Droits politiques et droits sociaux, dit la Voix des Femmes, tout ce qui nous manque, il l’a réclamé, et même le droit représentatif qui résume tous les autres parce qu’il fait participer à la création des lois de l’État. »

Cette déclaration valut au chef des « nobles et généreux icariens » un véritable dithyrambe de la part de la Voix des Femmes.

Quelques mois après (juin 1848), Olinde Rodrigues, le banquier saint-simonien, que nous avons vu soutenir la Voix des Femmes de sa fortune, faisait paraître un projet de constitution où il était fait droit à la plupart des réclamations qu’avaient faites les femmes dans leurs journaux.

« L’existence morale et matérielle des travailleurs des deux sexes » devait être améliorée au moyen d’associations ouvrières où la femme tiendrait la même place, aurait les mêmes droits que l’homme. L’égalité de droits entre les époux était la base du mariage. Le divorce était institué ; mais on l’entourait « des garanties suffisantes pour qu’il n’amenât pas la ruine de la famille.

Enfin les femmes obtenaient l’égalité civile et politique, « le suffrage universel étant exercé par tous les membres de la communauté française sans distinction de sexe.

Tel est le seul projet de constitution qui tint compte des revendications féministes.

  1. Loi qui abolissait le divorce établi par la Révolution.