Le dernier des Trencavels, Tome 2/Livre quatorzième

Traduction par Henri Reboul.
Tenon (Tome 2p. 134-154).


LIVRE QUATORZIÈME.

La Mésalliance.


Adon était allé rejoindre sa mère ; il s’était jeté dans ses bras, et, tombant à ses genoux ; lui avait fait le récit de son pèlerinage, puis de son étrange et aventureuse métamorphose. Après avoir obtenu le pardon de Dieu, il n’avait pas douté un moment d’obtenir celui d’une mère aussi tendre.

Aliénor fut d’abord stupéfaite ; elle croisa ses mains, leva les yeux au ciel, et ne pouvait revenir de sa douloureuse surprise ; puis, voyant le pauvre Adon interdit et fondant en larmes, elle le reçut dans ses bras et pleura avec lui. « Ce que Dieu a voulu, » dit-elle, « les hommes n’ont pu l’empêcher. »

Après un tendre entretien dont les momens étaient comptés, Adon reçut ses bénédictions et ses adieux.

Il revint à Bompas revêtu de son armure, suivi d’un seul varlet chargé du soin de son bagage, et trouva Cécile auprès d’Ermessinde. Elles pleuraient. « Ô ma mère ! » dit-il en se prosternant aux pieds d’Ermessinde, « Dieu me l’a accordée ; mais je veux la devoir à vous-même. Un vœu solennel me tient séparé d’elle pendant six mois ; après ce terme, c’est de vos mains que je recevrai mon épouse. » — Puis se relevant, il dit à Cécile : « Je te possède, Cécile, mais il me reste à te mériter. Que ta pensée me suive dans les combats, elle me guidera toujours aux sentiers de l’honneur. »

Ensuite il s’arracha de leurs bras et se dirigea vers Mercus où la troupe de Cyrille l’attendait. Elle se mit en marche et arriva sous les murs de Foix à l’entrée de la nuit. Cyrille et Adon demandèrent à être présentés au comte. On les introduisit au château.

« Prince, » lui dit Adon, « je suis le fils de votre fidèle Raimbaud de Montaillou ; je pensais arriver seul auprès de vous, mais la Providence a voulu que mon secours fut plus efficace. Une troupe de zélateurs de la foi était entrée dans votre territoire pour y poursuivre les ennemis de Dieu ; elle vient avec moi pour accomplir son but, en obéissant à vos ordres. Voici son chef, c’est Cyrille Jourdain. »

« Nous sommes, » dit Cyrille, « des hommes persécutés et fugitifs, du pays de Mirepoix, mais notre fuite est celle du lion. Je sais qu’on nous appelle du nom infâme de routiers et briseurs. Non, nous ne sommes pas des hommes de rapine, mais des cathares ou purifiés, et nous ne brisons que les œuvres de l’iniquité ; nous n’admettons point de partage, ni d’altération dans la doctrine évangélique, et tout est a nos yeux vérité ou mensonge. Amis ardens nous sommes des ennemis sans pitié. C’est en cela seulement que nous suivons l’exemple de nos cruels adversaires ; nous rendons le mal pour le mal, et combattons en démons contre des démons. Nous avons mérité un reproche, c’est celui d’avoir violé votre territoire, en y poursuivant les ennemis de J.-C. ; et nous venons vous demander à expier cette faute, en la lavant dans le sang des croisés. Employez-nous à délivrer nos belles contrées de ces automates du nord conduits par leurs évêques. Faites-nous combattre contre ces loups affamés, dont les dents sont aiguisées par la prostituée romaine. »

« J’agrée vos services, » répondit le comte de Foix ; « demain nous lèverons le camp, et le fils de Raimbaud vous fera savoir mes ordres. »

Adon et Raimbaud ne purent se rencontrer sans éprouver quelque embarras. Adon était chargé du fardeau d’un aveu pénible. Raimbaud venait d’être informé de tout par un message d’Aliénor.

« Mon fils, » dit-il à Adon, « puisque je puis encore vous appeler de ce nom, vous avez dédaigné mes conseils, vous avez échappé au joug de l’autorité paternelle. Puissiez-vous éviter la peine de cette omission ! Je n’ai rien à vous dire avant de m’être concerté avec le comte Roger. C’est à lui qu’il appartient de décider de vous et de moi. »

Raimbaud alla trouver le comte et lui fit le récit qu’il tenait d’Aliénor. Roger fronça d’abord le sourcil, puis il se mit à sourire.

« Les folies de l’amour, » dit-il, « conviennent à la jeunesse des guerriers ; elles ne doivent pas régler la destinée des princes. J’augure bien du courage de Trencavel par les transports de son cœur et l’ardeur de ses passions. S’il parvient avec mon aide à reconquérir ses états, il saura aussi trouver une femme dont la naissance soit égale à la sienne, et qui puisse donner des héritiers à la maison de Béziers et de Carcassonne.

Raimbaud se tut, mais en déplorant cette morale facile et hautaine, qui fait souvent oublier aux princes qu’avec tous leurs efforts ils ne sont rien de plus que des hommes.

« Il est temps, » reprit Roger, « d’informer cet enfant de sa naissance et de son nom. Je laisse ce soin à celui qui lui a servi de père. Qu’il sache de toi ce qu’il est et ce qu’il doit être. Demain je le ferai connaître à mon armée, et la bannière des Trencavels sera unie à celle des comtes de Foix. »

Raimbaud revint auprès d’Adon. Il le conduisit, à travers les voûtes du château, sur une petite terrasse isolée et assise sur un rocher escarpé, au bord d’un torrent qui tombe en écume dans l’Ariège.

« Jeune homme, » lui dit-il, « avant que le sommeil vienne s’appesantir sur ta paupière, tu entendras des choses bien différentes de celles que tu croyais avoir à me révéler. »

Adon tressaillit, et le nom de Cécile était sur ses lèvres…… « Ce n’est pas de Cécile qu’il s’agit ici, » dit Raimbaud, « c’est de vous-même. Vous n’êtes point mon fils : vous êtes né d’un sang plus illustre, mais aussi plus malheureux ! C’est le comte de Foix qui vous a confié à mes soins ; c’est lui qui vous a reçu des mains d’un père qui n’est plus, et que le crime vous a enlevé. »

« Oh ! » dit Adon, « puisque vous ne pouvez me rendre mon père, ne m’ôtez-pas du moins celui qui a protégé mon enfance, et que j’ai toujours appelé de ce nom. »

Raimbaud se sentit ému jusqu’aux larmes. « Apprenez, » dit-il, « que votre père était le vicomte de Béziers et de Carcassonne. Votre nom est Raymond-Trencavel. Vos domaines ont été la proie de la rapacité, masquée du nom de la religion. Simon de Montfort les a ravis, son fils les retient encore. »

« Nous les recouvrerons, » s’écria Trencavel, « j’en ai pour garant la justice de Dieu et la puissante assistance du comte de Foix. Je ne sais quelle voix intérieure m’annonce une victoire certaine ; je croyais combattre pour le comte, et c’est pour moi-même qu’il combattra…… « Ô mon père ! » dit-il à Raimbaud, « pouvez-vous imaginer la joie que j’aurai en déposant tous ces domaines aux pieds de Cécile ? Combien elle est au-dessus de tout cela ! Que sont les choses de la terre auprès de celles du Ciel ?

« Aimer Dieu et Cécile, voilà ma première loi. Soyons ensuite prince, si la Providence le permet. »

« Peut-être, » dit Raimbaud, « les épreuves de la vie et de nouvelles habitudes vous feront-elles changer de langage. Je ne veux pas sonder l’avenir. »

« Il faut le sonder, » s’écria Trencavel ; « le doute que vous exprimez me fait tressaillir. Ô mon père ! jamais je n’ai senti plus vivement le besoin de me réfugier dans vos bras ; ne refusez pas votre fils, parlez-lui sincèrement. Cécile et moi aurions-nous à redouter quelque nouveau danger, à raison de ce changement d’état ? Le comte de Foix sait-il notre amour ? Qu’en dit-il ? a-t-il quelques projets dont je doive m’inquiéter ? »

« Le monde, » répondit Raimbaud, « vous est encore inconnu, et vous ignorez surtout quelle est la vie des princes. Vous apprendrez avec surprise que plus les hommes sont élevés en dignité et moins ils sont libres. C’est au prix de la liberté que leur grandeur s’acquiert et se maintient. Le choix d’une épouse est peut-être de tous les actes de la vie celui où ils sont le plus assujettis. C’est moins un choix qu’un marché.

« Dans notre société se trouvent quatre classes d’hommes libres : les bourgeois, les chevaliers, les barons et les princes. La gêne domestique de ces hommes s’augmente en raison de leur importance politique. Les bourgeois peuvent se livrer à leurs penchants, et prendre conseil de leur inclination. Ils choisissent leurs femmes pour eux-mêmes, non pour les autres. Les princes courent de grands risques s’ils ne se marient au gré de leurs sujets, et s’ils paraissent déroger à la dignité de leurs égaux. Je ne vous dissimule pas que le comte de Foix pense de cette manière, et que cette opinion est celle de tous ses pareils. »

Trencavel demeura un moment silencieux. « Mon père, » dit-il ensuite à Raimbaud, « y a-t-il une loi expresse qui condamne celui qui est né prince à demeurer prince, et ne lui est-il pas permis de se délivrer de sa chaîne en se faisant simple chevalier ou même bourgeois ? Que les Montfort gardent mes châteaux, si en les reprenant je dois m’y trouver comme dans un désert.

« Mais non, il faut d’abord aider le comte de Foix à les arracher de leurs mains impies ; et que lui-même ensuite en soit mis en possession, puisqu’il se complet dans cette gêne de la puissance et de la grandeur. Moi je ne veux d’autre prix des combats que ma Cécile et une chaumière des Pyrénées.

« Le comte de Foix, » reprit Raimbaud, « est trop généreux pour accepter ce marché, et vous ne devez craindre de sa part aucun acte de violence ; mais seulement ses remontrances et ses prières. La raison d’état, les règles de l’étiquette, les dédains des seigneurs, les murmures des peuples sont des considérations puissantes et qui déterminent généralement la conduite des princes. Mais il s’en trouve aussi quelques-uns qui les bravent à leurs risques et périls. Ce parti est plus convenable que l’abandon de vos droits. Tant de dévouement et de résignation vous rendent plus digne qu’aucun autre de posséder ces domaines, dont vous faites si peu de cas. Songez que vous ayez un père à venger, et qu’il vous reste encore une mère qui, si j’en crois mes pressentimens, ne dédaignera pas d’être la mère de Cécile.

Ces derniers mots ramenèrent le calme dans l’âme de Trencavel. Rassuré sur les suites de son union avec Cécile, il fit mille questions à Raimbaud sur les choses passées et interrompait à chaque instant ses explications et ses réponses.

Raimbaud lui rappela succinctement les faits principaux de la croisade qu’Adon n’avait pu ignorer, mais qui se montraient à Trencavel sous un nouvel aspect.

« La mort de votre père, » lui dit ensuite le chevalier, « a été d’abord enveloppée d’un voile mystérieux, mais le temps a déchiré ce voile.

Sa vie était pour Montfort un continuel sujet de reproches et de crainte. — Vous n’étiez qu’un enfant ; on ne savait ce que vous étiez devenu : Simon ignorait que votre malheureux père, pressentant sa destinée, avait confié votre enfance au comte de Foix.

Peu de jours après que votre père eut été renfermé dans une tour obscure, on l’en retira mort. Mais avant de cesser de vivre, il avait trouvé le moyen de confier à des mains sûres un écrit adressé au roi d’Aragon. » — « Vous êtes mon suzerain, » lui disait-il, « vous aurez un ami fidèle à venger et un grand crime à punir, Montfort, qui tient mes domaines, va m’arracher la vie ; je ne reçois dans la tour où il m’a enfermé, que des alimens empoisonnés ; il faut que je meure de la faim ou du poison, Veillez sur vous-même et vengez-moi(1). »

Trencavel interrompit Raimbaud… Les larmes avaient peine à s’échapper de ses yeux enflammés ; ses cheveux se hérissaient et on entendait le claquement de ses dents.

« Que devint ma mère ? » dit-il à Raimbaud.

« Votre mère, » dit Raimbaud, « n’inspirait ni crainte, ni envie. Montfort s’est paré envers elle d’une fausse pitié ; il l’a laissée en paix dans l’asile qu’elle avait choisi auprès des bords de l’Hérault. Une demeure embellie par l’art, environnée de jardins et de vergers, a servi de retraite à Agnès. Elle a donné ses premiers momens à la douleur. La suite de sa vie s’est partagée entre les exercices de dévotion et la culture des lettres. Réduite à la société des chapelains et des troubadours, peut-être a-t-elle fini par goûter cette indifférence, plus heureuse qu’honorable, qui caractérise les habitans de cette contrée, amollis par les délices de leur séjour, et qui sont demeurés, autant qu’il a été en leur pouvoir, étrangers aux querelles des princes, comme aux tentatives des sectaires. »

Trencavel ne pouvait comprendre ce phénomène d’une femme épouse et mère, qui avait trouvé les moyens de se complaire dans une existence isolée de tous les objets de ses affections.

« La vie de ma mère, » disait-il à Raimbaud, « ne peut être qu’un songe. Hâtons-nous, en lui rendant un fils, de la retirer de cet insipide sommeil. »

« Il faut avant tout, » dit Raimbaud, « nous ouvrir un chemin pour arriver auprès d’elle : et Agnès, en retrouvant son fils, doit le voir couronné de lauriers et réintégré dans ses domaines. »

« Il me semble, » dit Trencavel, « éprouver tous les pressentimens de la victoire, et entrevoir le moment où je recevrai les embrassemens de ma mère. Mais quand pourrai-je lui amener ma Cécile, et pourquoi cette espérance est-elle encore si loin de moi ? car c’est alors seulement que commencera mon bonheur.

« Rien n’abrège plus le temps, » dit Raimbaud, « qu’une bonne victoire. Elle est maintenant devant nous ; il faut y courir. »

« Le meurtrier Montfort n’est plus ; son fils Amalric se flatte en vain d’avoir hérité des larcins de son père. Ce fardeau surpasse ses forces. Il n’a plus autour de lui que les vassaux et les soldats des évêques, troupe lâche et avide, digne en tout des maîtres qui la dirigent.

« C’est elle qui assiège en ce moment la ville de Toulouse, où le faible Raymond chargé d’années, cherche encore à conjurer l’orage par des prières et des pénitences.

« Le Comte de Foix, votre cousin et votre protecteur, qui depuis la mort de Simon a recouvré la plus grande partie de ses domaines, va marcher contre eux et le fils et le frère de l’assassin de Trencavel vont se trouver en présence du fils de Trencavel ! »

Le jeune homme se jeta dans les bras de Raimbaud.

« Vous serez mon guide, » dit-il, « comme vous avez été mon père ; demain je serai Trencavel pour tous ; pour vous et pour Aliénor, je ne veux pas cesser d’être Adon, bien moins encore pour Cécile.

La nuit avait déjà parcouru la moitié de sa carrière. Les étoiles scintillaient dans l’azur du ciel, et la lune ayant dépassé les sommets des montagnes, faisait vaciller ses rayons sur les ondes roulantes de l’Ariège.

Trencavel et Raimbaud allèrent se livrer au sommeil qui tenait toute la population assoupie. Mais avant de s’endormir, Trencavel prit sa viole et les sons qu’il en tirait accompagnaient un chant qu’il adressa à Cécile.

« J’ai rêvé, » disait-il, « que ma Cécile était devenue princesse, et qu’elle habitait un palais ; elle ne pouvait plus faire un pas sans être obsédée de courtisans, dont plusieurs s’agenouillaient devant elle ; des conseillers assidus lui enseignaient les lois et les cérémonies de la grandeur, ils réglaient l’emploi de toutes ses heures.

« Cécile demeurait dans sa surprise, immobile et silencieuse ; elle ne reprit la parole que pour demander Adon, elle voulait qu’Adon reçut pour elle tous ces hommages ; elle ne voulait point de conseils sans entendre ceux d’Adon. Adon voyant cela, se croyait bien plus qu’un de ces princes faits par le hasard. Ô ma Cécile combien il est déchu ce pauvre Adon, lorsqu’à son réveil il s’est trouvé être l’un de ces princes.

« Ton Adon, ma Cécile, est maintenant un haut baron, un vicomte, et l’héritier des Trencavels ; héritier, il est vrai, sans héritage, mais plus riche, ayant le cœur de Cécile, que s’il possédait tous les domaines de l’Occitanie. Sois donc princesse, ô ma Cécile ! pour que je puisse me croire prince. Sois Trencavel avec moi pour qu’il y ait encore des Trencavels. »

Ayant ainsi chanté, l’époux de Cécile se livra au sommeil. Bientôt les sons aigus de la trompette se firent entendre au château. Ils furent répétés par les échos voisins et retentirent jusqu’aux, divers campemens épars dans la vallée. À ce bruit succéda celui du cliquetis des armes du hennissement des chevaux, pendant que les Cathares chantaient de leurs voix aiguës et discordantes les pseaumes traduits en langue vulgaire.

Trencavel, accompagné de Raimbaud, alla recevoir les embrassemens du comte de Foix, lui exprimer sa reconnaissance et demander ses ordres.

« Mon cousin, » lui dit le comte, « ne songeons au passé que pour nous faire un meilleur avenir. Le temps où nous vivons demande du courage et de l’audace. Allons montrer au vieux Raymond comment on se délivre d’une armée de chapelains. Que ce vieillard apprenne d’un enfant ce qu’il eut dû faire il y a quinze ans. »

Le comte avait donné ses ordres pour que les troupes fussent réunies sous les murs de la ville. Il s’y rendit entouré de ses barons et de ses chevaliers. Un grand nombre d’habitans des lieux voisins s’était rassemblés au même endroit ; l’arrivée du prince fut le signal du silence.

« Soldats, » dit-il, « hommes d’armes, chevaliers, et vous bourgeois de ma bonne ville, sachez que le jeune homme que je vous présente, est l’héritier des Trencavels, le fils du vicomte que Montfort a assassiné à Carcassonne. C’est moi qui l’ai préservé des mains de ses meurtriers qu’il va combattre avec nous. »

Une acclamation unanime fut entendue : « vive le vicomte Trencavel ! « Roger fit alors apporter les armes destinées à son jeune cousin. On le revêtit de l’habillement de fer ; on plaça sur sa tête un casque luisant. Le comte ceignit lui-même l’épée autour de ses reins, chaussa ses éperons, l’arma d’une lance, et lui imposant les mains « Je vous fais chevalier, » dit-il, « tout bon chevalier est digne de devenir prince. »

La bannière de Trencavel fut en ce moment déployée et confiée aux soins de Raimbaud de Montaillou.

Ensuite le comte de Foix dit au jeune vicomte : « Nos hommes d’armes et ceux de nos vassaux ont ici leurs chefs, vous commanderez les soldats volontaires ; et les conseils de Raimbaud éclaireront votre jeunesse. »

Les Cathares reçurent avec joie le commandant qui leur était donné, et se crurent assurés de grossir leur troupe à chaque pas. Ils firent retentir leurs hymnes et actions de grâces. Cyrille Jourdain tomba dans une extase prophétique.

« Enfans de Sion, » s’écria-t-il, « la victoire est à nous. L’oint du seigneur marchera à notre tête ; le sang de l’agneau a coulé, celui du tigre va se répandre. Prépare ton deuil, ô Babylone ! car c’est à toi que viendront les pleurs et les grincemens de dents. Rends compte maintenant des rapines de tes complices, et du sang de nos martyrs ! »

Le signal du départ était donné ; l’armée marcha en ordre et suivit la rive droite de l’Ariège. La bannière de Trencavel fut placée en tête du bataillon des Cathares. Pendant que les hommes d’armes et leur suite s’acheminaient en silence, les Cathares ne cessaient de chanter leurs hymnes, en répétant souvent ce refrain du Psalmiste : « Levez-vous seigneur et vengez votre cause ! »


NOTES
DU LIVRE QUATORZIÈME.
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(1) Le roi d’Aragon dénonça lui-même au pape ce fait de la mort violente qu’on avait fait subir au vicomte de Carcassonne.

Épîtres d’Innocent III, l. 15, ép. 212.


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